Le prochain chamboulement ne parvint que trois longs mois plus tard.

Il avait bien avancé dans son travail pendant ce temps : chaque semaine, plusieurs copies des notes de la jeune femme avaient rejoint les bureaux des renseignements soviétiques et de nombreuses incursions nocturnes au sein du bâtiment avaient payé. Seulement la veille dut-il se résoudre à y mettre fin, la sécurité allemande s'en étant rendue compte.

La semaine dernière, ils s'étaient fiancés. Andreï se sentait, chose rare, un peu coupable de lui donner d'aussi hautes espérances alors que dans un mois il devrait faire ses bagages de nouveau. Pourtant, il ne manquait pas de raisons : la garder pleine de confiance en leur relation, et lui donner avec la bague une échappatoire éventuelle quant aux possibles problèmes financiers. En lui choisissant une bague d'or massif dotée d'un diamant coûteux, il espérait qu'en la revendant, elle pourrait survivre quelques mois dessus.

Cette idée allégeait sa culpabilité quelque peu, chose bien nécessaire puisqu'il lui restait encore du pain sur la planche pour le mois restant : planifier la mort de son alter-ego, Linas Kessler.

Ainsi, lorsque Wilhelmina lui annonça qu'elle était enceinte, le Russe peina à feindre la joie nécessaire pour une telle occasion.

Au lieu de cela, il ne put la regarder qu'avec ébahissement.

« — Que-... D-Depuis quand tu le sais ? finit-il par balbutier tout en se passant une main dans ses cheveux teints d'un blond aryen, complètement pris par surprise.

Ils... Ils s'étaient toujours protégés... !

Et pourtant...

— Hier, mon médecin me l'a confirmé, répondit la jeune femme tout en s'asseyant à ses côtés et lui prenant la main. J'espérais que tu prendrais bien cette nouvelle...
— Je la prends bien, rétorqua-t-il avec le sourire ravi mais incrédule qui convenait à cette occasion. Je suis juste un peu...
— Sous le choc ? J'ai remarqué, rit-elle tout en lui caressant les doigts.
— C'est cela ! Tu sais quel âge le ... bébé ... a en ce moment ?
— Deux ou trois semaines à peu près, je dirais... »

Il hocha la tête pensivement et fit de son mieux pour participer à la conversation au sujet de futurs prénoms.
Mais quand il posa sa tête sur son oreiller, tout ce qu'à quoi Andreï pouvait penser était qu'il refusait de commettre une chose pareille.
Et si la mère déprimée par la mort de son fiancé ne parvenait plus à travailler ? Ils mourraient alors de faim, ou alors de froid, dans les rues, dans un squat... ! La bague ne suffirait pas éternellement !

Pire encore, et si elle se suicidait ? Son enfant orphelin devrait alors vivre tout ce qu'il avait dû supporter dans son enfance dans les rues...

Le vol. La faim. La peur.

Les crimes...

Il ou elle finirait dans un camp... !

Non.

Il en était hors de question.
Peut-être bien qu'Andreï se sentait capable de quitter Wilhelmina et la laisser se débrouiller seule, elle restait une adulte après tout, mais il refusait d'abandonner un être innocent à tant de misères à cause de lui.

De former, à son tour et par sa faute, une nouvelle personne prisonnière de son manque de repères, condamnée à un futur de guerres sanguinaires.

Déjà, un plan s'était formé dans sa tête pour éviter une erreur pareille.

Sortant rapidement un petit sachet de poudre et une tasse, l'espion n'y versa qu'une minuscule quantité qu'il avait mélangés au sucre.
Arsenic. En d'aussi petites quantités, le seul risque serait qu'elle tombe malade, mais en revanche, pour le petit être qui grandissait dans son ventre, cela s'avèrerait fatal.

Tout de même, quand il lui tendit ce café en souriant, ce fut le sien, de ventre, qui se noua.