Chapitre 9.3
Cette partie que je poste (comme toutes les autres postées récemment) a été écrite il y a presque deux mois, et plus le temps passe, moins j'en suis satisfaite. Cependant, je la poste telle quelle, cela ne fait pas assez longtemps pour que je puisse faire une vraie relecture ^^ J'espère tout de même qu'elle vous intéressera un peu !
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C’était le silence dans la voiture. J’étais à nouveau derrière, Dame Tanysha sur la place passager et la Main Antoine au volant. Il paraissait nerveux. Bien plus nerveux que je ne l’avais jamais vu à vrai dire, alors qu’il avait été plusieurs fois confrontés à des situations stressantes en ma présence. J’étais perdue. Je ne comprenais pas ses agissements. A côté, Dame Tanysha n’était pas beaucoup plus calme, mais sa tension était contenue, alors que lui tapotait le volant de ses doigts. Ses yeux se tournaient fréquemment vers le rétroviseur, croisant parfois les miens, et il les détournait aussitôt.
J’étais confuse.
- Ce n’est pas facile d’être un Aspirant.
Si j’avais pu bondir, j’aurais reculé d’un bon mètre. Et heureusement que je ne conduisais pas, car j’aurais causé un accident.
- De quoi ? croassai-je bêtement.
Mon coeur battait si vite que je crus qu’il allait sortir de mon torse. Je posai une main dessus pour le contenir.
- C’est une vie dure. Sans pitié. Elles s’en foutent qu’on soit des gamins.
Je clignai des yeux, peu certaine de comprendre de quoi il parlait et surtout la raison de sa prise de parole.
- Une jour, j’avais sept ans, un de mes camarades a été battu si fort qu’il n’a pas pu se tenir droit pendant presque deux semaines. Pourquoi ? Parce qu’il avait demandé s’il pouvait avoir du chocolat au petit-déjeuner. Une fois par trimestre, les Vigiles nous rassemblaient tous et nous étions tous fouettés, un par un. Il n’y avait aucune raison. Juste un rappel de notre position d’infériorité, de notre importance si négligeable. Et il fallait attendre son tour, entendre les cris de nos camarades, voir la lanière s'abattre, l’écouter claquer, et pourtant avancer, ne pas frémir, ne pas gémir, ne pas réagir, car sinon elles ajoutaient des coups.
Dame Tanysha posa sa main sur son avant-bras. Il détourna brièvement le regard de la route pour la fixer, un sourcil levé dans un air relevant presque du défi. Elle pinça les lèvres, hocha si légèrement la tête que je ne sus pas si c’était volontaire ou un simple effet de la route, puis se recula à nouveau dans son siège, croisant les bras autour de sa poitrine.
- On n’avait pas de lits, juste des paillasses à même le sol, avec une couverture si fine qu’on avait toujours froid. Alors souvent l’hiver on dormait à plusieurs, entassant nos maigres matelas pour être mieux isolés du froid, accumulant les plaids, nous collant les uns aux autres pour essayer d’avoir un peu plus chaud.
Il secoua la tête. Ses sourcils étaient froncés, son front légèrement plissé. Ses yeux étaient tournés vers la route mais je n’étais pas sûre qu’il y faisait trop attention. La colère les emplissait.
- On n’est pas humains, pour elles. On est des animaux, des bêtes à dresser. Des moindres valeurs. C’est révoltant.
Je me mordis la joue, hésitant à intervenir, mais comme il n’ajoutait rien, j’osai enfin :
- Pourquoi… pourquoi vous me racontez tout ça ?
Ma voix était un peu plus tremblante que je ne l’avais espéré. J’avalai la boule qui s’était formée au fond de ma gorge. Ma question me semblait insultante et j’essayai de me rattraper avec la nette impression de faire pire encore :
- Je veux dire… je ne vous ai rien demandé, alors… ?
Il expira avec une brutale explosion d’air. Ses yeux se plantèrent dans les miens, à travers le rétroviseur. J’étais incapable de détourner le regard. Étaient-ils plus sombres que d’habitude ? J’en avais l’impression.
- Je me suis dit qu’il fallait que vous compreniez. Que vous sachiez mieux contre quoi vous vous engagez.
Je ne répondis rien. Ses iris me lâchèrent enfin et je pus reprendre une respiration plus aisée. Dame Tanysha jetait de temps à autre des coups d’oeil à la fois inquiets et tristes au jeune homme, mais elle ne parlait pas. Elle n’intervint pas, n’ajouta pas un mot. Son mutisme me troublait presque plus que la soudaine confession de la Main Antoine. Elle ne rencontra pas une fois mon regard, évitant avec soin le rétroviseur. Son poing s’ouvrait et se fermait, comme si elle ne tenait pas en place.
- Antoine, dit-elle à peine quelques minutes plus tard, arrête-toi.
La Main tourna brusquement le volant, obligeant la voiture qui nous suivait à faire une embardée, et se gara sur le bord de la route. Dame Tanysha se jeta sur la portière, sortant en furie de l’habitacle. Elle sauta par-dessus la barrière de sécurité, s’enfonça entre les arbres et disparut. J’ouvris la bouche, stupéfaite. La Main Antoine, elle, n’avait pas bougé.
- Mais… commençai-je.
Il leva la main pour me faire signe de me taire.
- Elle va revenir. Elle a juste besoin… de temps.
Il me sembla un peu hésiter, puis, comme s’il se ravisait à poursuivre, il serra les dents. Je m’enfonçai dans mon siège. Je ne comprenais plus rien. Les paroles de la Main Antoine, la réaction de Dame Tanysha, rien. Je n’avais jamais pris conscience de l’ampleur de la maltraitance des Aspirants. Je me demandais aussi quelles étaient les relations entre mes deux camarades de route. Techniquement, tout type de relation était interdit mais il était aussi interdit de trahir l’Organisation, et nous le faisions. Étaient-ils ensemble ? En couple ? Ou juste des amis très proches ? Une pointe de jalousie irrationnelle pointait. Je ne voulais pas de ce sentiment. Je tentai de le repousser mais il s’était déjà installé. Je décidai de l’ignorer. Tant pis. Qu’importe.
Dame Tanysha revint enfin une dizaine de minutes plus tard. Ses cheveux avaient quitté son élastique et ses mains étaient écorchées, comme si elle avait frappé dans un arbre à plusieurs reprises. Ce qui était probablement le cas. Sans rien dire, la Main Antoine sortit un petit kit de premiers secours puis, avec les gestes de celui qui l’a si souvent fait, il désinfecta doucement les plaies, les banda et rangea son nécessaire. Pas un mot n’était échangé. Tout me paraissait si bien ordonné que je sus immédiatement que ce n’était pas la première fois que cette scène survenait. Ils avaient l’habitude d’agir ainsi.
Je me faisais aussi petite que possible, gênée, persuadée d’être une intruse dans une scène qui me paraissait si intime. Qu’est-ce que je faisais là ? Cependant, alors que j’essayais de me faire oublier, Dame Tanysha se tourna vers moi, le visage légèrement moins tendu.
- Excuse-moi de l’attente, Axeline. J’avais besoin de me défouler.
Je ne trouvais rien à répondre et je hochai donc bêtement de la tête. Elle sourit sans que la lumière n'atteigne ses yeux, ferma sa portière. Puis nous repartîmes.
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