Chapitre 6 - Princesse des échecs

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Le lendemain, New-York l'emporte de peu. Logan sauve le match nul. C'est Eve qui marque le point crucial. Eve, c'est une joueuse vraiment surprenante, qui a grandi dans le club de Brooklyn, Fischer Échecs, avant d'être recrutée par le Central Pawns Chess Club, le meilleur club de New York, fondé il y a dix ans.

Les mois ont passé. Les vacances d'hiver sont arrivées. Lucy a réussi à convaincre Logan de la rencontrer. Bien sûr, il ne compte pas rester longtemps auprès d'elle. Le jeune homme suit un entraînement intensif de huit heures d'échecs par jour, le reste de son temps étant consacré au sommeil, à l'hygiène et à la nourriture.

Il jette un œil à son téléphone.

Lucy : Le train arrive à la gare de New York !

Autour de lui, les passants s'agitent à la venue du train magnétique en provenance de Los Angeles. Midi pile, indique l'horloge principale. Une magnifique jeune fille aux cheveux roses et aux lentilles blanches apparaît. Elle fait un grand signe de main à Logan, puis s'approche.

-- Salut, chéri.

Aucune réaction de la part du mystérieux garçon.

-- Ça ne va pas ?

-- Si, si. Tu veux aller quelque part ?

Elle réfléchit un instant.

-- Je ne suis jamais allée au zoo. On y va ?

Le garçon soupire et accepte. La jeune fille tente de lui prendre la main, mais il l'esquive. Ne rien céder. S'il tombe amoureux, il sera heureux. Mais le bonheur et les échecs sont incompatibles, et il le sait. Sa passion est un puits dont l'eau ne remonte pas. Sans que la pauvre Lucy ne le sache, l'homme qu'elle aime a déjà fait son choix.

Il se met à neiger dans les rues de New York. Une neige noire, sûrement des flocons de pollution. Lucy imite Logan et met sa capuche.

-- T'as vu, je suis comme toi ! s'exclame-t-elle en fermant un œil.

Elle est très mignonne dans sa veste rouge à fourrure blanche et aux oreilles de renard sur la capuche, pense Logan.

Les deux adolescents arrivent devant le zoo. La file d'attente est très longue, en ces vacances de noël.

-- T'es sûre que tu veux aller là-dedans ?

Lucy fixe le visage du garçon. Il tente d'esquiver son regard, mais ses yeux blancs comme la neige finissent par le faire rougir.

-- Tu as l'air magnifique, dit-elle. Tu ne te montres pas ?

-- Mauvaise idée, Lucy.

-- S'il te plaît. Je veux savoir à quoi mon lapin ressemble.

Agacé, Logan répond :

-- Bon, écoute, Lucy. Je fais ça pour te faire plaisir, alors profite de ma présence sans m'embêter. Tu piges ?

Son regard se baisse. La petite princesse au cœur tendre est blessée.

Vient leur tour d'entrer dans le zoo. Désespérée de trouver le chemin vers le cœur de Logan, Lucy prend des photos de toutes les espèces d'animaux. Quant à Logan, il se contente de la suivre, sans parler.

La visite prend fin. Le jeune homme lui propose de la raccompagner à la gare.

-- Tu as oublié ? Je rentre samedi prochain à Los Angeles.

-- Ah bon ?

-- Oui. Et je n'ai nulle part où dormir...

Logan soupire. Il n'a pas le choix, il va devoir s'occuper de cette gamine durant une semaine entière.

Arrivés chez lui, sa mère se réjouit de voir que son fils s'ouvre enfin aux filles. Elle propose à l'invitée de poser son manteau et ses chaussures dans l'entrée. Très vite, elle se rend compte que Logan ne fait pas de même.

-- Ah non, Logan, pas à la maison. J'ai dit OK pour dehors, mais ici, c'est non. Tu vas me retirer ça tout de suite.

Lucy a le regard fixé sur Logan, qui retire d'un grand geste sa cape noire. Puis, elle se met à pianoter sur son téléphone. Celui de Logan vibre aussitôt.

Lucy : Tu es magnifique. J'adore tes cheveux.

Le jeune homme lève les yeux et voit la princesse se mordiller les lèvres. Il lui répond :

Logan : Menteuse.

Lucy : Laisse-moi être la Reine de ton échiquier. Je t'aime, mon Logan.

