La maison

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Mon cœur bat. Mes nerfs et mes muscles sont tendus.

Je n’ai pourtant pas couru. Je suis là, après tout ce chemin, devant la maison, fière et silencieuse, dressée au milieu de cette pelouse qui s’étire jusqu’à mes pieds. Pelouse garnie de cette ligne de dalles qui m’invitent silencieusement à me lancer dans l’aventure.

Ce n’est pas de la fatigue ; c’est de la crainte. L’adrénaline.

La petite brise que je sens passer entre mes cheveux et glisser sur ma peau ruisselante de sueur froide me fait frissonner plus fort.

Je respire un bon coup, je déglutis, ferme les yeux. J’avance ma jambe, commence ma marche en direction de la maison. Mon arme serrée dans mon poing crispé.

Alors que j’avance doucement, je me prépare. J’ai beaucoup entendu parler de cette maison. Imprenable, paraît-il. On y entre, on y meurt, personne ne sait ce qu’on y devient ensuite et tout le monde a une vague idée de la cause de tout ça. Mais personne ne l’a jamais prouvé. Personne ne souhaite entrer dans cette bicoque, par peur. Le peu de braves gens qui s’y sont risquées étaient mal intentionnées, selon les on-dit, et se sont conséquemment fait descendre sur-le-champ.

L’explication la plus acceptée parle d’un gardien. Un gardien dans la maison. Un gardien qui la protège contre toute la menace extérieure. On ne l’a jamais vu, il ne sort jamais, on ne sait même pas à quoi il ressemble, s’il s’agit ou non d’un être humain, de quelqu’un de connu dans le quartier… On ne sait même pas s’il dort. Et, si oui, nul ne sait quand et encore moins pendant combien de temps.

Tout en marchant, j’essaie de réguler ma respiration, de me détendre. Les personnes mal intentionnées qui avaient tenté avant moi de braver la maison imprenable avaient toutes été liquidées. Ce n’était pas mon cas. J’avais donc peut-être une petite chance de m’en sortir. Voilà ce que je me répétais en boucle. Pour me donner du courage. Pour affronter ma peur grandissante.

Alors que je traverse la pelouse et que la distance qui me sépare de la porte fermée se réduit, j’inspecte de temps en temps la maison.

Les fenêtres sont fermées et à moitié voilées par des rideaux épais, laissant voir un intérieur sombre. D’autres fenêtres, situées plus haut sur la façade de la bicoque, sont masquées par les volets rabattus. Malgré son silence pesant et son inertie inébranlable, elle n’a pourtant pas l’air si abandonnée que ça. Mais le fait est que personne ne l’avait achetée, officiellement, malgré le fait qu’elle soit depuis longtemps connue pour être inhabitée. Depuis même bien avant que sa sinistre réputation ne se répande dans le voisinage. Et ça fait déjà quelques mois que ça dure, cette histoire. C’est dire.

Je sors de mes réflexions, je m’aperçois que je suis au pied de l’escalier menant au palier. Je lève les yeux lentement, fixe la porte du regard pendant un laps de temps qui me paraît une éternité. Je déglutis une dernière fois et, bras et jambes tremblants, je m’engage bravement dans l’escalier.

Chaque marche franchie me semble une épreuve. J’ai l’impression, en levant la jambe, de lutter contre une pesanteur infiniment lourde et, en soulevant mon corps, de peser le triple du poids d’un camion citerne. Mes jambes n’en faisaient que trembler davantage.

J’arrive enfin sur la sixième et dernière marche. Je prends le temps de souffler, respirer profondément. Ma tension m’avait donné l’impression de faire un effort olympique pour gravir cet escalier. Qu’est-ce que ce sera quand j’aurai pénétré dans la maison ? Curieusement, il ne me tarde pas plus que ça de le savoir…

Je me retourne, sonde le voisinage des yeux. Le quartier est silencieux, imperturbable. Pas un chat pour traverser la rue ou se lécher la patte sur le palier ou la rambarde d’une des maisons voisines. Je jette un regard à l’extrémité du jardin, qui me paraît tout à coup se situer à l’autre bout du monde, avec le portail que – je m’en aperçois seulement maintenant – je n’avais pas fermé après mon entrée dans la propriété privée. Je voyais les arbres dressés ici et là dans le quartier danser légèrement sous le doux chant du même vent qui continuait de me rafraîchir.

