chapitre dix

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Après notre soirée sur la plage, j’ai ramené Tess chez elle et je me suis enfin décidée à me rendre chez Raphaël. Dans un premier temps, j’ai été déterminée à lui parler, lui exposer la situation et même confier mes craintes ! Mais je me suis vite dégonflée. Une fois qu’il est apparu devant moi, grand, fort, beau, les yeux remplis de sommeil mais très sexy malgré tout. J’aurais vraiment dû lui en parler, lui demander de m’accompagner à mon rendez-vous, mais je n’ai pas eu la force. Je ne sais pas encore de quoi j’ai peur. C’est un peu confus, c’est un mélange entre l’appréhension qu’il réagisse mal au fait que je lui ai caché quelque chose qui me concerne, qu’il soit terrifié et s’inquiète trop pour moi, qu’il agisse avec pitié et un petit peu aussi qu’il fuit. Je sais qu’il n’est pas du genre à fuir, qu’il n’y a pas de raison que je pense ça mais j’en ai quand même cette appréhension. Alors, à la place, j’ai plaqué mon plus beau sourire et quand il a compris que je mentais, j’ai nié, j’ai reposé toute la faute sur la fatigue. Je m’en veux d’avoir fait ça, je m’en veux de lui mentir et de lui cacher des choses comme ça, mais être honnête est bien plus compliqué encore.

En silence, il m’a emmenée à sa chambre où un film passe sur la télévision accrochée au mur. Je me suis allongée à la place que j’occupe toujours chez lui, à droite, proche de la salle de bain. Il me rejoint et éteint la télévision. Il me demande ce que je veux faire, me propose des sujets de conversations mais je les décline et le pousse à se lover contre moi. Il sent que je me sens mal et dépassée alors, comme à chaque fois que j’angoisse, il passe son bras sous-mon tee-shirt et fait des ronds sur mon ventre. Je ne sais pas comment ni pourquoi, mais seul Raphaël sait faire ça, il est le seul à savoir me calmer aussi vite et aussi efficacement. Comment je vais faire quand il sera à l’autre bout de la France ? Quand je suis de nouveau complètement apaisée, je me relève et vais embrasser ses lèvres douces et charnues. Si au début le baiser se voulait tendre, il devient de plus en plus passionné à chaque seconde qui passe. Très rapidement, la main de Raphaël qui était jusqu’alors posé sur mon ventre remonte et vient caresser avec délicatesse mes seins. Il se relève un peu plus et j’en profite pour attraper le bas de son tee-shirt pour le lui retirer. Appuyé sur un coude, il retire sa main de ma poitrine pour la descendre jusqu’au bouton de mon jean large qu’il défait d’une main habile. De mon côté, je passe mes doigts fins sur le rebord de l’élastique de son boxer Calvin Klein que je finis par retirer en même temps qu’il enlève ma culotte. L’excitation monte rapidement entre nous et, avant d’aller trop loin dans l’acte, Raph cherche un préservatif à tâtons.

***

C'est le jour J. Cette après-midi, j'aurais le rendez-vous qui déterminera probablement le reste de ma vie. Je n'ai pas su faire quoique ce soit après être revenue de chez Raph l'autre jour, après notre nuit d'amour. Depuis que je me suis réveillée ce matin, je suis d’humeur exécrable. Je suis stressée pour le rendez-vous de cette après-midi alors je suis sur les nerfs. Tout ce qu’on me dit me fait monter dans les tours et je cours partout pour finir tout ce que j’ai prévu de faire ces derniers temps mais que je n’ai pas fait, beaucoup trop épuisée. Il ne me reste que deux heures avant le rendez-vous, soit une heure et demie pour tout finir avant de partir. Alors je range ma chambre, fais du ménage, dresse quelques listes pour organiser mon déménagement et d’autres bricoles.

Le temps passe très vite mais en même temps trop lentement. Je ne sais plus comment m’occuper avant le départ mais je ne veux pas rester inactive non plus. Alors je m’occupe, je fais des choses plus inutiles et insignifiantes les unes que les autres en attendant que les minutes s'écoulent. Puis soudain, alors que je suis plongée dans une tâche, il est temps pour moi de partir. Je soupire, je vous l’ai dit, aujourd’hui, je suis d’humeur exécrable, parce que je n’ai pas fini ce que j’ai commencé et j’ai horreur de ça et pars pour mon rendez-vous.

