4/4. Désillusions.
Pour la énième fois depuis qu’il était levé, Théo soupirait. Il était affalé sur son lit à broyer du noir. Il s’en voulait d’avoir été si naïf, c’était plutôt évident que rien n’aurait pu se passer comme espérer dans ce genre de situations. Qui pouvait bien être simplet au point de penser qu’avoir une relation homosexuelle avec une grande célébrité, hétéro aux yeux du grand public, pouvait fonctionner sur du long terme ? À quel moment Théo avait préféré balayer toutes ses craintes pour vivre passionnément une relation vouée à l’échec ?
*Pensées de Théo, douze mois auparavant.*
Bradley et Théo en étaient à leur troisième ébat sexuel de la journée, allongés sur le sol du salon, des couvertures posées sous leurs corps pour éviter la froideur du carrelage, essoufflés, mais souriants, comme toujours. Cependant, Bradley semblait un peu plus absent depuis quelques jours et Théo commençait à avoir peur quant à l’avenir de leur aventure.
— J’ai besoin de te poser une question Théo.
Le concerné fronça le sourcils, se levant sur son coude pour mieux voir son amant.
— Demande ce que tu veux.
— Toi et moi, ça fait environ deux mois qu’on se voit pour tes cours, mais surtout pour profiter l’un de l’autre. Tu ne voudrais pas que ça devienne plus sérieux ? Que l’on se considère comme un couple ? Et pas seulement des sexfriends ?
— Je ne suis pas contre cette idée, mais la situation serait difficile à gérer. On ne pourrait pas sortir comme un vrai couple, à cause des photographes et de tout ce qui tourne autour des contrats de ta carrière. Je ne veux pas qu’un de nous devienne une cible.
— Ne t’inquiète pas pour ça. Il y assez de place dans la maison pour faire de bon rencards. Et pour les sorties, le fait de les faire secrètement, ça pimentera la situation. Tout se passera bien, fais moi confiance.
Théo avait finalement accepté, sans imaginer à quel point il allait avoir des ennuis.
*Retour à la réalité.*
Préparant son café, Théo ne cessait de ruminer tous les hauts et les bas de leur relation, enfin, surtout les bas.
— J’aurais dû faire confiance à mon instinct, au lieu d’aller aveuglément dans ce tas de nœuds !
Il se posa nonchalamment sur son canapé, regardant le vide.
Leur relation fut passionnée, riche en émotions, en amour, en taquineries et en rires. Il y avait quelque chose d’excitant dans le fait de vivre caché des autres, un peu comme si le couple dominait le monde, quand ce dernier pensait tout contrôler. Et c’était aussi l’une des raisons pour laquelle tout ne s'était pas terminé comme prévu. La relation s’était peu à peu dégradée, et Théo avait toujours banalisé les différentes situations néfastes, qui pourtant, auraient dû l’alerter sur les dangers qui flottaient autour de son couple.
De temps à autre Bradley devenait distant, sans en expliquer la raison, puis redevenait proche et taquin, Théo n’avait jamais osé pousser très loin son questionnement, il pensait que vivre d’amour et d’eau fraîche faisait tout, mais il s’était bien trompé, il en était venu à douter de son copain.
Il n’avait pas pris en compte ses craintes concernant la carrière de son amant, même lorsque le couple était au bord du précipice, il trouvait de quoi relativiser. Et c’était peut-être bien ce qui avait été fatal à leur évolution. Ne pas écouter son instinct était un de ses défauts.
Après quatre mois de relation presque parfaite, le retour à la réalité s’imposait. Les journalistes et photographes avaient trouvé où résidait Bradley à l’époque. Ils étaient devant le portail de sa demeure, jours et nuits, à attendre des informations à se mettre sous la dent.
