Chapitre 11.2

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Un sourire très léger ornait les lèvres d’Antoine. Il allumait son visage d’une lueur qui adoucissait ses traits anguleux. Je me détournai avant qu’il ne remarque que je le dévisageai.

- Je ne sais plus exactement quelle bêtise j’ai faite, mais le fait est que je devais être puni. Je me souviens bien de la Vigile qui l’avait décidé, elle a disparu peu après et j’en étais ravi, car elle était loin d’être sympathique. Elle m’a traîné jusqu’à la salle alors que je me débattais, plus pour la forme qu’autre chose. Elle m’a poussé dedans, et avant de perdre courage, je lui ai tiré la langue. Je me souviens bien de ça, j’étais fier de moi.

Un rire sortir de sa gorge, mi-amusé, mi-triste.

- Ce qu’on peut être bête à dix ans, hein ? M’enfin. La porte s’est fermée derrière moi, et très rapidement la punition a commencé. Mais il y a eu un seul coup, puis la Dame a fait une pause. Sa voix a claqué, comme une réprimande, mais pas vers moi. J’ai regardé sous mon bras, curieux, et Tanysha était là, collée contre son mur, les mains sur le visage. Elle n’était pas bien du tout, grimaça la Main Antoine au souvenir, et je me sentais plus mal pour elle que pour mon dos à ce moment là. Sa Source n’était pas du tout contente d’elle. Je me rappelle avoir pensé que j’étais un vrai rebelle et je lui ai donc souri, parce qu’elle me faisait pitié. Je me sentais moins seul dans ma punition, si vous voulez. Et le petit bout qu’elle était alors s’est redressé, a essuyé ses larmes et a serré les poings. Elle est restée stoïque jusqu’à la fin, car chaque fois qu’elle flanchait, je recevais deux coups supplémentaires.

Il sourit.

- Au final, la punition m’a fait moins mal que d’habitude, car elle m’a semblé être partagée. Et quand je suis sorti… (Il eut un rire amusé) Je crois que je n’ai jamais fait autant d’efforts pour marcher droit et rester digne après une punition, parce que je ne voulais pas tomber devant elle.

Je ne dis rien, intéressée malgré moi. Je n’aurais jamais cru que Dame Tanysha avait été une Novice “défaillante”. Pour la cas de la Main Antoine, cependant, je n’avais aucun mal à imaginer le petit garçon qu’il avait dû être, gamin intrépide et insolent. Je réprimai une grimace face à l’image qui surgit dans mon esprit, celle d’un dos strié de sang.

- En fait, après ça, je ne l’ai pas revue avant… on avait 19 ans je crois bien, quand on s’est revus à nouveau.

Quand l’alarme retentit, Maddy est absorbée dans un coloriage de chats. Elle redresse vivement la tête, apeurée. Son regard se tourne immédiatement vers Tanysha, qui la garde encore aujourd’hui, comme Axel travaille aux champs. La jeune femme se lève et se précipite vers la fenêtre, effrayée. Maddy ne bouge pas, recroquevillée sur elle-même. L’alarme a sonné aussi quand la bombe a explosé dans l’école. Elle se balance d’avant en arrière, les mains sur les oreilles pour oublier ce qu’elle entend, les paupières aussi serrées qu’elle le peut.

Les mains de Tanysha la relève en vitesse.

- L’Organisation est là, lui dit-elle d’un ton tendu, mais il ne va rien t’arriver, d’accord ?

- Mais Axel… Axel elle est dehors…

- Je sais ma puce, mais là maintenant c’est toi qu’on doit mettre en sécurité, d’accord ? Tu te souviens de la cache dans le grenier ? Celle qu’Antoine t’a montrée ?

Maddy hoche vivement la tête, ses grands yeux luisant de peur. Tout recommence, encore et encore. Le visage de sa Tany est aussi rond que le sien et aussi sombre que du chocolat. Elle sourit Tany, alors tout ne doit pas être si affreux que ça. Elle va tout régler, Maddy a confiance en elle.

Tanysha la tire par la main vers l’escalier.

- Tu grimpes jusqu’en haut et tu te mets dans la cache, d’accord ? Et tu ne sors pas avant qu’Axel, ou Antoine, ou moi, on t’ait appelée, d’accord ? Même si tu as mal au dos, tu ne sors pas. Tu peux faire ça pour nous Maddy ?

Elle opine encore, légèrement rassurée. Tany sait gérer toutes les situations, elle règlera celle-là aussi. Maddy fait volte face et court dans l’escalier aussi vite qu’elle le peut. Un cri retentit dans son dos. Elle se retourne pour voir avec effroi Tanysha disparaître sous deux hommes lourdement armés, juste devant la porte d’entrée, puis être traînée à l’extérieur. Elle lâche un piaillement alors que l’un d’eux se tourne vers elle, et détale à nouveau.

