Chapitre 2
Raphaëlle et Larani marchèrent toute la matinée sans la moindre interruption. Raphaëlle peinait derrière Larani, ses muscles commençaient à la faire souffrir. Elle n'était pas aussi endurante que la Noxum. Rien ne l'avait préparé à ce genre de voyage.
Le monde de Larani n'avait rien à voir avec celui de Raphaëlle : il n'était pas rare de devoir parcourir de longues distances à pieds pour se déplacer. Les transports mécanisés et les montures étaient bien loin du budget de la Noxum.
Heureusement pour elle, le petit sentier forestier qu'elles suivaient était plat, régulier, dégagé et très peu fréquenté. Larani ne connaissait pas très bien ces routes. À l'époque où elle voyageait beaucoup ses finances lui permettaient de se payer un billet pour prendre le transcontinental, voire même un aéronef. Mais le voyage pédestre avait un avantage : la quasi absence de contrôles. Ils devenaient de plus en plus drastiques depuis l'entrée en guerre de l'Empire d'Yrodie contre l'état Sygrine...
Larani restait pensive en marchant. Avait-elle seulement fait le bon choix? Après tout qui lui disait que son ancien ami, le seigneur de la maison des Ethènes, la soutiendrait? Certes leurs parents avaient étés amis, certes ils avaient quasiment grandit ensemble mais quelles preuves avait-elle que son amitié pour Larani n'appartenait pas au passé? Cela faisait si longtemps qu'ils ne s'étaient pas vu...
De toute manière, elle n'avait pas trop le choix. Le Royaume d'Ethènes ne se situait qu'à sept jours de marches. Il leur faudrait un peu plus de vivres, et les finances de Larani ne permettraient pas de faire un voyage plus long. A partir du moment où elle avait décidé d'aller à l'encontre de ses employeurs, elle savait qu'elle ne devrait plus compter que sur elle même. Heureusement elle avait prévu un peu plus de vivres et en se rationnant elles devraient tenir trois jours. L'humaine était si petite, elle ne devrait pas manger autant qu'elle.
Larani avait l'impression de faire une grande bêtise en refusant d'emmener la créature chez les gardiens de la liberté. Mais elle se rendait compte que son immunité à l'énergie était un avantage certain pour eux. Sa discussion avec Alik lui faisait apparaître Raphaëlle comme un être sensible, conscient et l'idée qu'on allait se servir d'elle ainsi ne lui plaisait pas.
Larani aurait bien aimé aussi qu'un jour quelqu'un lui tende la main ainsi.
Sur le sentier, les arbres se faisaient de moins en moins nombreux, le jour perçait de mieux en mieux leur feuillage clairsemé. Les soleil était haut dans le ciel, il devait sûrement être aux alentours de midi. Elles sortaient peu à peu de la forêt et approchaient d'un minuscule village. Elle pourrait y acheter des provisions et peut être même une monture pour les alléger de leurs bagages.
Larani se retourna vers Raphaëlle. Celle-ci semblait épuisée. Larani lui désigna un arbre de la main. La jeune fille s'affala contre l'écorce presque immédiatement et s'assit au creux des racines. Larani déposa à ses pieds ses bagages et lui fit signe de l'attendre. Apparemment Raphaëlle comprit le message.
Larani suivit le petit sentier jusqu'au village, un peu plus loin, en contrebas. Enfin un village... Le mot était peut être surfait. Il s'agissait plus de quelques bâtisses faites de briques, avec des champs minuscules en comparaison avec ceux de Nadêmes. Mais Nadêmes était une véritable cité agricole, industrialisée et rentable. Ici, c'était de simples fermiers qui essayent de se nourrir en cultivant leurs terres. Ils étaient pauvres certes mais tenaient à cette dignité là que cette liberté leur accordait, dignité qui aurait disparu s’ils avaient vécu avec les mêmes moyens à Rêmes. Larani se rappelait de tous ces mendiants qui survivaient dans les bas-fonds de la cité royale de quelques boulots dans les grands ateliers...
Un des paysans en l'apercevant releva la tête du sol. On était en pleine période de récolte. Il la regarda et lui sourit. Elle lui rendit son sourire et s'approcha de lui:
_Bonjour Monsieur, je vous prie de m’excuser si je vous dérange dans votre labeur mais je suis une voyageuse et je me demandais s’il était possible de vous acheter un peu de vivre afin de poursuivre ma route.
