Chapitre 6
Le jour s'était levé depuis de nombreuses heures quand les paupières de Raphaëlle se décidèrent enfin à s'ouvrir. Elle resta dans ce grand lit, emmitouflé dans les couvertures comme dans un cocon sans bouger. Elle appréciait cet état heureux entre le sommeil et l'éveil où les souvenirs des derniers événements semblaient distants, comme irréels. Puis elle passa sa main sur sa tempe. Quelque chose de froid et lisse lui ramena à la réalité. Elle était dans un autre monde, un monde où elle était une étrangère. La discussion avec Alanet et Larani lui revint : elle devait trouver un moyen de rentrer chez elle.
Mais un bruit venant de son estomac la ramena à des réalités beaucoup plus terre à terre et surtout beaucoup plus pressantes : elle était affamée. Elle s'aventura donc dans le couloir à la recherche des cuisines.
Mais pour tout dire elle avait toujours autant de mal pour s'orienter dans la demeure familiale d'Alanet. Elle tournait dans les couloirs sans trouver la direction des cuisines lorsqu'elle tomba sur l'une des domestiques. Elle nettoyait un des nombreux bibelots qui se trouvaient dans le manoir.
Raphaëlle s'adressa à elle quelques peu hésitante:
_Excusez-moi de vous déranger, je suis, enfin... J'ai très faim et je me demandais si vous pourriez me dire où sont les cuisines.
La domestique garda la tête baissée comme si elle ne l'avait pas entendu. Raphaëlle répéta sa demande, mais la domestique continua son travail sans même la regarder, où lui adresser la parole.
_ Suivez-moi, je vais vous conduire à la salle à manger.
Raphaëlle se retourna et vit Ekine, la jeune épouse d’Alanet. Elle était vêtue d'une longue robe blanche vaporeuse qui lui donnait un air gracieux.
_ Je suis désolée, je ne voulais pas vous déranger, c'est juste que...
Raphaëlle se sentait quelques peu intimidée par Ekine. Elle ne savait pas d'où cela venait.
_Ce n'est rien, voyons, tu es notre invitée et j'aimerais que Nakil le garde en mémoire, n'est-ce pas Nakil?
La dénommée Nakil resta murée dans son mutisme.
_Nakil m'avez-vous compris?
_Elle n'est pas comme nous, elle est différente.
Alors Ekine durcit sa voix et Raphaëlle comprit pourquoi cette dernière l'intimidait comme ça.
_ Nakil, vous êtes à mon service et au service de cette maison. Vous recevez un salaire pour accomplir ce travail et ce travail comprend aussi l'accueil des invités. Alors je vous prie de garder vos superstitions ridicules pour vous. Vous pourrez par ailleurs transmettre ce message aux autres...
Raphaëlle suivit alors Ekine sans rien dire encore stupéfaite par l'échange auquel elle avait assisté. Elle en déduit que les domestiques avaient peur d'elle. Certains comme la jeune Nakil n’osaient même pas lui adresser la parole. C'était assez ironique pensa Raphaëlle. C'était sa peau blanche qui lui permettait de passer inaperçue dans son monde et ici c'était cette même peau blanche qui faisait d'elle un être étrange.
_Je suis désolée.
Ce fut au tour d'Ekine de se montrer surpris.
_ Et désolé de quoi je te pris?
Raphaëlle resta silencieuse.
_ J'ignore pourquoi toi et les siens êtes ici, mais je doute que tu mérites d'être le sujet de tant de peur. Après tout, parmi toutes les créatures qui peuplent Guilraen, ton espèce est une de celles qui ressemblent le plus aux Noxums.
Ekine la mena jusque dans la salle à manger, où elle fit servir un repas à Raphaëlle. Cette dernière regarda avec surprise la table se garnir de victuailles, Ekine l'invita à s'asseoir. Raphaëlle n'osa pas se servir tant les plats rivalisaient de couleur. Elle commença juste en prenant une galette qui lui évoquait celles qu'elle avait déjà mangées avec Larani. L'épouse d'Alanet lui proposa un breuvage chaud, dont l'amertume évoquait vaguement le café. Raphaëlle accepta et bu plus par politesse, tant la boisson n'était pas à son goût.
