Chapitre 19 : Mobilisation générale
Seneth devait trouver des éléments sur la relation que pouvait entretenir Glisa avec ce mystérieux individu. Il commença par fouiller dans ses affaires. Arch lui avait donné carte blanche. Hélas, elle ne possédait pas grand-chose si l’on excluait ses habits. C’était toute la maison qui était passée au peigne fin. Mais pas seulement, tout le domaine de Draggar allait également avoir droit au même traitement. Il avait beau chercher de toutes ses forces, il n’y trouvait absolument aucun indice. Après réflexion, cela semblait logique. Cet étrange personnage n’appartenait a priori pas à la Liste Noire. Il n’avait normalement pas les moyens de connaître son existence, et donc encore moins de savoir où se situait son territoire. Seneth en déduisit alors qu’il devrait enquêter sur un éventuel lien à l’extérieur du domaine de la guilde. Et curieusement, Glisa avait pour habitude de sortir quotidiennement dans la jungle, sous couvert de ses recherches sur la faune et la flore locale. Elle aurait très bien pu entretenir une relation avec cet individu dans le plus grand des secrets. Par chance, Glisa avait laissé ses almanachs. Seneth avait là une chance de trouver de précieuses informations.
Pendant que son cousin jouait au détective, Seysus se rendait au siège de la Liste Noire. Il devait effectuer un rapport sur la récente tournure qu’avaient prise les évènements. Il suivit donc les instructions que lui avait données Arch pour rejoindre la place de vie. Il essayait tant bien que mal de ne pas se fourvoyer au milieu de cette végétation dense, car il n’était pas un expert en orientation. Ce qui devait arriver arriva, il s’égara en pleine jungle. Il regardait autour de lui, il ne parvenait pas à se rappeler les chemins qu’il avait déjà empruntés.
— Alors, on est perdu gamin ?
— Ah, c’est toi, tonton, lâcha-t-il soulagé.
— Je me suis rendu compte que j’ai omis un détail très important, expliqua Arch.
— Ah oui ! Lequel ? Celui de m’accompagner jusqu’au bourg ?
— Ça ? Non, malheureux ! Tu es un grand garçon, tu n’as pas besoin d’assistance pour ça. En revanche, ce qui semblerait étonnant c’est que tu y parviennes… vivant.
— Hein ! Quoi ? Comment ça ? balbutia Seysus.
— Nous nous trouvons sur le territoire de la Liste Noire. Si tu es un membre de la guilde ou un invité, tu ne crains absolument rien. Néanmoins, comme tu n’y appartiens pas, tu dois de ce fait être attendu.
— Je ne vois toujours pas où se situe le problème.
— Eh bien, supposons qu’ils n’ont pas prévu de recevoir de la visite pour aujourd’hui.
— Tu es en train de me dire que tu ne les as pas prévenus de notre arrivée sur le continent ?
— Hum… c’est à peu près ça, répondit Arch embarrassé.
— Ça fait des heures que j’erre dans cette jungle, et en plus, j’aurais pu me faire tuer à tout moment ! hurla Seysus paniqué.
Après cette petite scène de ménage, ils prirent ensemble la route en direction du centre de vie de la guilde. Arch le guida à travers la végétation. Il s’approcha d’un gros arbre et frappa en rythme sur son tronc. Une plateforme descendit. Il signala à Seysus de monter dessus. Ils décollèrent vers la cime afin de rejoindre la canopée. Ils atteignirent les ponts suspendus. Ils n’avaient plus qu’à les suivre jusqu’au siège. Seysus profitait de la vision exceptionnelle qu’offrait leur position. Après plusieurs dizaines de minutes de marche, ils arrivèrent à destination. Arch toqua aux portes de manière bien précise, comme un code.
— Hey ! Arch, tu es de retour ! commenta un membre.
Un homme s’avança dans leur direction et serra Arch dans ses bras.
— Comme il est bon de te revoir, sain et sauf, déclara le chef de la guilde.
— Je ne suis pas mécontent d’être revenu, Zoobohz, ajouta Arch.
— Qui est donc ton ami ? demanda-t-il.
— Il s’appelle Seysus.
— Quoi ? Mais comment est-ce possible ? Je pensais que le Monseigneur était mort ! s’énerva Zoobohz. J’espère que tu l’as emmené ici pour l’interroger ?