Larani essayait de se montrer aimable. Le fermier lui répondit qu'il n'était pas vraiment fortuné, mais qu'il restait, à lui et à aux autres habitants, quelques vivres à lui vendre.
_Nous ne croisons pas beaucoup de voyageurs à pied, remarqua-t-il.
_Que voulez-vous? Je n'ai pas de quoi payer un voyage ni en aéronef, ni en transcontinental. Mes jambes ne me coûtent rien au moins, elles.
Peut-être que le pragmatisme de Larani plaisait à cet homme simple ou bien était-ce la moindre absence de suffisance dans son ton, dans tous les cas, il l'amena jusqu'à ses réserves où il lui vendit de quoi tenir pour leur voyage. Si son travail lui permettait d'avoir de quoi se nourrir, il était rare qu'il voie de l'argent. Dans ces petits villages, le troc était le principal moyen de marchander, le paysan soupesa les quelques pièces de Skar dans sa main. Larani avait fini de s'offrir sa sympathie.
Elle demanda également s’il n'avait pas quelques vêtements à lui vendre. Des habits moins voyants que cet étrange pantalon bleu seraient préférables si elle souhaitait faire passer Raphaëlle inaperçue. Ses habits étaient usés et abîmés et vraiment trop légers pour cette époque de l'année, elle l'avait vu frissonner plus d'une fois. Il lui vendit une robe verte un peu rustique mais chaude faite d'un tissu épais avec une ceinture en cuir et une cape marron.
Une fois tous ces achats faits, le paysan, qui se prénommait Nerok, la raccompagna jusqu'à la lisière du village quand elle vit un jeune Noxum qui traînait une magnifique monture par la bride. Il s'agissait d'un Saggrita, une de ses musculeuses créatures, à la peau écailleuse et pourtant douce, et au caractère fort, qui servaient de montures à la plupart des nobles, ou aux messagers à cause de leur vitesse, et que la plupart des travailleurs snobaient : un sale caractère, une faible endurance et une force physique qui ne lui permettant que de porter un seul cavalier... La pire bête de somme possible pour n'importe quel paysan. Larani s'en rapprocha doucement, ces bestioles-là, c'étaient toute son enfance. Elle se demandait bien ce qu'un tel animal pouvait faire ici.
_Viens ici sale bête disait le jeune en tirant l'animal.
Larani ne put s'empêcher de s'approcher tout doucement de l'animal. Elle ne parvenait pas à le quitter des yeux. Un peu comme si un morceau de son passé surgissait devant elle. Le Saggrita se calma et la fixa surpris du calme de Larani quand elle posa sa main sur son front.
_Chut ! Tout doux, il est à vous dit-elle en se retournant vers le jeune Noxum.
C'est Nerok qui lui répondit:
_Oui il est à nous, je vous présente mon fils Iarel, dit-il en désignant le jeune. C'est une belle bête mais elle a un caractère d'Yrodien... Indressable.
_Moi je le peux, dit-elle songeuse, vous me le vendriez combien?
_Non, je ne peux pas vous la vendre, par contre si vous voulez j'ai un jeune Skorl...
_Non je veux une vraie monture, pas un ruminant.
_Bon je vous la fais pour dix Kars...
_Norek, ne vous moquez pas de moi, vous ne vouliez même pas me le vendre à l'instant et maintenant vous voulez me la céder pour cette somme? Si elle a aussi sale caractère que vous le dîtes elle n'en vaut que la moitié.
Larani savait bien que chaque Kars comptaient et même si elle avait légèrement de faire ça avec un paysan aussi peu fortuné, elle était bien obligé de devoir marchander comme n'importe quel poissonnier des ports de Rêmes.
_Cinq! Non, vous êtes bien aimable mais je ne peux pas me permettre de vous la laisser pour ce prix. Je veux bien baisser jusqu'à sept Kars...
_D'accord! Je vous la prends pour ce prix-là, finit par accepter Larani de peur d’énerver le paysan.
