Chapitre 3 - L'Art du jeu
Le jeune homme est resté éveillé tard, hier soir, notant sur ses murs les premiers coups possibles de son adversaire selon sa base de données, en réfléchissant à la réplique idéale qu'il pourrait lui apporter. Seul défaut dans ce plan : rien n'est sûr à cent pour cent. Et si les adversaires changeaient leur composition d'équipe ? Et si Logan se retrouvait, échiquier numéro trois, contre un joueur n'étant ni Maître, ni Grand Maître ? Sa norme se retrouverait compromise.
Le grand brun à la mèche rouge passe la main dans ses cheveux, avant de les couvrir avec sa capuche noire. Il sourit. Lui, il peut percevoir les formes qui composent le monde, alors que les autres ne le voient pas. Cette idée le réconforte dans ses choix vestimentaires tandis qu'il attrappe son sac non pas rempli de vivres, mais de livres d'échecs, ainsi que son échiquier pliable. Il lui sera utile pour le soir, quand il sera à l'hôtel avec Harry, pour l'affronter en partie amicale et continuer ses livres en suivant les coups dessus.
Sa mère l'attend pour le conduire au club. Là-bas, le minibus emmènera l'équipe à Detroit, lieu de la rencontre. Trois heures de route. Le temps est brumeux. Dans le véhicule, les joueurs discutent de leurs futures parties. Logan est assis au fond, à côté d'Harry et de Thomas, le remplaçant, le moins fort de l'équipe, mais chaque joueur compte. Eve et Felix, le capitaine, sont à l'avant. Au milieu, John, Steven et Mohammed. Les matchs d'échecs sont des combats qui se jouent à huit contre huit, chacun sur un échiquier pouvant rapporter un demi-point en cas de match nul, jusqu'à un point en cas de victoire.
– Et sinon, Logan, tu as regardé un peu ce que joue ton potentiel adversaire ?
On lui parle. Qui ose le perturber dans sa réflexion ?
Harry le tape sur l'épaule.
– Bah alors, répond au cap'tain !
– Euh, oui, j'ai regardé ça.
– Parfait, tu te sens prêt ? Pense à la norme de Maître International à la clé !
– À peu près. Il reste tout de même favori...
Les autres se taisent. Tous savent que ce match sera compliqué pour se maintenir en top 12. Logan déverrouille machinalement son téléphone, comme à chaque fois qu'il ne sait plus quoi dire.
3 nouveaux messages.
Maman : Tu as oublié ton déjeuner !!!
Lucy : Bonne chance, je compte sur toi champion !
Eve : Tu parles pas beaucoup, lol. Comment ça va ?
Eve, qui est pourtant assise dans la voiture, lui parle par SMS ? A-t-elle peur d'assumer ses propos, d'être jugée ? Il décide de lui répondre, après avoir envoyé un petit cœur à Lucy, une fille très mignonne de quatorze ans qu'il a rencontrée sur son site d'échecs. Elle n'est pas très forte, mais elle est gentille et réconfortante.
– Ouais. J'aime pas trop parler. Et toi, ça va ? tape Logan avant d'appuyer sur envoyer.
La réponse est directe.
Lucy : Oui, merci ! J'suis trop contente pour toi, tu vas bientôt passer maître !
Logan : C'est à démontrer.
Eve se retourne lentement et lui fait de gros yeux bien ronds. Puis, elle ricane derrière sa main, en voyant le pauvre Logan tout encapuchonné.
Derrière sa mèche, le jeune homme rougit. Le tempérament espiègle de la joueuse doit en faire rougir plus d'un, se dit-il, en voyant deux petites fossettes se creuser dans ses joues.
Le temps est passé vite. Logan est resté tout le trajet à imaginer des positions fictives dans sa tête, jusqu'à en attraper une migraine. Ce jeu rend fou. Les échecs, il y a tant de possibilités, que n'importe qui désirant s'investir dans ce jeu de plateau sombrera dans sa diversité emprisonnante. En quelque sorte, les échecs sont une forme d'art, selon le jeune américain. Mais un art qui se crée à deux. Une collision entre deux armées surpuissantes, ayant chacune un style de combat, des ambitions, des forces et des faiblesses différents.
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