Dans la voiture, je vérifie que j’ai tout ce qu’il me faut et je peux mettre le contact. Je sors prudemment de l’allée pour rejoindre la départementale et la musique tonne dans l’habitacle. Certains morceaux tendances passent et m'agacent mais je ne change pas pour autant, elles ont au moins le mérite de remplir ma tête d’autres choses que des questions sur mon sort. Je fais attention à l’heure d’arrivée prévue. Quinze heures huit. C’est parfait, j’arriverais avec assez d’avance pour ne pas avoir ce stress en plus.

J'arrive sur un des parkings de l'hôpital à l'heure prévue par le GPS. Je fais attention à bien prendre tout ce dont j’ai besoin, la lettre de mon médecin, les résultats de mes examens, ma carte vitale ainsi que ma pièce d’identité. J’ai tout ce qu’il me faut, je peux partir sans avoir à revenir après cent mètres. Je verrouille ma voiture et tiens ferment mon sac, suspendu à mon bras, contre moi. J’avance droit devant moi bien que je souhaiterais faire machine arrière et retourner chez moi, mais je ne peux pas. Quand j’arrive devant les grandes portes automatiques, je prends une grande inspiration et me dirige à l’accueil pour qu'une hôtesse m’indique les directives à suivre. La jeune femme assise derrière son bureau me reçoit aussitôt son appel terminé. Je lui indique le service et l’heure à laquelle j’ai rendez-vous. Elle tape les informations sur son ordinateur et quand elle a trouvé le résultat, la femme de l’accueil m’indique de m’asseoir sur les chaises violettes situées dans le premier couloir à droite. Je suis ses consignes et pars chercher un numéro dans la salle d’attente violette.

Cinq minutes après que je me sois installée, l’écran invitant les patients à se présenter aux bureaux des admissions affiche le nombre 275. Je vérifie une nouvelle fois ce qui est indiqué sur mon papier et me lève quand je me suis assurée qu’il s’agit bien du mien. Face à moi, un homme d’une trentaine d’année, peut-être quarante, me demande une pièce d’identité, la carte vitale et la convocation que j’ai reçu il y a trois jours. Je rassemble les éléments et les lui tends, il les récupère, en fait un copie et imprime les étiquettes qui serviront pour les éventuels examens. Quand on en a terminé, il m’indique le chemin que je dois emprunter pour rejoindre la salle d’attente avant d’être appelé par le médecin.

Je patiente, entourée de divers profils que je détaille discrètement. Peut-être que je serais un d’eux d’ici quelques minutes, ou au contraire, on pourrait me dire que je n’ai rien en commun avec ces personnes et que je peux retourner à ma vie. Certains sont stressés, triturant leurs doigts, pour eux ou pour la personne qu’ils accompagnent, d’autres semblent sereins — ils attendent sans doute une bonne nouvelle. Certains n’ont plus de cheveux, d’autres en ont encore mais pour combien de temps ? Certains ont le teint blafard, d’autres l’ont lumineux. Certains s’occupent en lisant les affiches placardées sur les murs de la salle, d’autres lisent le dossier plus ou moins épais qu’ils tiennent dans leurs mains et d’autres encore ont le regard vide. Pour certains l’attente semble insupportable — je fais partie de ceux-là — et pour d’autres elle n’est qu’une parenthèse dans leur journée. Je pourrais observer ces personnes et en conter les différences toute l’après-midi mais une femme d’un certain âge en blouse blanche annonce mon nom. Son visage est marqué par le temps qui passe, ses pommettes saillantes et ses yeux cernés. À première vue, j’aurais dit que cette femme serait apathique et austère. Mais le ton et le grain de sa voix sont tout le contraire. Elle a l’air gentille, assez douce et tout sauf brusque. Elle me rassure déjà.