Elle tira sur la bride. L'animal se cambra, pas vraiment satisfait de son nouveau maître. Larani, en regardant la sauvage créature, sentait la même excitation que lorsqu’elle était encore gamine et que son grand père l'avait fait monter sur son premier Saggrita, la monture des seigneurs comme il lui répétait sans cesse.
Un grondement sourd s'échappait de la gorge de l'animal. Larani tira sur la bride sans le moindre ménagement et le monta. La créature, tout d'abord surprise, n'eut aucune réaction puis elle se cambra avec violence mais Larani tenait bon, son corps collé à celui de l'animal et un bras cramponné à son encolure, l'autre autour de sa bouche.
Nerok regardait ce spectacle amusé, c'est qu'elle avait du cran la voyageuse. Au bout de quelques minutes, l'animal se calma, avouant ainsi sa défaite. Il reconnaissait la Noxum digne d'être son maître.
À la lisière du village Raphaëlle, reprenait sous souffle, appuyée sur la lourde écorce de l'arbre. Elle frottait ses mains contre ses jambes endolories en songeant que ce voyage allait l'exténuer. Cette journée de voyage lui rappela son errance dans les bois lors de son arrivée et sa main chercha machinalement sous son pull un objet qu'elle avait trouvé lors de son arrivée : un petit pendentif. Là accroché à une chaîne en argent offerte par son père, une petite clef couleur cuivre finement ouvragée quoique un peu verdie par le temps.
Elle l'avait trouvée sur le sol, en trébuchant dans le train, dans sa fuite et l'avait pris alors et s'était relevée à toute vitesse, persuadée de finir piétinée vu la panique qui régnait alors dans le wagon. Elle n'avait jamais eu si peur de sa vie. Les gens criaient tout autour d'elle en voyant les êtres à la peau sombre et aux yeux rouges qui encerclaient le train en braquant sur eux des armes qu'ils ne savaient pas encore inefficaces sur les humains. En y repensant, il devait s'agir de soldats. Les tirs partaient dans tous les sens, mais étrangement personne ne semblait avoir été blessé. Les autres voyageurs sortirent par l'autre porte au bout du wagon. Raphaëlle se souvenait de sa respiration forte, des battements de son cœur qui s'accéléraient. Elle les avait suivis, mais contrairement aux autres, et on ne sait par quel miracle, elle avait réussi à fuir. Un hasard, un coup de chance, ou alors sa petite taille lui avait permis de passer inaperçue. Comme une bête apeurée, en sortant du train, elle s'était dirigée le plus vite possible vers la forêt qui entourait le bosquet où ils se trouvaient pour s'évanouir dans la végétation.
En repensant à tout cela, elle eut envie d'écrire. Elle sortit le cahier que lui avait offert Alik. Il était épais, et la couverture teinte en bleu sentait bon le cuir. Elle tournait les pages faites avec un papier épais et grossier, pensive. À quoi cela servait-il d'écrire dans ce carnet? Ça ne changeait rien à sa situation, après tout. Peut-être à cause de ce calme serein qui s'emparait d'elle quand elle caressait les pages, quand elle avait l'impression que sa vie prenait plus de poids sur le papier. Peut-être aussi parce que sans lui, elle serait devenue folle? Pour avoir une preuve supplémentaire avec son pendentif que son propre monde existait bien, quelque part, ailleurs...
L'arrivée de Larani, montée sur une étrange créature, la coupa net dans ses réflexions. Elle remit son carnet dans son sac et se releva rapidement pour la saluer. L'animal que Larani montait ressemblait vaguement à un cheval, bien que sa peau noir soit écailleuse et que sa gueule soit aussi bien plus massive. En s'approchant d'elle, Raphaëlle ne pouvait s'empêcher de fixer le regard sombre et insondable de l'animal, dans lequel elle pouvait presque discerner son reflet.
Larani mit pied et à terre et pris le sac à dos de Raphaëlle pour le mettre sur la monture. Pour ne pas trop la fatiguer, Larani avait décidé de lui faire porter seulement leur bagage.
