Spa
Florence profite d’un petit déjeuner ensoleillé sur sa terrasse en compagnie de Thom quand Silas pointe le bout de sa mine renfrognée.
— Salut, grogne-t-il en déposant sur la table un bol fumant.
— Bonjour, mon grand. Bien dormi ?
— Salut, Silas !
— Ouais, pas trop mal. Et toi ? T’es rentrée tôt.
— Tu t’intéresses à ma soirée ou tu cherches juste un prétexte pour une dispute ?
Silas relève le nez de son bol pour regarder sa mère.
— Un peu les deux ?
— Je suggère de passer directement à la suite. Tu as prévu quoi, ce matin ?
— On n’a pas une sortie bidon en famille ? Bah si on a quartier libre, je vais rejoindre Kelly et les autres à la piscine. Et toi ? Tu vas faire quoi de ta matinée de liberté ?
— De solitude, tu veux dire ?
— Je peux rester avec toi, si tu veux, m’man.
— C’est gentil, mon poussin, mais il y a l’atelier peinture et je sais que tu voulais absolument y participer.
Thom baisse la tête.
— C’est vrai.
— Ne t’en fais pas, mon poussin, je vais me débrouiller.
— Et si t’essayais de transformer cette solitude en liberté ? Pour changer ?
Florence se sent piquée. Elle fixe Silas d’un air perplexe.
— Pour que tu puisses me le reprocher aussi ? Écoute, Silas, j’ai pas envie qu’on recommence à se disputer et comme, quoi que je fasse, tu n’es jamais satisfait, je te propose, pour ce matin, de garder ton avis pour toi. De mon côté, je vais suivre ton conseil et aller me libérer de mes tensions au spa.
Elle se lève pour débarrasser son bol.
— On se retrouve pour le déjeuner. Midi, ici, ça te va ?
Sans doute décontenancé par la petite tirade de Florence, Silas se montre peu loquace.
— OK.
— Parfait. Tu viens, Thom ? Je te dépose au club.
— J’arrive, m’man.
Après avoir déposé Thom au club enfant, Florence se dirige tranquillement vers le spa. Tout en espérant qu’il n’y aura pas trop de monde, elle ressasse sa dispute avortée avec Silas et son impuissance face à la colère de son fils aîné.
Elle essaie péniblement de retenir des larmes de colère et de frustration quand elle réalise qu'elle est arrivée au centre de soin. Elle est soulagée de constater qu’il y a moins d’affluence qu’à la piscine. Elle pose un regard distrait sur la jeune femme plantée derrière le comptoir de l'accueil, se fait une remarque positive sur la décoration chaleureuse de l'endroit et la vigueur des plantes vertes qui ornent l'espace.
Son cœur bondit dans sa poitrine quand elle réalise qu'elle a complètement oublié d'arroser les siennes avant de partir. Une semaine sans eau, dans quel état va-t- elle retrouver son ficus déjà moribond et son yucca chétif ?
Tant pis, il est trop tard, elle verra bien en rentrant. Décidée à ne pas se gâcher les vacances pour si peu - après tout, ce n'est pas comme si ses plantes étaient luxuriantes -, elle salue distraitement l'employée de l'accueil avant de s'attarder longuement sur la liste des soins proposés. Elle hésite, tergiverse. De quoi a-t-elle besoin ?
— Qu’est-ce qui vous fait envie ?
Voilà la bonne question, celle qu’elle ne pense jamais à se poser. Florence est prise au dépourvu. La jeune femme devant elle lui sourit d’un air compatissant.
— Soin du visage ? Manucure ? Massage ?
— Je ne sais pas, je… tout à l’air très bien.
— Si vous permettez, je vous recommanderais un soin du visage, pour détendre vos traits tirés et illuminer votre teint, suivi d’un massage relaxant pour relâcher vos muscles tendus et évacuer le stress. Et, pour finir en beauté, une petite séance dans le jacuzzi pour compléter la relaxation du corps et de l'esprit.
— Tout cela est très tentant.
Peu habituée à consacrer autant de temps à son bien-être, Florence hésite. La vision de ses plantes fânées aux feuilles marronnasses et cassantes suffit à la décider. Qu'au moins, elles ne soient pas mortes en vain.
— Allez, je vous fais confiance, je vais me fier à votre programme.
— Parfait. Après ça, vous flotterez sur des petits nuages roses toute la journée, croyez-moi !
— C’est exactement ce dont j’ai besoin.
Elle croit bon d'ajouter, avec une pointe d'amertume :
— À tel point que ça se voit.
— Ne vous en faites pas. En arrivant, tout le monde a les traits tirés.
— Voilà qui me rassure… ironise Florence.
Le temps de cette petite jacasserie, elles se trouvent dans une autre pièce. La jeune femme installe Florence sur une table, la prie de patienter quelques minutes pour l’arrivée de l’esthéticienne et s’éclipse. Florence ferme les yeux. Elle se laisse envelopper par les odeurs florales qui flottent dans la pièce. Le parfum, à la fois doux et entêtant, l’apaise.
Elle sursaute à l’enjoué salut qui la surprend en pleine rêverie champêtre. Elle répond un bonjour timide, soudainement gênée d’être là. N’a-t-elle pas mieux à faire que se faire tartiner la face de crèmes, huiles et autres onguents alors que sa relation avec Silas se dégrade un peu plus chaque jour ?
Tandis que l’esthéticienne s’enduit les mains d’une crème parfumée et s’approche de Florence, celle-ci décide de se laisser aller. Au point où en sont les choses, ce n’est pas une heure consacrée à son bien-être personnel qui changera quoi que ce soit. Aussi ferme-t-elle les yeux pour s’abandonner aux bons soins des mains expertes qui glissent sur son visage.