Tout en mâchant, Raphaëlle dévisagea avec insistance son hôte. Elle savait que cela aurait pu paraître inconvenant, mais dans sa situation, elle se disait que se conduire comme une jeune fille modèle était le dernier de ses soucis. La Noxum soutint son regard. En regardant son visage, son maintien, Raphaëlle pu mettre un mot sur ce qui la mettait mal à l'aise face à Ekine. Une sorte de raffinement dont elle se sentait totalement exclu.
Raphaëlle détourna le regard et prit un des fruits étranges qui se trouvaient sur la table. Elle en prit un rouge vif qui lui évoquait une poire par sa forme. En croquant dedans, elle s'aperçut que la peau ferme du fruit dissimulait une texture onctueuse. Du jus dégoulina de ses lèvres. Raphaëlle marmonna un vague pardon en cherchant à s'excuser.
_Skoum, dit Ekine.
_Quoi, demanda Raphaëlle la bouche encore légèrement pleine.
_Skoum, c'est le nom de ce fruit que tu dévores, et que tu sembles apprécier.
Ekine dit cela avec un sourire si chaleureux, qui mit un peu plus à l'aise la jeune fille avec la Noxum au ventre arrondis.
Le reste de la matinée se passa sans encombre. Ekine la quitta pour vaquer à ses occupations. Raphaëlle erra dans les couloirs, complètement désœuvrée. Elle se baladait donc en regardant avec curiosité toutes les babioles, les meubles qui ornaient les pièces du manoir. Elle fut bien surprise de ne croiser personne. Mais après tout se dit-elle les domestiques faisaient peut être tout pour ne pas tomber sur elle.
Elle s'arrêta devant un tableau qui l'interpella. Il trônait dans un petit salon, une sorte de boudoir, au milieu d'un mur. Il ressortait étrangement entre ses fauteuils épais, ses guéridons, et bibliothèques. Il était bien plus grand que tous les portraits que Raphaëlle avait déjà pu voir dans le manoir. En s'avançant elle vit que le tableau représentaient d'étranges créatures en train de discuter sur une place. Le style et la représentation évoquait ces tableaux classiques qu'elle avait eu l'occasion d'étudier en cours.
Elle reconnut parmi les créatures un Noxum et un Ourk, les autres lui semblaient bien étranges. Le Noxum tenait un parchemin entre ses mains bleues et lisaient son contenu aux autres créatures. L'Ourk, lui, était dans une situation moins enviable. Il était représenté tête baissé, l'échine courbée et tenu en chaîne par un animal évoquant un lézard se tenant sur ses deux pattes arrière.
Et soudain, en voyant toutes ces étranges créatures, Raphaëlle eut comme le tournis. Jusqu'à présent elle pensait être dans une île inconnue, où je ne sais quelle sorte de terre encore non découverte par l'homme. Mais ce tableau avec toutes ces créatures tout droits sorties d'un film de SF de série B... Comment était-elle arrivée ici? Et où est ce que se situait cet ici? Et pourquoi s'y trouvait-elle? Enfin s’il y avait un pourquoi...
Et toujours ce même vertige qu'elle ressentait quand l'immensité d'un objet, d'une idée la renvoyait à sa propre petitesse... Elle se sentait si minuscule, si incapable...
Le monde de Larani était sûrement aussi ou bien plus vaste que la terre. Les Noxums ne lui paraissaient plus aussi étranges en comparaison des autres créatures qu'elle voyait peintes sur ce tableau: Ce lézard qui tenait en chaîne un Ourk, et à son côté une créature à la peau terne et dont deux membranes s'étendaient de ses bras sur son flanc jusqu'au niveau de son genou, à la manière d'une chauve-souris. Raphaëlle tendit son doigt machinalement vers le tableau.
_Même si ce tableau a l'air de te plaire, on ne touche qu'avec les yeux, jeune humaine.
Raphaëlle se retourna les cheveux dressés sur la tête sous le coup de la surprise. C'était Alanet qui lui souriait amicalement.
_Enfin je dis jeune humaine, mais j'ignore si les tiens te considère comme une adulte ou une jeune, avec ta petite taille c'est difficile de juger. Pour les nôtres tu as la stature d'un enfant. Mais tout est histoire de perspectives, pour les Alergodes tu serais une géante après tout.