Elles reprirent alors leur voyage. Elles marchèrent pendant trois jours sans rien rencontrer de notable. Larani adaptait son rythme pour ne pas trop épuiser Raphaëlle. Néanmoins, elles ne s'arrêtaient que pour manger ou la nuit, pour se reposer. Les jambes de Raphaëlle lui faisaient mal, ses muscles devenaient de plus en plus raides au fil des heures et puis des jours de marche. Pourtant, elle continuait de suivre la Noxum, obstinément. Larani voyait cela et avait de plus en plus de respect pour elle. Larani avait toujours eu beaucoup d'estime pour les êtres qui témoignaient une forte volonté.
Le temps semblait être de leur côté. Il était doux et tempéré. Larani avait choisi un chemin qui leur permettait d'éviter les grandes routes ou encore les villes. Elles parcouraient donc les mêmes bois et les même champs en ne rencontrant personne ou alors les grandes machines qui moissonnaient les terres riches du nord du continent-île de Rêmes.
Plus Raphaëlle avançait plus elle était songeuse, elle s'enfermait dans sa tête pour ne pas sentir son corps fatigué. Elle se rendait bien compte que ce pays était immense. Comment un tel endroit aurait-il pu rester secret sur Terre? Un monde avec de telles machines ne pouvait pas rester invisible. La certitude ne pas être sur Terre mais ailleurs se gravait de plus en plus dans son crâne. Elle aurait aimé poser des questions à Larani, l'inonder d'interrogations, malheureusement le langage restait un obstacle. Quand elles s'arrêtaient pour la nuit, Larani lui montrait du doigt des aliments, des objets en prononçant leur nom dans sa langue. Raphaëlle répétait jusqu'à ce qu'elle puisse les dire sans difficulté. Mais cela ne lui permettait pas de poser de questions. D'ailleurs comment mimer des choses aussi vagues et abstraites que les mots monde, étrangère ou ailleurs?
Quand elles faisaient une halte, Raphaëlle ne pouvait s'empêcher de regarder Larani. Excepté sa peau bleue et ses yeux rouge pourpre, sa constitution n'était pas très éloignée de celle d'un être humain, deux bras, deux jambes, un nez et deux yeux. Certes elle était grande par rapport à Raphaëlle, mais cela n'avait rien d'étonnant, même par rapport à d'autres humains, Raphaëlle semblait petite et mince. Et puis elle ne pouvait s'empêcher de trouver la Noxum belle. Surtout quand elle expirait, rêveuse, le visage éclairé par le feu de leur campement provisoire, ces arabesques de fumée de cette longue tige qui semblait être une pipe.
À l'aube du quatrième jour, Larani tendit la bride du Saggrita à Raphaëlle pour regarder sa carte un peu abîmée par le temps. Elles étaient à mi-chemin de leur destination. Le matin était frais, et Raphaëlle était heureuse de pouvoir compter sur les vêtements plus chauds que lui avait fournis Larani. Par réflexe, elle rabaissa sa capuche comme lui avait montré Larani. Elles se remirent en route, Larani reprenant la bride du Saggrita, en regrettant que les bagages lui retirent le plaisir de pouvoir faire galoper la créature.
Raphaëlle avait l'impression de toujours traverser les mêmes sous-bois. Ce voyage était épuisant et elle ne pouvait même pas discuter avec sa compagne de route. Tout en ruminant son ennui, elle trébucha sur une pierre que les feuilles mortes avaient dissimulée. Elle s'étala de tout son long. Larani se retourna et en voyant sa protégée étalée sur le sol avec un regard hébété totalement stupide sans émettre le moindre son de douleur, elle ne put s'empêcher de rire.
_Ah oui c'est très drôle, dit Raphaëlle par réflexe mais elle souriait en voyant Larani qui rigolait. Ça faisait du bien pour la jeune humaine de ressentir un semblant de complicité s'établir entre elles.
Mais des sons provenant des sous-bois mirent fin à l'hilarité de la Noxum. Elle tourna la tête en direction du bruit.
_Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Raphaëlle en retirant de sa cape quelques feuilles mortes humides.
Même si elle ne comprenait pas sa langue, Larani perçut l'interrogation dans sa voix et lui fit signe de se taire. Elle pointa son oreille puis, avec la même main, une direction dans les bois. Elle se mit alors à marcher d'un pas rapide vers la direction que son doigt pointait à l'instant même. Raphaëlle la suivit, le cœur battant à cause de l'appréhension.
