( LA BOUILLA BAISSE) on oubli
Sous le choc de ce que je viens d'apprendre, je ne parviens pas à proférer un seul mot. Toutes sortes de pensées se bousculent dans ma tête. Mais aucune d'entre elles ne m'apporte un semblant de réponse sur ce que je ressens. Je ne suis pas naturellement triste, mais c'est une blessure bien plus profonde que ça.
Sourcils plissés dans ma direction, Léo, attend que je lui parle. Sauf que je ne trouve pas les bons mots pour expliquer ce que mon grand-père vient de m'avouer dans cette lettre. Et si je ne les ai pas pour moi-même, comment pourrai-je les avoir pour les autres ? Toutes mes certitudes viennent de s'envoler en l'espace d'un instant.
Ma mère n'est pas ma mère et ne pas pouvoir formuler une vérité aussi déstabilisante, sans péter un fusible est juste impossible. De plus, je ne sais pas si cette nouvelle m'apporte soulagement ou colère. Soulagement de ne pas avoir en définitive une mère perfide telle que Diana ou colère d'avoir été privé délibérément de celle que je suis réellement.
Allez savoir de quel côté, je dois me placer. J'observe Léo qui s'impatiente. Mais que dois-je lui dire, que puis-je lui dire ? Curieux, mon cousin se rapproche de moi et me demande s'il peut prendre connaissance de la lettre. Je la lui donne sans hésiter, car après tout, il l'apprendra tôt ou tard. Sa réaction est identique à la mienne, il ne sait que dire.
Une chance qu'il ne réplique rien, car je ne suis pas certaine de vouloir connaître son ressenti là-dessus. Perdue dans le brouillard de cette révélation, j'entends une cloche sonner. Léo se frappe le front comme s'il avait oublié de me dire quelque chose. Et franchement cela ne m'amuse pas du tout, parce que j'ai plus que mérité quelques instants de calme.
Mon monde n'a pas de cesse de s'effondrer depuis mon arrivée, et honnêtement, je ne suis pas sûre d'en supporter davantage. Mais mon cher cousin ne l'entend sûrement pas de cette oreille, puisqu'il largue une autre bombe.
- Papi Lou a laissé des instructions Lys, le déjeuner de famille a été repoussé afin que nous soyons tous là. Mère vient de tinter la cloche pour cette raison ma belle, je suis sincèrement désolée.
Il ne manquait plus que ça, un déjeuner. Un repas, pour revoir d'un coup leur sale gueule d'hypocrite à tous. Je souffle d'impuissance percevant bien les enjeux de ce premier rassemblement familial. Puis comme un automate, je me relève sans un mot, attrape ma valise et ce qu'il y a au sol puis me dirige dans la maison cherchant la première chambre qui me plairait. Pour une fois, mon cousin semble respecter mon silence.
Après avoir marché quelques minutes dans la maison, je tombe sur la chambre de mes rêves. Elle est moderne et spacieuse, agencée comme si quelqu'un l'avait fait avec amour. Le lit est tellement immense qu'on pourrait y dormir à quatre. On y retrouve exactement mes goûts, un marron velouté, du blanc satin et un ton léger de crème. Les lampes sont stylisées avec du vieux bois et les abat-jour neutres harmonisent l'ensemble. Une terrasse panoramique surplombant le jardin, la piscine et les champs de lavande environnants finissent de m'éblouir.
Quand mes yeux tombent sur un tableau qui finit de me perturber. Celui-ci représente un nu vraiment très explicite et indécent. Si la fille du tableau n'avait pas été mon parfait sosie, j'aurais eu de mal à me reconnaître. Putain, Arnaud comment peut-il me faire ça ? Comment peut-il utiliser mes confidences en créant une réalité à partir d'un souvenir. Me sachant seule, je peux me permettre de m'effondrer pour pleurer. Et c'est ce que je fais pendant quelques minutes avant de me lever et de me préparer pour l'affrontement.
Après une douche revigorante dans une magnifique salle de bain adjacente à la chambre, je suis presque prête. Devant le miroir, je me fais des yeux charbonneux et vaporise quelques gouttes de The One sur mes poignets. Mon ensemble pantalon en lin blanc est impeccable et me donne une allure chic. Je m'examine encore un instant puis passe la porte de ma chambre décidé à foutre le feu à cette tanière de rapaces s'ils tentent la moindre attaque.
Au moment de franchir le seuil de la dépendance, je tombe sur Léo qui semblait m'attendre dans l'entrée.
- Et bien chérie, tu ne te moques pas du monde. Tu as une allure folle dans ses fringues ! Par contre ton regard semble très clairement indiquer qu'il ne faut absolument pas t'emmerder.
Sérieuse, je lui réponds.
- Allons-y avant que je ne change d'avis.
Sans un mot, mon cousin m'attrape par le bras et nous nous dirigeons vers la maison principale. Je pensais être stressé, mais non, c'est la rage pure qui me guide. Comme une bombe à retardement, je sais qu'il me faudra peu pour exploser. Alors que nous entrons, j'entends des voix que je n'ai pas entendu depuis de nombreuses années. Tout le monde semble déjà attablé quand Léo et moi franchissons les portes de la salle à manger.
Le temps se fige et un silence de mort se fait lorsqu'ils s'aperçoivent tous de ma présence. Ils me dévisagent comme si j'étais une bête curieuse croyante sans doute me déstabiliser. Mais la lettre de Papi Lou a jeté aux orties mes scrupules et ma culpabilité. La femme que je suis en train de devenir depuis moins d'une heure a soif de vengeance, elle espère juste que cela ne la détruira pas entièrement.
Sans attendre une quelconque invitation de leur part, je prends place en bout de table. Léo finit par suivre le mouvement et s'installe près de moi. Tout semble bien se passer quand Viviana ose ouvrir sa bouche. J'ai reconnu sa voix avant même de poser les yeux sur elle.
- Mais ne serait ce pas le retour de l'enfant prodigue ? Maman, on dirait ta fille Aélys en bout de table.
Personne ne pipe mot, sauf Diana qui réagit vivement.
- Viviana un peu de dignité s'il te plaît.
Mais bien sûr, mon affreuse cousine n'écoute pas Diana et continue son manège.
- Pourquoi suis-je celle qui devrait faire preuve de dignité ? Elle revient ici, s'assoit avec nous telle une fleur opportuniste et je ne dois pas réagir.
Du regard, je fais un tour de table pour constater que les cinq enfants de Papi Lou sont présents. Ernest, Roger, Diana, Françoise, et Thierry. À côté de moi sur le côté droit se trouvent, sainte Françoise, Lydia et oncle Roger les parents de Léo. Ils sont accompagnés de Luc et d'une fille que je ne connais pas. Oncle Thierry et Sandrine les parents de Luc et Samuel complète cette rangée.
En face de moi, se trouve mon oncle Ernest l'aîné de la famille qui ne s'est jamais marié et qui continue de vivre en éternel célibataire. Et enfin sur le côté gauche figure Samuel, sa femme et leur petite fille Dina. Ils sont suivis de Viviana, ainsi que de Diana et Claude les personnes qui m'ont élevé.
Attendant sans doute que je réponde à Viviana, personne ne dit rien. Or, voyant que je ne lui accorde pas cette satisfaction, elle tente de me pousser à bout.
- Du reste, personne ne t'aime ici, je ne sais même pas pourquoi tu t'es donné la peine de venir.
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