Le couple avait réussi à trouver des stratagèmes pour fuir ou éviter les envahisseurs pendant une courte durée d’un mois, puis Théo intriguait de plus en plus les gens, par ses venues régulières chez la star de la musique. Au début, il était simplement vu comme un jeune homme qui prenait des cours de musique, puis en voyant les heures tardives auxquelles ils rentraient chez lui, les rumeurs se sont mises à courir, et l’enfer avait commencé.
Le jeune homme était pris pour cible à toutes les questions indiscrètes, à toutes les insultes imaginables. Il prenait sur lui pour rester calme et poli, affirmant qu’il n’était qu’un ami de Bradley, avec qui un travail musical naissait pour un futur album. Mais faisant un peu trop bien leurs métiers, certains journalistes et photographes avaient suivi Théo jusqu’à chez lui, s’incrustant parfois dans le jardin lors de réunions en famille ou amis.
Afin de protéger son entourage, le couple avaient discuté et avaient conclu que le jeune homme devait venir habiter avec lui, dans le plus grand des secrets, si c’était toujours possible.
Et c’était enfermé chez Bradley, que Théo avait passé les quatres derniers mois de leur relation autant passionnée que chaotique.
*Situation de Théo, un mois auparavant.*
La relation allait de mal en pis, le couple était fragilisé par les tensions et disputes présentes au quotidien et l’ambiance dans la maison n’était plus au beau fixe d’un amour passionné et fougueux.
Théo entra dans la cuisine, déjà grincheux à l’idée de devoir rester enfermé avec l’homme qui lui causait que des ennuis, sans même vouloir faire des efforts pour sauver le couple.
Bradley buvait son café matinal, tout en étant sur son téléphone, totalement absent pour le monde qui l’entourait. Son copain lui parlait mais il ne daignait pas répondre.
Le jeune homme en avait assez de cette situation. Pris de colère, il tapa des mains sur la table, cassant au passage le bol qu’il tenait. Cette action eut pour effet de faire relever rapidement la tête du plus âgé.
— Mais ça va pas ! Qu’est-ce qui te prend, bordel ?
— J’en ai marre de vivre comme ça ! On est presque redevenus des inconnus l’un pour l’autre, tu deviens distant pour un rien et après tu reviens comme une fleur ! J’ai l’impression d’être pris pour un con, maintenant que tu t’es bien amusé avec moi, tu me lâches comme une chaussette sale, sans même te préoccuper de ma santé mentale !
— Tu te fous de ma gueule ? J’ai fait en sorte que tu habites avec moi pour éviter que tu te fasses frapper et insulter tous les jours ! J’ai fait en sorte de protéger ton entourage, et que tu sois heureux de vivre à mes côtés ! Tu penses bien que si j’avais su que notre relation allait se passer comme ça, je n’aurais rien tenté avec toi, pour te protéger de la cruauté qui entoure les célébrités ! Tout ça commence à m’emmerder !
Bradley était rouge de colère, il ne comprenait pas pourquoi son amant s’énervait soudainement, alors qu’il ne laissait rien paraître habituellement. Voulant se défouler, et pris d’impulsivité, il lança rageusement sa tasse remplie de café contre le mur, à quelques centimètres du visage de Théo. Ce dernier ouvrit les yeux en grand, choqué de la brutalité de son homme.
— Tu ne voudrais pas me tuer pendant qu’on y est ? Tu serais débarrassé, vu que je t’emmerde avec mes ressentis ! J’essaye de te faire comprendre que notre couple ne va plus durer longtemps si personne ne fait d’effort ! J’ai assez pris sur moi, à toi de faire en sorte qu’on aille mieux.
— Tu ne m’aides pas non plus !
— Mais bon sang, que voudrais-tu que je fasse ? Je ne suis pas en position de me jeter dans la horde d’abrutis qui sont jours et nuits devant la maison ! Je ne tiens pas à mourir étouffé et tabassé, parce que je voulais vivre avec l’homme que j’aime ! Demande à ta femme comment on doit s’occuper correctement d’un homme !
