(BEA TRICE) MA MÈRE
À la sortie de cette conversation avec mon ex, je peine à contenir ma rancœur et ma tristesse. Comment peut-il avoir l'audace de m'imposer une discussion ? Six ans plus tôt, monsieur ne m'a pas laissé la moindre de chance de m'expliquer et aujourd'hui, il ose quémander un échange.
Je me mets à ricaner de manière hystérique, car je sais très bien que son besoin, de parler ne peut avoir qu'un seul objectif, l'héritage de Papi Lou. Déjà nerveuse, je n'arrive plus à retenir le trop-plein d'émotions qui me brise chaque fois que je prends conscience de la situation.
Alors lorsque je monte à dans la voiture de Léo garée de l'autre côté de la rue, je pète littéralement un câble. Ma crise de larmes est si énorme qu'elle me procure un mal de tête qui me fait manquer d'air au point d'étouffer. Ne pouvant en supporter davantage, je perds connaissance sous les yeux d'un Léo incapable de me calmer.
Perdue dans les limbes ténébreux de mon subconscient, je suis aspiré petit à petit par un trou noir qui me plonge brusquement dans une tourmente. Je me représente celle qui m'a donné la vie, belle, forte puis morte. Or je me l'imagine à nouveau vivante mais bien loin de me consoler cela m'attriste car je ne parviens pas à l'atteindre.
Plus je cours vers elle afin de la rattraper et plus elle s'éloigne de moi. Je commence donc à m'interroger. À quoi ressemble-t-elle vraiment ? Suis-je à son image ? Sans jamais me réveiller, je pose de nombreuses questions sur la personne de Béatrice Trécourt. Je me sens hantée, car je n'ai pas la moindre information concrète sur ce qu'elle était.
C'est pitoyable de constater que ce que j'ai appris d'elle n'a rien de glorieux. Détestée et enviée de sa demi-soeur Diana, abandonnée de grand-père, élevée seule par ma grand-mère, malheureuse en amour, fuit par l'homme qu'elle aimait avant de mourir en me donnant le jour.
Mon rêve semble continuer indéfiniment sans que je parvienne à me réveiller. Jusqu'à ce que j'entende la voix de Léo qui parle avec une tierce personne. Je tente de voir cette personne, mais mes yeux demeurent obstinément clos.
-Ça fait deux maudits jours ! Pourquoi ne se réveille-t-elle pas Mase ?
-Elle le fera quand elle sera prête. D'après ce que tu m'as expliqué, elle est sous pression depuis qu'elle a mis les pieds ici. Ta cousine éprouve clairement le besoin de se reposer. Après tout ce que tu m'as raconté, je suis même étonné qu'elle n'ait pas craquée plus tôt. Ta famille est complètement dingue Léo.
D'une voix tellement plus douce que d'habitude, j'entends mon cousin répondre à ce Mase.
-Tu n'imagines même pas à quel point ils le sont vraiment chéri. Si j'ai tenu bon toutes ses années, c'est parce qu'ils ne connaissent absolument rien de moi. Pourquoi crois-tu que je sois encore dans mon putain placard ?
-Je ne te comprends pas bébé.
-Ne recommence pas Mase, ce n'est vraiment pas le moment.
-Je ne recommence pas, je veux simplement comprendre pourquoi tu as besoin de l'approbation de ces gens. Nous sommes ensemble depuis plus de quatre ans, le fait de ne pas avouer à ta famille que tu es gay, n'empêche pas la réalité Léo. Nous sommes financièrement indépendants, nous avons acheté une superbe maison ensemble, pourtant ta famille vient te voir dans ton ancien appartement. Je t'aime Léo, mais plus le temps passe et plus j'ai du mal à être ton sale secret.
-Tu n'es pas mon sale secret, Mase !
-Ah oui, si je n'en suis pas un alors présente à eux moi comme ton homme, Léo. Tu attends quoi. Le mariage, pour qu'ils finissent par comprendre enfin que tu aimes les queues.