_ Je suis très bien pour une humaine, répliqua Raphaëlle peut être légèrement vexée par la remarque d'Alanet. Et ce tableau m'intrigue un peu. Dites Alanet, qu’elles sont les créatures sur ce tableau? Je reconnais un Noxum au milieu et un Ourk sur le côté.
_Ce sont les créatures conscientes de Guilraen. Tel que l'on voulut les anciens dieux des légendes. Je dois t'avouer que je ne prends pas très au sérieux ce genre d'histoires. Et les Noxums sont nombreux à être de mon avis. Quelques fêtes sont célébrées en leur honneur mais c'est plus l'occasion de faire des fêtes qui réunissent le peuple au-delà des différences sociales. D'ailleurs chaque peuple possède sa propre mythologie où il se donne le bon rôle. Ce tableau a été peint par un obscure peintre Noxum. Une commande faite par un noble qui avait à cœur de mettre en valeur son propre peuple. Tu vois comment le Noxum est représenté au centre, avec ce parchemin, comme si il souhaitait éduquer les autres espèces? Mais si tu le veux je peux te lire un texte que je trouve bien plus intéressant. Il est dans un livre Sygrine, nommé contes et légendes Cyrébardiennes. C'est une version bien plus intéressante, si je peux me le permettre, car pour les Cyrébardes, tu vois la petite créature sur le côté du tableau, chaque espèce à son rôle à jouer. Attends ici je te ramène le livre.
Et Alanet partit quelques minutes avant de revenir avec l'ouvrage en question. Un livre massif à la couverture en cuir d'un rouge rappelant les yeux d'Alanet. Sur la couverture le titre était écrit dans une langue que Raphaëlle ne pouvait comprendre. Le traducteur qui était implanté sur sa tempe reconnaissait ici ces limites.
_ Alors, attends que je retrouve le passage...
_À quoi ressemble les Sygrines? Demanda Raphaëlle.
_C'est celui juste à droite du Noxum. À côté de l'Ourk enchaîné et de l'Yrodien.
La créature était celle que Raphaëlle avait déjà remarquée. Elle se demandait si ses deux membranes lui permettaient de voler...
_Ah! Voilà, la création du monde selon les Cyrébardes. Écoute bien :
Quand les dix bâtisseurs eurent finis de faire de Guilraen, car c'est ainsi qu'ils choisirent de nommer ce nouveau monde, une terre fertile, ils décidèrent de la peupler de créatures mouvantes qu'ils nommèrent animaux.
Des poissons pour peupler les océans, des oiseaux pour parcourir les cieux et une multitude de créatures rampantes, vagissantes et galopantes pour fouler la terre.
Les dix bâtisseurs se reposèrent alors pour observer leur création, ils étaient emplis de fierté. Mais l'un deux trouvaient que les espèces animales et végétales ne suffisaient pas. Il manquait à ce monde des êtres capables d'observer la beauté de Guilraen et d'apprécier leur ouvrage. Des créatures capables de créer à nouveau et d'assurer l'évolution de Guilraen.
Ils créèrent alors les espèces conscientes. Des êtres dont la pensée pouvait atteindre celle des bâtisseurs. À chacune de ces espèces furent enseigné un art et une terre conférée.
Aux Yrodiens les farouches guerriers les terres méridionales et l'art des lois.
Aux Ourks au pelage épais les terres septentrionales et l'art de la forge.
Aux Noxums à la peau bleu le continent tempéré et l'art de l'agriculture.
Aux Sygrines aux ailes immenses, les falaises du continent oriental et l'art de la navigation aérienne.
Aux Némades à la course rapide, les plaines du continent oriental et l'art de l'élevage.
Aux Samiens au corps léger, les forêts du continent occidental et l'art de la médecine.
Aux Perribes, à la vue perçante, les rivages du continent occidental et l'art de l'astronomie.
Aux Alergodes, aux mains agiles les montagnes du continent oriental l'art de la mécanique.
Aux Cyrébardes, les nomades, aucunes terres ne fut attribuées mais l'art de l'écriture et des contes.
Et enfin aux sages Balneks les océans et l'art de la pensée et des songes.