Florence est surprise du bien-être immédiat, physique et moral, qu’elle éprouve. Elle sent son corps se décontracter sous l’effet du massage facial, et son esprit s’évader, emporté par les volutes fleuries qui titillent ses narines. Elle profite pleinement de ces sensations inédites ou, du moins, oubliées. Bien trop absorbée à ressentir la moindre onde de détente, elle répond distraitement à l’esthéticienne et laisse mourir une conversation qui ne l’intéresse pas. En bonne professionnelle à l’écoute des besoins de ses clients, la jeune femme se tait et abandonne Florence à son plaisir.
Quand retentit la fin de ce soin, Florence perçoit un bout du nuage dont parlait l’hôtesse d’accueil à son arrivée. Elle remercie chaleureusement l’esthéticienne avant d’aller s’étendre sur une autre table, pressée, cette fois, d’en découdre avec le massage relaxant qu’on lui a promis.
L’huile de massage coule sur son dos et Florence se demande comment elle pourrait être encore plus relaxée. Dès que les mains se posent sur sa peau et commencent à pétrir ses muscles, elle réalise combien elle sous-estimait les tensions corporelles liées à son stress. La masseuse fait un commentaire sur ses muscles particulièrement tendus et redouble d’efforts.
À mesure que les mains huilées courent sur son dos, elle est surprise de l’énorme marge de progression de sa détente, elle qui se croyait il y a dix minutes au summum du délassement.
Après ce qu’elle considère comme les trente meilleures minutes de toute sa vie, Florence sautille de nuage en nuage pour se rendre au jacuzzi. Jamais elle ne s’est sentie aussi légère. En témoigne le sourire lumineux qui éclaire son visage radieux.
Son sourire se fige en une grimace gênée quand elle découvre Franck dans le jacuzzi. La soirée de la veille lui revient en pleine face. Les révélations de Magalie, la cour audacieuse d’Enzo, l’alcool, l’air décontenancé – et déçu – de Franck…
— Bonjour, Franck.
— Bonjour.
— Ça t’ennuie si… ?
— Pourquoi ça m’ennuierait ? Installe-toi, je t’en prie.
— Merci.
Florence cherche un moyen d’échapper à cette situation désagréable, mais la proximité de Franck dans cette eau chaude et bouillonnante a quelque chose de troublant qui la cloue sur place.
— Les filles sont au… ?
— Vous avez passé une bonne s… Oh ! Pardon. Toi d’abord.
— Non, vas-y, je…
— Oui, les filles sont au club enfant.
— Thom va être content. Il les adore.
— C’est réciproque. Toi, c’est le type d’hier soir, qui semblait t’adorer.
BIM.
— Adorer, peut-être pas. On avait un peu trop bu, je crois.
— J’ai vu ça. Un peu plus et il allait se désaltérer directement dans ta bouche.
« De quoi tu te mêles ? »
C’est ce qu’elle aurait dû répondre. Alors pourquoi elle répond comme une ado jalouse ?
— Tu devrais être content, ce n’était pas dans celle de Magalie.
— Pourquoi tu me parles de Magalie ?
— Après votre soirée en tête à tête, tu as dû être déçu de la voir flirter avec un autre homme.
— Ce n’est pas Magalie qui me plaît.
Le regard que Franck pose sur elle confirme ce qu’elle redoutait et espérait. Ce regard la brûle. Florence ne s’explique pas comment cet homme qu’elle connaît à peine peut lui faire autant d’effet. Elle enfonce le bas de son visage dans l’eau bouillonnante pour tenter de dissimuler son trouble et trouver comment répliquer.
— Quand tu es partie, l’autre soir, elle est devenue très entreprenante. Elle m’a demandé de la raccompagner.
Florence attend la suite, pendue aux lèvres de Franck, autant pour écouter les sons qui en sortent que pour en admirer les contours qu’elle rêve d’embrasser.
— J’ai senti qu’elle attendait quelque chose, mais…
— Hey ! Salut, Florence ! Quelle heureuse coïncidence !
— Enzo ?
— J’ai pas arrêté de penser à toi !
Enzo salue froidement Franck et s’installe dans le jacuzzi, le plus près possible de Florence, qui s’écarte instinctivement.
— Tu nous présentes ?
— Euh… Oui. Franck, voici Enzo. Enzo, voici Franck.
— Enchanté.
— De même.
Leurs regards assassins disent tout le contraire.
— Je vais vous laisser, je dois récupérer les filles.
— Attends, tu… ?
— Vous partez déjà ?
— … ne restes pas un peu ?
— C’est pas grave, on va rester tous les deux. Rien que toi et moi, ma beauté.
— Les filles m’attendent. Bonne journée.
Franck n’a pas encore franchi le seuil quand Enzo lance, entreprenant.
— C’est bien, il a compris qu’il dérangeait.
Il s’approche de Florence, l’enlace.
— On en était où, dis-moi ? Pourquoi tu es partie comme une furie, hier soir ? On s'entendait pourtant bien.
Florence regarde Franck s’éloigner. Quand elle prend conscience des mains d'Enzo sur elle, elle a un mouvement de recul. Elle repousse ce pot de colle, bredouille une excuse et sort en toute hâte du jacuzzi.
Elle s’enroule dans son peignoir, enfile ses sandales à la va-vite et se précipite dans les couloirs, espérant rattraper Franck. Mais celui-ci est déjà parti.
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