Théo éclata en sanglots, se laissa tomber au sol en ayant trop gros sur le cœur.
— Je suis désolé, mon amour. Je ne sais pas comment agir, quoique je fasse ça pourrait poser problèmes à ma femme et tout ce qu’on a fait en sorte de cacher.
Le jeune homme releva la tête, encore plus anéanti.
— Et moi dans tout ça ? Je ne compte pas suffisamment pour toi ? Tu n’essayes même pas de prendre de petit risque pour sauver notre couple. Tout ce qui t’importe c’est la place que tu veux tenir dans la célébrité, l’argent que tu gagnes sans même bosser, et l’image que tu renvoies en restant marier à une femme qui a refait sa vie, juste pour cacher ton homosexualité ! Mais quand est-ce que tu assumeras qui tu es vraiment ? Quand est-ce que tu prendras des risques pour garder les gens qui t’aiment de tout leur coeur ?
Bradley resta muet. Il savait que Théo avait raison, mais il ne se sentait pas prêt. Il ne voulait pas être révélé au grand jour, il voulait être sûr de garder un bon statut et que rien ne gâche la vie que sa femme s’était reconstruite après leur rupture. Et s’il devait sacrifier sa relation et son amour pour Théo, alors il le ferait, quitte à souffrir.
— Je crois qu’on a plus rien à se dire, ni à vivre. Toi et moi, c’est terminé Bradley, je n’en peux plus.
Théo prit rapidement l’ensemble de ses affaires, qui se résumait à trois sacs de vêtements. Il enfila ses chaussures et sa veste, puis partit par la porte derrière la maison, sans aucune réaction de la part de l’homme qu’il aimait.
*Retour à la réalité.*
— Cet abruti n’a même pas assumé notre relation, il a tout nié dans les journaux. Il s’est barré comme un chien apeuré, sans laisser de trace, ni de message prévenant son déménagement. Même son divorce n’a pas été expliqué pour les vraies raisons. Quel lâche !
Théo envoya valser sa table basse, toujours aussi en colère et blessé du comportement de son ex. Il aurait au moins aimé être au courant, par un message qui expliquait le départ et les raisons. Il ne comprenait pas pourquoi il était de nouveau un inconnu pour l'homme avec qui il avait passé tant de temps, il était à la limite de se sentir comme un objet qui assouvissait tous les désirs de Bradley.
Ce dernier avait pensé que donner des nouvelles aurait été une situation douloureuse pour le plus jeune des deux. Enfin, c’était ce qu’il se confortait à penser pour ne pas culpabiliser. Au fond de lui, il était sûrement celui qui souffrait le plus dans l’histoire, parce qu’il savait que les gens ne l’aimaient pas pour ce qu’il était réellement, mais bien pour l’image qu’il avait toujours donnée. Il savait aussi que Théo avait toujours eu raison en ce qui concernait le développement personnel, l’évolution de leur couple, et le fait qu’il serait à jamais dans le carcan de la célébrité, s’il ne se décidait pas de se jeter dans la gueule du loup en avouant son homosexualité. Même l’annonce officielle de son divorce n’avait pas réussi à le propulser vers l’honnêteté. Alors qui le pourrait, si l’amour n’est pas assez motivant ?
— Théo ? Arrête de ressasser ton passé, ça ne te fera pas avancer. Et jusqu’à preuve du contraire, je suis là, alors à quoi bon continuer de penser à ton ex ?
Théo se retourna, se sentant bête. Il était vrai qu’il avait rapidement trouver une paire d’épaules réconfortantes vers qui se tourner, puis peu à peu il s’était permis de se rapprocher de cet ami, pour y trouver du bien être, potentiellement atténuer ses blessures, aimer, être aimé, sans condition, mettant son passé de côté pour vivre pleinement le présent et le futur auprès des personnes qui méritaient réellement de l’avoir dans sa vie.
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