J’ai fait tout ce parcours malgré la peur qui continue de grandir en moi, je ne peux que difficilement reculer maintenant. Je me tourne vers la porte, toujours fermée. Je la fixe durement, me faisant violence pour l’approcher. Je ne vérifie pas si elle est verrouillée ou non, tout le monde sait qu’elle ne l’est jamais.

La rumeur dit d’ailleurs que c’est la raison des premières disparitions qui ont formé la réputation de cette baraque. Les premières personnes mal intentionnées – je rappelle, le seul genre de personnes à oser s’aventurer sous ce toit – s’étaient aperçues de ce fait et, sachant l’habitation abandonnée depuis une date impossible à situer précisément, avaient été appâtées par les potentielles richesses qui y dormaient, n’attendant que d’être découvertes. Elles y étaient donc entrées sans se poser plus de questions. Le voisinage aurait alors entendu quelques coups de feu ; le fait est que ces pauvres diables n’avaient plus jamais refait surface.

En y repensant, à supposer que tous ceux qui sont disparus entre ces quatre murs ont effectivement été abattus, je commence à me demander si la maison a gardé tous ces cadavres… je ne l’espère pas, osant à peine imaginer quelle odeur m’attend à l’intérieur. Sans omettre que si c’est le cas, ils doivent être affreusement nombreux…

Cependant, me voilà ici, sur le palier, m’apprêtant à ouvrir la porte, mon arme au poing. Non, je ne peux décidément plus reculer.

Plus maintenant.

Prenant une inspiration, je lève mon pistolet, tire doucement la culasse, tentant de faire le moins de bruit possible, afin d’éviter de réveiller la bête.

Je ferme les yeux. Déglutis. Encore.

Quand faut y aller, faut y aller, me dis-je.

Pressant la poignée de la porte, je pousse doucement celle-ci. Son grincement me fait grimacer. Je l’ouvre pourtant entièrement, dévoilant le salon sombre, sans vie, bien qu’aménagé. L’endroit n’est pas poussiéreux. On n’en ressort peut-être pas vivant, mais le lieu a tout de même l’air d’être soigneusement entretenu.

La respiration courte, le cœur furieux, le bras crispé sur mon arme à feu levée à hauteur de mon visage tendu et prête à tirer, les jambes tremblantes, je m’avance lentement.

Alors que je pénètre à l’intérieur de la bicoque, les caresses de la brise fraîche cessent. Son souffle s’amenuise, cédant la place au poids du silence, me laissant là, avec moi-même, dans cette maison lugubre.

Le salon jouxte la cuisine, aménagée elle aussi, mais pourtant aussi sans vie et sombre que son voisin. Rien ne sépare ces deux pièces distinctes, mis à part le chambranle de trois mètres de large et deux de haut qui permet l’accès de l’un à l’autre. Je prends une nouvelle inspiration et continue mon chemin, m’attendant chaque seconde à entendre le coup de feu qui mettrait fin à mon parcours.

Là où prennent fin le salon et la cuisine, un couloir m’attend, plus sombre que les deux premières pièces. J’ai des sueurs froides à l’idée de m’y risquer mais, comme dit tout à l’heure, je ne peux plus reculer maintenant.

Alors que j’y arrive, le bruit d’une culasse non loin fait sursauter mon cœur, accentue mes tremblements et rend ma sueur plus abondante encore. Ce bruit confirme l’hypothèse la plus populaire qui circule sur cette maison : effectivement habitée, celle-ci l’est par un gardien. Un gardien inconnu de tous, invisible de tous, responsable de la mort de tous les intrus.