Après avoir accomplis tant de chose, les bâtisseurs décidèrent de se reposer. Ils avaient enseigné à chacune des espèces un art et espérait les voir communiquer et échanger leur connaissance pour fonder des civilisations.
Les différents peuples vivaient dans une paix harmonieuse.
La seule règle était de ne pas mélanger les espèces. Les amours entre espèces ne donnaient pas vie à une progéniture viable, et les bâtisseurs voulaient voir tous leurs peuples croître et évoluer. C'est pour cela que cette loi fut la plus terrible et qu'aucun être d'aucune espèce n'osa l'enfreindre.
Les peuples de Guilraen et les bâtisseurs vécurent en paix de longues années, de longs siècles en harmonie. Chaque peuple communiquait si bien avec ses voisins, que bientôt aucune science ne resta étrangère à aucun peuple, excepté le savoir obscur des Balneks. Leurs chants, bien que sublimes, demeuraient un véritable mystère pour les autres peuples.
Mais les années passèrent, et les bâtisseurs se retirèrent de la vie des peuples conscients. Peu à peu, ils ne devinrent qu'une légende que nous autres Cyrébardes, les conteurs itinérants nous racontons au coin du feu les soirs d'été.
Jusqu'au jour où une jeune Perribe rencontra un jeune Alergode et que leurs deux cœurs s'enflammèrent. Leur passion était si vive, qu'ils la pensaient directement inspiré par les grands dieux bâtisseurs du passé. De leur union naquit une jeune métisse. Ce crime fit quitter aux bâtisseurs leur sommeil séculaire.
Les bâtisseurs punirent sévèrement cette union. Ils tuèrent l'enfant et punirent les deux amants. Une punition terrible car ils les transformèrent en astres lunaires, des astres condamnés à se frôler pour l'éternité sans jamais pouvoir s'aimer. Nikme et Lanouki étaient leurs noms.
Mais les bâtisseurs punirent aussi leur peuple respectif. Les bâtisseurs punirent les Alergodes et les Perribes à vivre dans parmi les autres peuples, selon leur bon vouloir et sans la moindre liberté.
Après cela les bâtisseurs plongèrent dans un profond sommeil abandonnant ce monde dont ils s'étaient lassés au bon vouloir de ses habitants.
_Et voilà, cela continue mais c'est le passage le plus intéressant à mon humble avis. Mais il est clair que cette version ne plaît pas à nos belles têtes dirigeantes. Ça ne leur convient pas que les Noxums soient décrits comme un peuple de paysans... Pourtant il est indéniable que nos terres sont fertiles, et que Rêmes tire en grande partie sa richesse de l'export de denrées alimentaires... Mais bref, je m'égare et tu veux peut être me poser des questions? Dit-il avec un sourire en coin.
_Alors Vous n'êtes pas les seules créatures qui peuplent ce monde?
_Oh non! Bien au contraire, même si les Balneks ne sont rien qu'une ...
_Et pour les Ourks? Le coupa Raphaëlle animée d'une nouvelle énergie. Pourquoi sont-ils vos esclaves?
_Les Ourks à l'état sauvage sont frustres. En les prenant sous notre coupe...
Raphaëlle repensa à l'Ourk avec son bébé dans les bras qu'elle et Larani avaient croisé durant leur voyage pour venir ici. Elle coupa alors nette Alanet dans ses explications.
_Ah, ils attachent aussi à des arbres tous les Noxums qu'ils croisent? Dit-elle non sans une certaine once d'ironie.
_N'rof est particulier, tu sais Raphaëlle, il s'est montré dangereux, ma femme est enceinte, en temps normal je me serais montré moins radicale. Mais là je ne voulais pas courir de risques. On ne sait jamais avec ces animaux.
_ Et si j'avais ressemblé plus à un Ourk qu'à un Noxum vous m'auriez attachée aussi? Par mesure de précaution?
Alanet parut quelque peu décontenancé. Une première. Raphaëlle ne se sentait pas peu fière. Elle n'était peut-être qu'une étrangère ici, mais elle se devait d'affirmer son caractère. C'était tout ce qui lui restait ici ou dire qu'elle se nommait Raphaëlle Roland, qu'elle était lycéenne, que son père était un fan de groupes de rocks, et un tas d'autres choses que l'on dit dans son monde pour se présenter et qui ici ne rimait à rien.