— Hum… pas vraiment, non. Soit dit en passant, il n’occupe plus la fonction à la tête de l’Ordre de Mwrida. Avec mon fils, nous l’avons sauvé des griffes du Majestic 13.
— Pourquoi avoir fait une telle chose ?
— La famille, c’est sacré. Alors je me devais de venir en aide à mon neveu. Il n’y a rien à craindre, tout comme toi, le reste du monde s’imagine qu’il est mort. En revanche, nous avons un énorme souci.
— Ah oui ! Lequel ? s’enquit le meneur.
— Glisa a été enlevée ce matin par un sbire d’Apex.
— Apex, dis-tu ? C’est intéressant, nous avons repéré leur forteresse volante, il y a de cela quelques jours. Je comprends à présent pourquoi, conclut Zoobohz.
— Mais la raison première de notre venue consiste à te faire part de notre plan. Le sauvetage de Seysus a totalement ébranlé l’équilibre au sein du Majestic 13. Par extension, l’Ordre de Mwrida et Apex doivent aussi être touchés. J’imagine que l’enlèvement de Glisa semble une de leurs manœuvres afin de rassembler le plus d’unités possible en cas de guerre.
— De guerre ? s’étonnèrent ses compagnons.
— Oui, notre objectif repose sur l’éclatement de la hiérarchie du Majestic 13 en s’attaquant aux individus de la couche 3. Ainsi, les membres de l’Ordre de Mwrida, d’Apex et du Majestic 13 seront exposés les uns aux autres. Ceci provoquera, je l’espère, un conflit interne, précisa Arch.
— Excellent, ton plan paraît extrêmement intéressant. Très bien, je vais faire convoquer l’ensemble de la guilde. Tu pourras alors organiser une réunion où tu nous le présenteras plus en détail Arch. En attendant, j’imagine que tu es en train de chasser celui qui t’a séparé de Glisa.
— D’ailleurs, j’y retourne. Prenez soin de mon neveu en mon absence. Mon fils demeure également de la partie, c’est lui que tu devrais remercier, c’est sa manœuvre.
Seysus restait méfiant malgré le soutien qu’Arch pouvait lui offrir. Il n’avait pas oublié comment le chef avait réagi quand il avait appris qu’il avait œuvré à la tête de l’Ordre de Mwrida. Il savait que c’était par pure diplomatie envers Arch qu’ils s’étaient tous retenus de ne pas transformer la rumeur en une réalité. Pour sa propre sécurité, il avait décidé de faire profil bas ainsi que d’agir dans leur sens. Il sentait qu’ils n’avaient pas confiance en lui. En même temps, il s’était dit qu’à leur place, il se serait certainement comporté comme ils le faisaient. Après tout, leur plus grand ennemi n’était autre que le Monseigneur. Sa mission du jour remplie, il comptait retourner au domaine de Draggar. Mais en fait, non. Il ne connaissait pas la route pour rentrer. Au lieu de cela, il s’efforça de gagner la confiance des membres de la guilde. Pour leur montrer sa loyauté, il décida de répondre à toutes leurs interrogations.
De son côté, Seneth épluchait un à un les almanachs de Glisa. À partir des informations issues de ses lectures, il traça une carte sommaire des environs. Il représenta dessus les lieux qu’elle avait explorés ainsi que la date et la fréquence de ses visites. Après avoir parcouru l’ensemble de ses documents, il constata qu’elle ne se rendait jamais deux fois au même endroit. De plus, elle paraissait suivre un schéma en spirale, elle allait systématiquement de plus en plus loin. Selon toutes vraisemblances, elle effectuait réellement un travail d’études. Elle n’avait pas l’air de collecter des données pour le compte d’Apex. Ainsi, on pouvait en déduire qu’apparemment aucune relation n’existait entre elle et l’inconnu, du moins de manière bilatérale.
En effet, Seneth n’arrêtait pas de repenser à chaque parole qu’avait prononcée son assaillant. Sa venue était motivée par le besoin de « réactiver » un agent en sommeil. Il essayait de comprendre ce que cela pouvait bien signifier. Commençons par le commencement. Une première information importante semblerait que Glisa appartienne à la guilde Apex. De ce fait, cet étranger pourrait s’avérer être son responsable. Et pourtant, Draggar affirmait l’avoir trouvée au beau milieu de l’océan, lorsqu’elle demeurait encore jeune avec Baryton dans les débris d’un navire. Toutefois, on ignorait tout d’elle avant ce naufrage. Cet individu pourrait ne pas être uniquement son supérieur, mais aussi une figure paternelle, voire son père. Malheureusement, ses faibles connaissances en psychologie ne lui permettaient pas de poursuivre son raisonnement. Il avait besoin d’aide. Il attendit donc le soir afin de faire part aux autres de ces réflexions.
