Une mauvaise bonne nouvelle

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Magalie est en train de préparer le dîner quand Kelly entre en riant, Silas dans son sillage.

— Je te préviens, Silas, tu dînes chez toi !

— Oui, madame.

— Oui, m'man, c'est bon.

— C'est peut-être bon pour toi, mais ça fait deux jours que ton apollon est arrivé et on dirait que vous avez fusionné. Et moi, je passe mes journées toute seule.

Malgré le haussement d'épaules de Kelly et ses yeux au ciel, Magalie poursuit :

— J'ai eu ton âge et je comprends que tu préfères traîner avec un beau blondinet qu'avec ta mère. Tout ce que je te demande, c'est les repas. Le reste de la journée, tu peux faire ce que tu veux de ton temps.

Kelly s'approche de sa mère et passe ses bras autour de ses épaules replètes, un sourire tendre sur le visage.

— Promis, ma maman chérie. Silas, aussi blond et aussi beau soit-il, ne se mettra pas entre nous pendant les repas !

Magalie ne peut s'empêcher de rire de l'impertinence de sa fille.

— T'as vraiment pas froid aux yeux, ma fille.

— Les chats ne font pas des chiens, ma petite maman !

Elle s'arrache à sa mère et retourne vers Silas, qui n'a pas moufté depuis son arrivée.

— Tu viens ? J'te montre ma super chambre !

— Hep hep hep, doucement les tourtereaux ! proteste Magalie.

— C'est bon, m'man, les murs sont en papier, il va rien se passer, t'inquiète.

Magalie allait céder de mauvaise grâce quand la sonnerie du téléphone de Kelly retentit, coupant court à une de ces joutes mère-fille qu'elles affectionnent tant. Kelly regarde l'écran de son téléphone, puis sa mère.

— C'est papa.

— Bah vas-y, réponds.

D'un geste de l'index, Kelly accepte l'appel et s'éloigne pour s'isoler sur la terrasse, laissant Silas à la merci de sa mère. Magalie s'amuse de le voir fixer ses pieds sans savoir quoi faire d'autre de ses doigts que les triturer.

— Assieds-toi, tu paieras pas plus cher !

Silas s'exécute sans se détendre pour autant.

— Tu veux boire quelque chose ?

— Je veux bien.

— Soda ? Jus de fruit ? Je te propose pas de l'eau…

— Je veux bien un Coca, si vous avez.

— J'achète pas cette merde. Mais j'ai du Breizh Cola, si tu veux.

Silas sourit.

— C'est ce qu'on boit à la maison.

— Parfait ! Je savais que ta mère était une femme de goût !

— Vous dites ça à cause du beauf qui lui court après ?

— Pas seulement.

Magalie tend un verre de soda à Silas.

— Merci.

Il le sirote lentement tandis que Magalie retourne s'affairer à la confection du repas dont il a d'emblé été exclu. Les minutes semblent longues jusqu'au retour de Kelly et Magalie n'a pas envie de faire la causette à l'amour de vacances de sa fille. Quant à Silas, il se contente de jouer avec la buée qui se dépose sur son verre entre deux gorgées.

Magalie sursaute quand la porte du bungalow s'ouvre sur une Kelly crispée. Inquiète, sa mère lâche légumes et ustensiles et se précipite vers sa fille tandis que Silas s'inquiète mollement de voir sa dulcinée si pâle.

— Kelly ? ça va ?

— Ma chérie ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Kelly regarde sa mère, qui peut lire la détresse dans les yeux de sa fille.

— Mais dis-moi ! Qu'est-ce qu'il se passe ?

Kelly se résout à lâcher un morceau trop gros pour être caché plus longtemps.

— Prénom est enceinte.

Magalie se laisse tomber sur la chaise la plus proche tout en essuyant machinalement ses mains dans un chiffon auquel elle s'agrippe désespérément.

— ça va aller, maman ?

Sous le choc, Magalie ne répond pas. Ses yeux dans le vague, elle essaie d'encaisser cette nouvelle pour laquelle elle ne peut ni ne veut se réjouir.

Kelly se tourne vers Silas, qui semble complètement largué.

— Prénom, c'est la petite amie de mon père.

La moue de Silas indique sa soudaine compréhension de la situation. Il prend les mains de Kelly dans les siennes et bredouille :

— Je ferais sans doute mieux de vous laisser. Tu n'auras qu'à m'appeler plus tard.

Alors qu'il fait un pas vers la sortie, Kelly le retient d'une pression de la main.

— Non, non, Silas, tu peux rester.

— Mais, je…

— On va pas faire la soirée sur le futur mouflet de ton père et de sa grognasse.

Kelly a une quelconque réaction.