Je marque une pause dans ma marche, me retournant vers la porte encore ouverte, hésitant à me carapater. Fuir avant de me retrouver nez-à-nez avec lui est encore possible. Je peux encore me sauver. Mais le fait d’avoir mon pistolet avec moi m’aide à me ragaillardir. Je ferme les yeux et poursuit ma progression d’un pas ferme, déterminé… bien qu’encore tremblant de peur.

Le couloir est vierge. Aucun portrait, aucune photo. Pas de lustre, ni même une ampoule qui pourrait l’éclairer. Rien. Que des portes ouvertes sur des pièces que je ne cherche pas à identifier sur ses deux côtés. Un endroit très peu engageant. Plus j’avance, plus mon envie d’atteindre le but de ma petite visite du lieu s’amenuise.

Je pousse un soupir et me reprends. Je repense à mon arme, bien au chaud dans ma main, prête à tirer pour me sauver. J’ai une arme, me dis-je, j’ai une arme… et juste un couloir à traverser… Je peux le faire.

Je pénètre dans l’obscurité de plus en plus profonde, marque encore une pause. J’ai un doute.

Il fait sombre, là-dedans… Même avec mon pistolet avec moi, finalement, je me sens peu en sécurité. Je suis en territoire ennemi, dans l’ombre, avec un inconnu armé à l’intérieur et probablement plus fort que moi. Et puis devant moi règne l’obscurité. Lui me verrait me découper sur l’extérieur de la maison, offert en arrière-plan par la porte d’entrée ouverte. Je n’ai pas l’avantage.

Alors, je le vois apparaître. Une silhouette sombre émergeant d’une porte ouverte sur la droite du couloir, un peu plus loin de l’endroit où je me trouve. Je sens mon cœur s’emballer, ma sueur ruisseler, mes membres se crisper. Ma main qui tient mon arme tremble, mais je n’ose pas lever le bras vers la silhouette, de crainte de l’alarmer, ce qui me serait fatal.

Malgré l’étau qui me serre étroitement la gorge, je déglutis à nouveau, difficilement.

Le voilà. Je me trouve enfin face à lui.

Le gardien. Ou l’homme de la maison. L’autre surnom qu’on lui donne, même si son sexe est encore inconnu.

Il est là, devant moi. Mais je n’en tire pas pour autant une quelconque fierté, bien au contraire. Justement, je préférerais même me trouver à l’autre bout du quartier. D’autant que cet inquiétant inconnu doit très certainement sentir ma peur. Je transpire la peur depuis tout à l’heure.

Le silence pesant en ajoutait à mon angoisse, insupportable. Cette silhouette qui était sortie comme une ombre de sa pièce me fichait la chair de poule et il n’y avait pas un bruit. Seulement ma respiration courte, saccadée par l’angoisse.

Alors que ma peur paralyse mon bras armé, la silhouette lève son bras, armé également. En réponse, par réflexe défensif, je lève le mien.

Mon cœur accélère encore. Mon doigt, crispé sur la détente, refuse cependant d’appuyer.

Nous restons là, tous deux, se tenant mutuellement en joue, dans l’obscurité de la maison de laquelle personne ne ressort vivant. Moi que la tension extrême fait violemment trembler, au bord des larmes ; lui dont l’attitude fermement détendue était troublante, déroutante… angoissante.

Réalisant la situation, mon instinct de survie rejaillit en moi et, plissant les yeux, je cherche à discerner le visage de cette silhouette, afin de bien viser. Pour sauver ma peau.

Tirer. Maintenant. Et me sauver ensuite. Vite, sans me retourner. Aussi loin de possible. Et ne jamais revenir.

Ce que je crevais d’envie de faire depuis le début.

Je lève mon autre bras pour soutenir ma prise sur mon arme et fixer ma visée…

J’entends comme un son… quelque chose comme un petit rire teinté d’ironie. Un rire caverneux. Ma gorge s’assèche. Je commence à paniquer. Cette voix me fait frémir…

J’ai le temps de voir un éclat lumineux avant de sentir mon front exploser.

Sonné, je m’effondre lourdement, alors qu’à mes oreilles retentit la détonation du coup de feu qui…

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