L’enfant parvient à la cache et ferme la porte au-dessus de sa tête. Elle active le mécanisme que lui a montré Antoine, celui qui empêche l’ouverture du battant. Des coups résonnent de l’autre côté, la plaque vibre. Maddy se recroqueville au fond du petit espace. Son coeur bat si vite qu’il lui semble qu’il veut quitter sa poitrine. Elle pose une main dessus, pour l’en empêcher.

Soudainement, les coups s’arrêtent. Ont-ils abandonné ?

Le battant explose. Maddy lève un bras pour se protéger des éclats puis une puissante poigne la soulève et la hisse hors de la cache. Elle se débat, mais ses pieds n’ont plus de prises sur le sol.

- Oui, on devait avoir 19 ans... Ou un peu moins ? douta la Main Antoine avant de repousser la question d’une main ; peu importe au final. Tanysha était déjà impliquée dans ce que nous faisons maintenant depuis un moment. C’était la nuit, j’étais de garde. Elle faisait évader deux Pondeuse ; ou trois ? Bref, elle était en mission… délicate.

La Main Antoine avait été surprise du choc dans son dos, et quand il s’était retourné, il avait vu cette jeune femme au brassard de Dame, le visage marqué par la stupeur, suivie de près par des Pondeuses à l’air sonné.

- Elle a essayé de m’assommer, se souvint-il, en oubliant complètement que je portais des lunettes de vision nocturne. Je l’ai arrêtée dans son mouvement, évidemment.

Dame Tanysha avait ensuite semblé persuadée qu’il allait la dénoncer. Il l’avait tiré dans une pièce à part, qu’il avait fermée à clé, curieux de savoir ce qu’elle faisait et ne voulant pas la voir disparaître. Il s’était ensuite occupé des Pondeuses, les menant à la cuisine pour leur donner à manger - elles étaient en effet d’une maigreur inquiétante, malgré leurs grossesses, car, comme toutes les Pondeuses, elles étaient insuffisamment nourries.

- Quand je suis retourné dans la pièce où j’avais laissé Tanysha, elle était en prise avec une hilarité impressionnante. Je lui ai demandé ce qu’elle faisait là, et sa réponse a été magnifique. Attendez, il faut que je vous la retrouve, c’était vraiment très drôle.

La Main Antoine plissa un peu les yeux, perdu dans les méandres de son cerveau. Il mordilla l’ongle de son pouce, l’air absent, avant de s’en rendre compte et de le lâcher, la mine coupable. Je retins un sourire. Enfin, il leva un doigt, victorieux :

- C’était quelque chose comme “je les emmène faire un tour, puis je vais les enlever, les séquestrer jusqu’à la naissance des enfants que je vais ensuite vendre à des contrebandiers albanais pour m’enfuir avec l’argent et commencer une nouvelle vie.”

Il me regarde d’un air piteux, hochant les épaules.

- Désolé, c’était plus drôle placé dans les circonstances, évidemment.

Cette fois, mon sourire est franc. La scène avait en effet dû être comique. Il poursuivit pensivement, ses yeux retournant sur la route :

- Elle m’a aussi proposé de la rejoindre dans cette fuite, dans cette nouvelle vie.

Et malgré la folie évidente de sa réplique, il avait été tenté d’accepter. Mais il s’était repris à temps. Dame Tanysha avait fini par se calmer et par lui révéler ce qu’elle faisait.

- Elle n’avait pas vraiment le choix, reprit la Main Antoine, puisque de toute façon j’aurais pu la dénoncer très facilement, tant tout l’indiquer coupable de trahison. Aucune histoire n’aurait pu expliquer ses agissements. Au final, je l’ai surprise en lui annonçant que j’allais l’aider - sa tête, si vous l’aviez vue ! - et nous avons donc fait évader les Pondeuses ensemble. Ensuite, il nous a fallu maquiller le truc et c’est comme ça que je me suis retrouvé en effet assommé.

Il caressa d’un air pensif la cicatrice à sa tempe. Dame Tanysha et lui me l’avaient racontée cette histoire, quelques mois plus tôt, lors de notre première mission ensemble, mais je n’aurais jamais cru que leur relation avait été plus complexe encore.

La Main Antoine tourna la tête vers moi et je détournai la mienne, me sentant gênée de l’avoir une fois de plus observé à son insu. Il rit mais ne fit aucune remarque.

- Bon, à votre tour, comment avez-vous rencontré Tanysha ?

Je lui racontai à demi-mots, assez embarrassée par l’histoire. Et comme prévu, elle déclara l’hilarité chez la Main Antoine.

- Vous êtes donc aussi peu douées l’une que l’autre pour ne pas vous faire prendre, mais en revanche aussi douée l’une que l’autre pour vous faire prendre par la bonne personne.

Sa remarque, incongrue, le fit rire encore plus, et après un instant de doute, je le rejoignis.

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