Larani traversait avec agilité les sous-bois, Raphaëlle avec plus de difficulté. Au bout de quelques minutes, elles tombèrent sur un chemin en contrebas. En face d'elles, après les sous-bois s'étalait une petite plaine qu'un chemin pavé traversait. Larani comprit alors rapidement la source du bruit. Sur le chemin en contrebas, il y avait un attelage mené par deux Noxums. Avec leurs bêtes ils tiraient ce qui ressemblait à une cage. Curieuse Raphaëlle s'avança pour tenter de voir de quoi il s'agissait mais Larani l'en empêcha avec son bras. Tant qu'elles restaient dans les sous-bois on ne pouvait pas les voir. Et elles avaient tout intérêt à rester discrète. Car l'attelage était pour le transport d'esclaves Ourks.
Raphaëlle parvint à discerner ce qu'il y avait dans la cage : de grandes créatures, recouvertes d'un pelage épais et avec un visage ayant une forme étrange qui lui évoquait celle d'un chien ou d'un loup. Leurs visages étaient allongés, avec un museau proéminent et noir. Les créatures étaient plus grandes qu'un Noxum et semblaient bien à l'étroit dans la minuscule cage dans laquelle elles se trouvaient enfermées. Quelques petits avaient la tête contre les barreaux, le museau en dehors de la cage pour humer l'air frais. Raphaëlle en les voyants ainsi serrés les uns aux autres sans espace pour bouger ne put s'empêcher de ressentir de la pitié pour ses êtres.
Aussi loin que les esprits s'en souviennent, les Ourks ont toujours servi d'esclaves sur Guilraen. Ils permettaient de se procurer une main d'œuvre puissante pour peu d'argent. C'est sûrement leur force physique qui les désigna comme les meilleurs esclaves de tout Guilraen. La plupart de ces Ourks asservis étaient des enfants d'esclaves et acceptaient leur statut avec une certaine fatalité. Mais quelque fois, quand ils se faisaient rares, quelques Yrodiens allaient piller et saccager les terres septentrionales pour ramener quelques Ourks libres à vendre.
Raphaëlle s'avança légèrement. Aussi stupide que cela puisse paraître, elle avait envie de descendre, de quitter les sous-bois et d'aller aider ces êtres. Mais elle se doutait que la technique employée avec Liouk ne fonctionnerait pas ici. Si ces deux Noxums avaient réussi à enfermer ces créatures dans cette cage, en quoi représenterait-elle une menace pour eux?
Mais Larani la retint en posant la main sur son épaule. Si elles se retrouvaient en prise avec des marchands d'esclaves, ils essaieraient sûrement d'emmener la jeune humaine avec eux. Après tout, il y avait toujours quelques riches seigneurs et collectionneurs Noxum qui seraient heureux de payer le prix fort pour une créature rare et étrange. Non il valait mieux s'en aller le plus vite possible, avant que les commerçants Noxums ne les aperçoivent.
En plus, Larani devait se l'avouer ce spectacle était commun pour elle. On voyait régulièrement, dans les marchés de certains quartiers de Rêmes, des marchands d'Ourks sur le devant de scènes improvisées vanter la qualité de leur marchandise, leur vigueur ou leur obéissance. Larani ne pouvait plus s'indigner devant un spectacle qu'elle voyait si couramment.
Mais tout cela Raphaëlle l'ignorait et il lui restait en bouche un goût amer. Elle ne pouvait cesser de penser à ces créatures aux yeux noirs, serrées les unes contre les autres en cage et emmenées vers une destination inconnue contre leur gré.
Cet événement vint jeter comme une ombre sur le reste de leur voyage. Comme si la soudaine complicité que la chute de Raphaëlle avait fait naître s'était envolée bien loin aussi rapidement qu'elle était apparue.
Le temps aussi était devenu plus maussade. La nuit du cinquième jour un orage éclata, empêchant les deux voyageuses de dormir, toutes serrées qu'elles étaient sous leur unique tente. Et bien que Raphaëlle n'aie jamais eu spécialement peur de l'orage, cette nuit-là elle ne put réprimer des frissons d'effrois lorsque la lumière des éclairs projetèrent des ombres étranges sur la toile de leur tente. Le vacarme du tonnerre quant à lui l'empêchait de discerner les sons réels de ceux créés par son imagination. Était-ce une bête qui avait poussé cet hurlement dans la nuit? Dans ce monde inconnu impossible de savoir ce qui aurait bien pu émettre un tel son.