— Tu voulais montrer ta chambre à Silas. Allez-y, mais ne faites pas de bêtises, je vous surveille !

La main de Silas dans la sienne, Kelly traîne des pieds jusqu'à sa chambre, consciente que sa mère préfère être seule pour le moment.

— ça va, Kelly ?

— Oui, oui, ça va, t'inquiète.

Kelly referme doucement la porte de sa minuscule chambre et profite de cette proximité forcée pour se blottir contre Silas.

— T'avais l'air bouleversée.

— Ouais, je savais que ma mère allait avoir du mal à encaisser. C'est pour elle que je m'inquiète.

— Elle est clairement sous le choc.

— C'est normal. Tu sais, elle joue les dures, mais elle aime toujours mon père. Je sais qu'elle espérait qu'il finisse par revenir. L'annonce de cette grossesse vient de balayer ces derniers espoirs.

— Tu crois que c'est pour le piéger ?

Kelly s'écarte de Silas, indignée.

— N'importe quoi. Faut arrêter de croire que les filles se font engrosser pour garder la mainmise sur des connards. Mon père, jamais il se remettra avec ma mère. Il l'a bel et bien larguée pour une jeunette et lui a fait un môme parce qu'il veut pas se voir vieillir.

— Je sais pas quoi dire…

— Bah dis rien. On t'a rien demandé, de toute façon.

— OK. Bah dans ce cas…

— Dans ce cas, quoi ? Tu vas partir chaque fois que je vais dire un truc qui te plaît pas ? Bah vas-y, je te retiens pas.

— Dans ce cas, je vais juste t'écouter et fermer ma gueule. Si tu ressens le besoin ou l'envie de me parler, je suis là.

Silas s'assoit sur le bord du lit.

— Si tu préfères que je vous laisse, dis-le moi.

Kelly s'installe en tailleur près de lui et prend sa main.

— Excuse-moi, Silas. Je devrais pas passer mes nerfs sur toi. En plus, on se connaît à peine.

— Et alors ? J'peux quand même être là pour toi.

— T'as ptet mieux à faire de tes vacances que de gérer les états d'âme d'une meuf que tu connais à peine. Surtout qu'il y en a plus d'une qui te reluquent.

— Ah ! Toi aussi, tu les as remarquées ?

— Elles sont pas discrètes. En plus d'avoir l'air niaises.

— C'est clair. Je préfère mille fois me faire maltraiter par toi. T'es désagréable, mais pleine de piment.

Kelly bondit sur Silas et fait mine de le frapper en riant.

— Tu vas voir ! Je vais t'en donner, du piment !

Le couple d'ados roule sur le lit dans un éclat de rire avant de retrouver un brusque sérieux teinté de désir.

Depuis quelques minutes, Magalie écoute le silence qui émane de la chambre de Kelly, parfaitement consciente de ce qu'il implique. Avec une parfaite confiance dans le jugement de sa fille, Magalie poursuit les préparatifs du repas sommaire qu'elle a eu un mal de chienne à préparer. Elle jette un regard à la pendule, satisfaite de voir que l'heure de rejoindre Florence pour une soirée entre filles approche. Elle lance la cuisson du repas avec l'espoir un peu fou que cette soirée lui changera un peu les idées et chassera, au moins pour quelques heures, la vision de son ex-mari en train de pouponner un bébé qui n'est pas le sien.

— Kelly ? ça va être l'heure de passer à table ! Silas, ta mère va s'inquiéter, rentre chez toi !

Kelly s'arrache sans conviction des bras et des lèvres de Silas, dont la moue trahit la contrariété.

— Elle a raison, tu devrais y aller.

— J'm'en fous. De toute façon, ce soir, elle passe la soirée avec ta mère et à mon avis, elle aura autre chose en tête que son relou de fils.

— Cool, on se retrouve donc après dîner ! Dépêche-toi de te tirer. Plus vite tu pars, plus vite je reviens.

La malice qui anime l'œil de Kelly propulse Silas dans les bras de sa belle pour une dernière étreinte.

— OK, cette fois, tu as gagné, mais tu perds rien pour attendre, ma jolie.

— Ma jolie ? T'as pas trouvé plus ringard ? On dirait un de ces vieux qui m'accostent dans le métro.

— T'es une putain de Parisienne ? ça explique beaucoup de choses !

Silas s'enfuit en riant sous les coups d'oreiller que lui assène Kelly, qui le poursuit dans de grands éclats de rire.

— Toi non plus, tu perds rien pour attendre, mais je me vengerai, beau gosse, je me vengerai !

Silas quitte le bungalow à toutes jambes en saluant brièvement Magalie, qui fronce les yeux dans une attitude feinte de réprimande.

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