Arch pour sa part s’affairait à pister les fugitifs. Grâce à ces talents de shaman, il essayait de suivre les empreintes spirituelles qu’ils laissaient derrière eux. Néanmoins, le membre d’Apex apparaissait plus rusé qu’il n’en avait l’air. D’une quelconque façon, il arrivait à dissimuler ou limiter les traces après leur passage pour compliquer la tâche à Arch. Il devait changer de stratégie s’il comptait leur mettre la main dessus tant qu’ils se trouvaient encore sur le continent. Dans sa traque, il reconnut une odeur. Il identifia sans aucun doute le parfum très caractéristique de Glisa. Elle le concevait elle-même à partir des plantes qu’elle recueillait au cours de ses explorations. Il tenta donc de se laisser guider par son sens olfactif. Il s’enfonçait de plus en plus dans la jungle. Arch s’arrêta. L’intensité de cette fragrance devint extrêmement élevée, comme si elle se tenait à ses côtés. Il avait beau regarder autour de lui, il ne l’apercevait pas. Soudain, l’odeur se mit à bouger. Il scruta les environs. Mais hélas, toujours rien. Il continua de suivre cette émanation et constata qu’en réalité, il poursuivait un singe qui se trouvait dans les arbres. Le ravisseur avait l’air vraiment malin. Il semblait avoir anticipé les possibles actions de recherche. Arch se rendit à l’évidence, il avait perdu à ce petit jeu de chasse. Il décida de retourner à la maison pour dresser le bilan de la situation avec les autres.
Le stress commençait à épuiser Seysus et toute cette pression ne l’aidait pas à se porter mieux. Heureusement, Arch vint le délivrer de son calvaire.
— Allez, gamin ! On rentre.
Ils partirent en direction du domaine de Draggar. Sur la route, Arch ne put s’empêcher de remarquer l’inquiétude sur le visage de son neveu.
— Qu’est-ce qui te tracasse, gamin ?
— Ce n’est rien, juste que je ne me sens pas à l’aise au sein de tes partenaires, confia-t-il.
— Ah oui, ceci est bien étrange. Si tu veux, je peux en discuter avec eux, réconforta Arch.
— Non, ce n’est pas la peine, ça risque d’empirer les choses, laissons le temps s’occuper de cette affaire, déclara-t-il.
— Bien, si c’est là ce que tu souhaites.
Les voilà à présent près du lac au fond cristallin. Ils descendirent par l’arbre-ascenseur.
— Enfin à la maison, soupira Seysus.
— J’espère que Seneth nous a préparé de bons petits plats, s’enthousiasma Arch.
À l’intérieur de la demeure, c’était le calme complet, à tel point que cela en devenait pesant. Ils se mirent à chercher Seneth.
— Hé oh, il y a quelqu’un, cria Seysus.
— Seneth ! C’est nous ! Arch et Seysus ! Je ne sais pas où tu te caches, mais la voie est libre, hurla Arch.
Toujours rien malgré les efforts qu’ils fournissaient. Ils avaient réalisé le tour de la maison et aucune trace de lui. Peut-être était-il sorti pour suivre une piste qui mènerait au ravisseur. Dans le doute, ils attendirent patiemment dans le salon. Ils prirent l’apéritif pour s’occuper. Une heure s’était écoulée, et aucun signe de vie de la part de Seneth. Au bout de plusieurs heures, Arch et Seysus finirent par s’assoupir à cause de la quantité de spiritueux consommée. La nuit tombait et Seneth n’était pas encore rentré. Arch se réveilla en sursaut. Le jour s’était déjà levé. Apparemment, leur attente n’avait pas porté ses fruits.
— Seysus ! Debout ! On part à sa recherche, ordonna Arch.
Ils se préparèrent et allèrent aussitôt prévenir le reste de la guilde de la menace que représentait ce mystérieux ravisseur. Après Glisa, c’était au tour de Seneth.
— Je sais que cela ne va pas te plaire, mais tu devras demeurer au siège tant qu’il ne sera pas capturé. C’est l’unique endroit où tu te trouveras en sécurité, car je ne peux pas, seul, te la garantir, expliqua-t-il.
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