Logan : Personne ne le peut. Si tu étais ma reine, comment pourrais-je jouer sans t'échanger ?

Lucy : Tu es marrant. Sacrifie-moi comme bon te semble. Tant que tu gagnes après, je me sentirai vivante.

La mère de Logan est partie préparer le repas. Une délicieuse odeur envahit l'appartement. Logan a fait visiter les lieux à la princesse, qui a décidé de dormir dans sa chambre.

-- T'es folle. Il y a ma mère.

-- Ça va, on est grands, on a le droit de dormir ensemble, non ?

-- Tu m'énerves. Tu es collante, à la fin. Elle te plaît pas, la chambre d'amis ?

-- Trop petite.

-- Et le canapé ?

-- Pas de volets dans le salon.

-- Et les toilettes, ça ira ?

-- Tu te fous de moi ?

-- Un peu. OK pour la chambre, mais tu dors par terre.

Fière d'avoir obtenu ce qu'elle voulait, la princesse acquiesce. Ils partent dès lors préparer son matelas. Puis, Logan allume son ordinateur, paré à jouer quelques parties, sous l'œil admiratif de la collégienne.

Son pseudo : Logic. Il a toujours fait rire Lucy. Cette dernière s'installe derrière lui et colle sa tête contre la sienne.

-- Tu me déranges, t'as vraiment que ça à faire ?

-- C'est pour que mon cerveau et le tien ne fassent qu'un.

Elle glisse sa main sur la sienne et appuie délicatement sur son index, entamant une partie contre un adversaire beaucoup plus fort que lui, un Grand Maître.

La princesse clique sur le pion e2 et l'avance de deux cases.

-- Mais je ne joue pas ça, moi ! crie Logan.

-- Un bon Grand Maître doit savoir s'adapter à des situations inconnues.

Ses mains sont si douces que le jeune homme n'ose pas lui demander de la retirer. Sa respiration frôle doucement ses oreilles. C'est comme si son corps et le sien ne faisaient qu'un. La jeune fille continue de jouer quelques coups.

Logan se met à paniquer.

-- Tu vas sacrifier une pièce, là ?

-- Effectivement.

-- Attends ! Tu fais n'importe quoi !

-- Détends-toi. Tu la récupèreras grâce à la force de ton Fou.

Comme dans sa partie contre le Maître, en top 12. Logan est bluffé par le talent de la jeune fille. Soudain, il éprouve une forme d'admiration pour elle. Son cœur accélère. Ses mains tremblent sous l'adrénaline, la peur de perdre la partie. Mais sa princesse le rassure en lui soufflant des mots doux à l'oreille.

-- Tu vois, on s'en est bien tirés.

-- Oui... Lucy, je peux te poser une question ?

-- Quoi, mon chéri ?

-- Tu m'as caché ton vrai niveau ?

La jeune fille se tait un court instant, avant d'avouer :

-- En réalité, je m'appelle Alya Norwen. Lucy est mon pseudonyme, et mon deuxième prénom.

-- Alya... Norwen ? J'ai déjà entendu ce nom quelque part. Tu ne serais pas...

-- Je suis moi aussi Maître International. J'ai obtenu ce titre beaucoup plus jeune que toi. Tu as entendu parler de Judit Polgar ? À l'époque, elle était considérée comme la meilleure joueuse mondiale, avant de céder sa place à Viktoria Melkova. Elle a également détrôné Bobby Fischer pour le titre du plus jeune Grand Maître de l'histoire, à quinze ans et trois mois. Eh bien, dans les médias, on me surnomme Judit, parce que je suis sur le point de devenir Grand Maître.

Logan n'en croit pas ses oreilles. Lui qui méprisait sa petite amie vient de se rendre compte qu'il s'agit d'une joueuse légendaire.

-- Logan Underwood, je crois que tu as un potentiel énorme... et qu'il ne te manque plus que le goût de la prise de risques.

La voix de sa mère les appelle à table. Lucy, ou plutôt Alya, quitte la chambre, laissant Logan seul et immobile comme un personnage de film mis sur pause. Il vient de réaliser que tout ce qui lui manque pour faire partie de l'élite, ce n'est pas un niveau de calcul plus élevé que le logiciel Stockfish 14.0, non... mais c'est plutôt d'envisager, à partir de chaque position, tous les sacrifices possibles et imaginables.

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