_Je suis content que le traducteur ait fonctionné. Commença Alanet mais Raphaëlle s'éloignait déjà.
Raphaëlle savait pertinemment qu'elle était loin d'être discrète avec toutes ces victuailles dans ses bras. Mais de toute manière les domestiques de la maison la fuyaient alors elle pouvait bien faire ce qui lui chantait. On ne lui avait d'ailleurs rien dit quand on la vit se servir sur la table pas encore totalement débarrassée. Elle avait pris tout ce qu'elle avait pu quelques fruits, de cette galette que Raphaëlle rapprochait du pain, et d'autres aliments. Elle aurait aimé ramener quelque chose de plus consistant, de la viande par exemple, mais il ne restait plus que ça.
Elle traversa quelques couloirs avant de se retrouver dans le jardin. Un soleil éclatant l'accueillit. À Guilraen c'était un automne flamboyant qui commençait quand dans son monde on était en plein été. Le temps était superbe mais la laissait songeuse. Elle s'avança dans le jardin, les arbres arboraient des couleurs chatoyantes. Elle chercha l'arbre où était enchaînée N'rof. Elle aperçut un arbre à l'écorce abîmée. Apparemment N'rof n'était pas le seul Ourk qui s'était retrouvé enchaîné à un arbre...
Elle vit enfin celui qu'elle cherchait. Masse blanche sous les arbres au feuillage roux. Il semblait presque irréel, là, endormi sous les arbres, immobile. Elle se mit à courir vers lui. Il la sentit arriver avant même d'ouvrir les yeux pour la voir. Il souleva ses paupières, révélant ses yeux noirs comme des billes. Il se releva et la salua avant de regarder avec intérêt ce qu'elle tenait entre ses bras.
_Tu es venu me voir et tu as pensé à ramener à manger avec toi?
_Oui j'ai pris ce que j'ai pu...
_Tu parles, après les jours que j'ai passé sans manger, ce que tu me ramènes ressemble à un véritable festin.
Raphaëlle le regarda dévorer non sans bruit la nourriture qu'elle lui avait amenée. Elle attendait en silence qu'il eut fini pour lui annoncer ce qu'elle avait en tête. Elle se demandait si elle faisait le bon choix. Au final, était-il mieux de lui faire confiance à lui?
Quand N'rof eut fini, il émit un rot sonore avant de remercier aussi chaleureusement que possible Raphaëlle.
_Pour tout te dire, commença Raphaëlle, ce repas n'était pas innocent. J'ai quelque chose à te proposer.
_Quel genre de chose? Questionna N'rof.
_ Un marché.
Si Raphaëlle avait croisé plus d'Ourks elle aurait su lire les signes de la surprise sur le visage de N'rof. Mais elle ne remarqua pas les deux oreilles de N'rof se dresser, et les babines qui se retrousser brusquement.
_Et quel genre de marché?
_ Nous sommes tous deux ici contre notre gré. N'est-ce pas? L'Ourk acquiesça. Je te propose que nous nous aidions mutuellement à rentrer chez nous.
N'rof éclata de rire. Raphaëlle se sentit soudainement ridicule.
_ Et comment comptes-tu t'y prendre? Les Oumains peuvent-ils fondre les métaux par la pensée dit-il en tendant ses mains enchaînées vers Raphaëlle.
_ On dit humains, et non je ne possède pas ce pouvoir mais je veux bien demander à Alanet de te faire libérer...
_ Et pourquoi ferais tu ça?
_ Je te l'ai dit j'ai besoin d'aide pour rentrer chez moi. Tu m'as vu? Je serais incapable d'entreprendre un tel voyage seul. En plus je ne connais rien à ce monde, comment est-ce que je saurais où se trouve Rêmes?
_ Et la Noxum qui t'accompagne?
_ Ici, c'est son monde, pourquoi m'aiderait-elle? Qu'est-ce qu'elle aurait à y gagner?
_ La curiosité est une bonne motivation, non?
Larani était là, juste derrière Raphaëlle. Elle fixait la jeune fille de ses yeux rouges.
_ Vous allez parcourir la moitié du pays et m'aider juste par curiosité? Questionna suspicieusement Raphaëlle.