Dans son bureau, de grands posters représentant le squelette humain sous différentes vues habillent les murs blancs. Sur les étagères, on peut observer des maquettes et des plaques d’observations au microscope. C’est une décoration étrange, mais parfaitement en adéquation avec l’endroit où je suis. En face, je la vois lire avec précaution la lettre que mon médecin généraliste a pris soin de rédiger. Une fois qu’elle a terminé sa lecture, elle appuie son visage — que je trouve désormais moins dur — sur ses deux poings, les coudes posés sur le rebord du bureau.

— Alors. Si tu me racontais un peu qui tu es, ton parcours, ton histoire.

— Je m’appelle Manon Fortin. J’ai dix-huit ans et je viens d’avoir le bac.

— Ah ! Super ça ! Tu faisais quoi comme bac ? Tu as pu fêter ça ?

— Un bac scientifique. Oui ! Je suis partie en vacances avec mes amis au soleil.

— Trop chouette ! Tu t’es bien protégée des rayons ?

— Oui, de la crème solaire toutes les deux heures et après les baignades.

— C’est bien ! Sinon, tu veux faire quoi l’an prochain ? Ton médecin me dit que tu pars à Bordeaux l’an prochain ? Je connais bien cette ville, j’y ai passé quelques années d’études.

— Je vais faire médecine. J’espère réussir. J’en ai vraiment envie.

— C’est difficile, c’est vrai. Mais si tu en as envie tu devrais pouvoir y arriver.

Elle me sourit et me lance un dernier regard avant de reprendre. Jusque-là, nous ne parlions pas des raisons qui m’ont emmenées ici, mais je me doute que le moment est proche quand elle inspire longuement.

— Bon. Si tu devais m’expliquer tes symptômes avec tes mots, comment le ferais-tu ?

— Je dirais qu’il y a des périodes où je suis très fatiguée. Ça dure plus ou moins longtemps, c’est plus ou moins récurrent et plus ou moins intense. Ce n’est jamais la même fatigue, jamais les mêmes façons de se manifester.

Elle prend tout ce que je dis en note.

— D’accord, je vois. As-tu souvent été malade ces dernières années ?

— Je suis un peu fragile, oui. J’attrape le moindre virus ou bactérie qui traine. Mais ça ne dure pas forcément très longtemps.

— OK. Quand tu es fatiguée, tu fais des malaises ? Tu as de la fièvre ?

— Je ne prends jamais ma température alors je ne saurais pas dire si j’en ai, mais par contre je fais des malaises parfois, oui.

— Quand tu te cognes, tu réagis vite ou plutôt lentement ?

— Je marque assez vite.

— Ton appétit est comment ?

— Je n’ai jamais beaucoup mangé, donc pas très grand.

— Quels examens tu as fait ? Rappelle-moi.

— J’ai fait un bilan sanguin et mon médecin traitant m’a fait faire un prélèvement de moelle osseuse, c’est ça ?

— Oui, tout à fait. Tu as les résultats sur toi ? On te les a expliqué ?

Je commence à sortir les papiers de mon sac mais elle m’en dispense d’un geste de la main, me montrant par la suite qu’elle les a face à elle.

— Oh, d’accord. Oui, j’ai vu le docteur à chaque fois pour qu’elle me les explique.

— Et tu as compris ?

— Oui, je crois.

— Tant mieux !

Elle me sourit et me glisse une feuille issue d’une des piles de papiers sur son bureau, puis elle reprend.

— Ceci est une grille qui récapitule les différents résultats des examens que tu as passés et les diagnostics associés. Lors de l’étude du prélèvement, les biologistes ont procédé à ce qu’on appelle un immunophénotypage. C’est un peu barbare comme nom et comme procédure, mais, en simple, ils ont observé les lymphocytes un à un pour confirmer le diagnostic que j’ai pu poser. Malheureusement, ce n’est pas très prometteur. Tu as développé une leucémie aigüe. Tu en es encore à un stade où le traitement est envisageable...

À l’instant où le diagnostic m’a été donné, mon audition s’est arrêté sur ses mots. Je ne pouvais plus rien entendre que ça. “ Leucémie aigüe ”. J’ai une leucémie aiguë à un stade pas trop avancé mais déjà un peu quand même. J’acquiesce alors que je n’écoute plus, je n’y arrive plus. J’acquiesce alors que je vois ma vie bouleversée. Que vais-je faire ? Que puis-je faire ?

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