-Ne sois pas vulgaire. Si je ne leur dis rien, c'est parce que je veux qu'ils continuent de m'aimer. Bordel Mase, je veux que mes parents m'aiment. J'ai vu ce qu'ils ont fait à Aélys et je refuse de me retrouver dans cette situation.
-Diana et Claude ne sont pas les parents d'Aelys, bordel Léo. L'histoire de ta cousine n'est pas la tienne, même si ce qu'ils lui ont fait à mon sens est impardonnable. Tes parents n'ont rien à voir avec le reste de ta famille, ils t'aiment. Ils ne vont pas te renier juste parce que tu aimes un homme, bon sang. Ne me dis pas que tu préfères vivre en lâche toute ta vie.
Mon cousin soupire d'agacement.
-Ma famille est en train de s'effondrer et toi la seule chose à laquelle tu penses, c'est mon coming-out, réplique-t-il.
-Tu as systématiquement une excuse, le début de notre relation, ta situation familiale compliquée, l'homophobie de certains de tes amis, ta promotion. J'en ai marre. Parfois, j'aimerais avoir le courage de te quitter parce que je n'en peux plus de tes mensonges.
-Tu me menaces, Mase.
-Je ne te menace pas, je t'informe que je commence à arriver à saturation. Je dois sans cesse te trouver des excuses auprès de mes proches. Ils ne comprennent pas pourquoi tu ne me présentes jamais personnes de ton entourage. J'en ai marre et je me noie à petit feu.
-Mase ce n'est pas le moment pour ce genre de dispute. La seule personne à laquelle je pense, c'est Aélys. Elle passe par un des moments les plus pénibles de sa vie et je veux être là pour la soutenir. Les nombreux secrets de famille qui ne cessent de nous éclater à la gueule sont déjà suffisamment lourds sans y apporter en plus le fait que je sois homo.
-Pas le moment pour une dispute de ce genre ? Tu te fous de moi. Tu n'arrives même pas avouer à ta cousine que tu aimes pourtant comme une sœur, que tu es gay. Tu dis pouvoir uniquement penser à la soutenir, pourtant à elle non plus tu ne fais pas confiance. À vous mentir les uns les autres, c'est ça ton image de la famille.
Cette fois Léo hurle de colère.
-Qu'est-ce que tu attends de moi ? Tu veux que je t'impose à eux en pleine crise familiale. C'est ce que tu veux.
Le silence répond à ses interrogations, jusqu'à ce que je perçoive une porte qui claque.
Depuis mon arrivée à Aix, je fais peser sur les épaules de Léo un bon nombre de mes problèmes. Suis-je égoïste au point de ne pas me rendre compte que l'unique individu qui m'aime dans le clan Laugier a besoin d'écoute et de compréhension ?
Même si je déplore quelque peu l'attitude de ce Mase, je dois quand même reconnaître qu'il a raison. Nous nous mentons les uns les autres et ce manque d'honnêteté provoque des scissures difficilement réparables.
Léo n'aurait pas dû avoir à mentir sur qui, il est. Gay ou pas, mon cousin, je l'aime.
Je suis quand affecté par son manque de confiance en moi. Il est le mieux placé pour savoir que je suis la dernière personne à pouvoir le juger. Son histoire me fait presque penser à moi et Arnaud qui dissimulions à tout le monde notre relation.
Ma réflexion me ramène à ma mère et je me demande si elle a fait face aux mêmes difficultés que moi en chérissant mon père. Mon oncle Roger a affirmé que Vincent Bremond aimait une seule femme, Béatrice Trécourt.
Mais comment une personne disant en aimer une autre aussi fort peut-elle l'abandonner si aisément en croyant au propos mensonger d'un tiers ?
Je me répète le nom de ma mère une nouvelle fois.
Béatrice Trécourt.
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