_ Le savant dont t'as parlé Alanet vit à Rêmes. Et pour des raisons personnelles, je dois me rendre à Rêmes. T'y amener ne me posera donc aucun problème. Et puis honnêtement, tu pensais trouver Rêmes toute seule? Sans même connaître la direction?
_ Justement je pensais que N'rof...
_ Que N'rof quoi? Qu'il aurait pu te guider à travers tout le pays? N'rof est un Ourk, Raphaëlle! Ici les siens sont considérés comme des serviteurs par nature! En plus, N'rof est un Ourk sauvage, il ne connaît rien à ce pays contrairement à certains des autres Ourks qui servent les Ethènes depuis des générations. Et puis Rêmes ne se situe pas une semaine de marche! Avec le transcontinental il faut déjà plusieurs jours alors à pied ça te prendrais des mois!
Larani ne cessait pas d'énoncer de nouveaux arguments. Car après tout c'était elle qui avait décidé de ne pas laisser Liouk l'emmener chez les gardiens de la liberté. C'est grâce à elle si Raphaëlle était libre aujourd'hui, et qu'elle pouvait bénéficier du traducteur d'Alanet. Larani ne pouvait s'empêcher de se sentir blessée que Raphaëlle ne lui fasse pas confiance. Ce voyage ne se ferait pas sans elle.
_ Alanet j'aurais besoin que tu finances une expédition!
Larani le savait. Son ami était friand de ce genre d'entrée en matière qui excitait sa curiosité.
_ Et quel genre d'expédition?
_ Une expédition pour ramener une jeune humaine dans son monde.
_ Et comment comptes-tu t'y prendre?
_ Déjà en me rendant à Rêmes et en interrogeant ce savant Arine Nyla... Il donnera sûrement des informations sur le monde de Raphaëlle et comment l'y ramener. Mais le billet de transcontinental coûte cher et mes liquidités sont au plus bas, dit Larani avec un sourire complice. Mais la réaction de son ami ne fut pas celle qu'elle escomptait.
_ Un plan digne des plus grands stratèges.
_ Ne te moque pas de moi. Laisse-moi ça, laisse-moi l'aider me rendre digne de quelque chose. Ma vie depuis la mort de mon grand-père n'est que survie. Comme je ne suis qu'une bâtarde selon les magnifiques lois de ce pays, je ne peux même pas vivre dans la maison dans laquelle j'ai grandi. Je ne vis que du travail que l'on veut bien m'accorder. Alors ne te moques pas de moi Alanet quand je te dis que je veux aider cette jeune humaine à rentrer chez elle, et peut être à retrouver les siens.
_ Larani tu aurais dû accepter l'aider que je te proposais.
_ Ton aide? Mais tu ne comprends donc rien? Ce que je veux c'est simplement vivre selon les valeurs que m'as inculqué mon grand-père. Et vivre à tes crochets n'en fait pas partie.
_ C'est à cause de ce qui s'est passé à Rêmes que tu as refusé mon aide?
Le sourire de Larani s'éteignit brusquement. Elle resta silencieuse fuyant le regard de son ami.
_ C'est donc à cause de ça, dit-il cette fois tout à fait convaincu.
_ Est-ce que Ekine est au courant?
_ Tu crois quoi? Pour quel genre d'homme me prends-tu? Bien sûr qu'elle est au courant de ça. De plus je fais tout pour que l'enfant ait une bonne éducation, j'envoie tout ce qu'il faut à sa mère.
_ C'est vrai que si elle avait accepté de se faire crever le ventre, cela aurait-été plus simple pour toi.
Alanet sentit la colère qui montait en lui. Venant de Larani, son amie d'enfance, cela le blessait énormément.
_ C'était avant tout le choix de sa mère. Et puis après tout une dame de compagnie peut être une bonne mère.
_ Oui c'est vrai que tu es un homme généreux...
_ Larani, arrête ça! Je ne suis pas comme ton père! Je n'ai pas abandonné cette jeune femme, seule avec son enfant.
_ J'en ai assez de parler de ça, je vais prendre l'air. On reparlera plus tard pour le voyage à Rêmes.
Larani s'éloigna, le cœur lourd de vieux souvenirs.
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