Mais ce fut le lendemain que l'orage révéla tous ses méfaits. En effet, la terre était à présent détrempée par la pluie et la marche se révéla encore plus laborieuse dans la boue. Larani et Raphaëlle étaient toutes les deux complètement trempées, le bas de leurs vêtements était maculé de bouillasse, et la jeune humaine ne pouvait s’empêcher de claquer des dents : l’orage avait apparemment aussi fait chuter la température, et un vent froid annonciateur d’un rude hiver soufflait sous les arbres au feuillage automnale. Raphaëlle commençait à regretter les sous-sols d’Alik et se demandait bien jusqu’où la Noxum comptait l’emmener ainsi. Et les vivres qui diminuaient a vu d’œil n’aidaient en rien à rendre ce voyage moins morose.
Larani voyait bien tout cela mais, et même si elles croisaient quelques villages sur leur route, sa bourse presque vide ne lui aurait pas permis d’acheter quelques vivres. Pourtant la plupart des paysans Noxums avaient le sens de l’hospitalité et la plupart auraient accepté de partager un repas. Mais Larani était d’une nature trop fière pour quémander un peu de nourriture. Puis elle n'avait pas trop envie que des bruits sur une créature à la peau blanche accompagnant une Noxum se répandent.
Le reste de leur voyage se déroula ainsi : dans le silence et le froid. L’esprit de Raphaëlle s’était comme éteint pour ne pas penser à la fatigue et à la faim. Elle restait silencieuse. Elle en avait assez de tout ça. Elle aurait aimé rentrer chez elle, quitter tout ça et enfin se réveiller un beau matin dans son lit. Chaque matin, en se réveillant, elle gardait les yeux fermés pendant un certain moment en espérant qu'elle se réveillerait enfin chez son père. Mais l'odeur de la forêt, des feuilles mortes et de l'humus la ramenait toujours à la réalité. Pas d'odeur familière, ce mélange de tabac et de café qui régnait toujours chez son père.
Au matin du septième jour, Larani et Raphaëlle quittèrent les sous-bois pour la campagne. Le temps s’était adouci : le vent avait cessé de souffler, le temps restait gris mais au moins leurs vêtements étaient secs. Elles étaient toutes deux dans un état épouvantable : les traits tirés par la fatigue, le bas de leurs robes et pantalons pleins de terres, de boue séchée.
C’est dans cet état qu’elles arrivèrent vers la demeure des Ethènes. Tout ce que pouvait en voir Raphaëlle était un immense mur de pierres qui encerclait toute la propriété surplombant une colline. Contrairement aux murailles de la cité d’Alik, ceux-ci étaient droit et semblaient être entretenus assez régulièrement pour que de la mousse ne s'y installe pas. Le sentier de terre avait laissé place à des pavés. La montée de la pente se révéla quelques peu difficile d'autant plus que les pavés étaient humides : les baskets usées de Raphaëlle ne l'aidaient pas vraiment à tenir debout. La jeune fille était tellement concentrée pour tenir sur ses deux jambes qu'elle ne fit pas attention au gardien qu'on pouvait apercevoir à quelques mètres et qui ne les quittait pas des yeux.
_ Mets ta capuche ! Lui demanda Larani.
Bien évidemment elle ne comprit pas ce que lui dit la Noxum mais celle-ci s’exécuta lorsqu'elle lui montra du doigt le guetteur près de la porte. Raphaëlle était déjà naturellement méfiante, même quand elle était encore dans son propre monde.
Le gardien gardait une porte immense faite de bois et de fer. Cette demeure impénétrable excitait la curiosité de la jeune humaine. Quel genre de personne pouvait bien habiter dans un tel endroit ?
Lorsqu'elles furent à la portée du gardien ce dernier les héla, les sommant d'annoncer leur identité et la raison de leur venue.
_Je me nomme Larani, j'appartiens à la maison des Thélènes et je désire m'entretenir avec le seigneur des lieux.
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