Chapitre 25 : Retrouvailles animées
— Hé ! Regardez qui va là… Ne serait-ce pas ce bon vieil Arch ?
— Lâche immédiatement Seysus ! exigea-t-il.
— Du calme enfin, pourquoi tant d’animosité ? Je m’attendais à des sentiments plus… distingués pour nos retrouvailles.
— Bouge d’un pas, et tu vas te retrouver avec mon poing dans ta face.
— Je pense ne t’avoir jamais vu en colère, c’est fascinant, se délecta le ravisseur.
— BARYTON ! Cesse de jouer avec moi ou je vais être obligé de commettre quelque chose que je vais amèrement regretter ! s’emporta Arch.
— Oups ! J’ai bougé d’un pas. Oh ! Encore un autre… et un autre. Hop là ! nargua-t-il en déposant Seysus dans l’embarcation fixée au ponton.
— TU VAS ME LE…
Alors qu’Arch proférait des menaces envers son opposant, un phénomène étrange se produisit, l’interrompant en plein milieu de sa tirade. Son anatomie commençait à présenter des convulsions. Le sol se mit à trembler et une tornade l’entoura.
— Ah, enfin ! s’écria Baryton.
Sa colère avait transcendé les limites de la cohésion entre son corps et son esprit. Si l’on en croyait les signes, cela avait tout l’air d’une métamorphose de protéiste. Et pourtant, Arch ne semblait pas posséder des capacités de cette classe. La transformation qui en résultait permettait de rétablir l’équilibre hyloplasmique avec une nouvelle enveloppe charnelle. C’était la raison pour laquelle l’apparence des protéistes changeait. Leur forme de base était dénommée « scellée ». Lorsque leurs pouvoirs étaient libérés, on considérait qu’ils évoluaient vers un stade dit « excité ». Les modifications apportées par cette mutation spontanée paraissaient extrêmement variables d’un individu à l’autre.
Pour rappel, le Sauren qui avait assassiné les parents de Seysus avait gagné en aptitudes physiques et en vitesse au détriment de sa résistance spirituelle et de son intelligence. Voilà pourquoi Arch put l’abattre en un seul coup, car il demeurait particulièrement sensible aux attaques shamaniques dues à son faible esprit. Néanmoins, généralement, c’était la force qui augmentait avec une légère contrepartie. Toutefois, Arch représentait un cas singulier, il s’avérait également un shaman. Quelles différences cela entraînerait-il ? Nous étions sur le point d’en devenir témoins.
Le souffle autour d’Arch s’intensifiait. Les arbres du bosquet frémissaient en pliant délicatement. Une lumière aveuglante naissait au sein de l’ouragan. Soudainement, tout s’estompa. Baryton rouvrit les yeux. Son regard se posa attentivement sur Arch.
— Tout ça pour ça ? déclara-t-il désabusé.
Arch gardait une apparence similaire. Sa corpulence avait légèrement augmenté à la vue de ses vêtements déchirés. On notait la présence d’une pilosité plus marquée, en particulier au niveau du tronc.
— Bon, visuellement, rien d’extravagant, intéressons-nous à ce qu’il a dans le ventre, ajouta Baryton.
Arch ne semblait pas bouger. Il restait immobile depuis déjà plusieurs minutes. Baryton se décida à attaquer. Il courut droit sur lui et lui asséna un coup de pied en plein thorax. À sa plus grande surprise, son mouvement fut stoppé net par une sorte de champ de force.
— Hum ! Je vois, son inconscient a donné corps à une espèce de barrière pour le protéger de son environnement. Très bien, je vais me contenter de la briser, décida Baryton.
Il posa son pouce, son index et son majeur autour de sa gorge pour produire une onde de choc, comme celle qui avait assommé Seysus. Il se mit à émettre un son étrange qui se transforma en un dégagement de puissance, semblable à une lame pourfendant les airs, en direction d’Arch. Il s’attendait à ce que le bouclier de ce dernier soit scindé à l’impact. Au lieu de cela, un arbre dans le bosquet fut scié sur place. L’attaque de Baryton sembla passée à travers Arch pour finir sa course plus loin en coupant tout sur sa trajectoire.
— Bon, il ne me reste plus qu’à patienter jusqu’à ce qu’il daigne bouger, conclut Baryton.
Cela avait l’air totalement étrange. Pourquoi ne se remuait-il pas ? En regardant son corps de plus près, on pouvait apercevoir des contractions musculaires discrètes. Ce qui paraissait certain, il demeurait toujours en vie. Ses doigts commencèrent à s’agiter. Peu à peu, l’ensemble de ses membres suivit. Son bouclier se brisa en libérant un souffle.
— Argh, laissa échapper Arch dans un râle.
— Alors, tu t’es endormi ?
— Je me familiarisais avec ma nouvelle morphologie. Désolé pour l’attente, voyons ce qui change.
Arch effectuait des mouvements comme pour échauffer ses muscles. Il sautillait sur place pour tester son agilité.
— J’ai l’impression de retrouver le corps de ma jeunesse… en mieux, s’extasia Arch. Bon, où j’en étais ? Ah oui, je me souviens. TU VAS ME LE PAYER !
— Très bien, montre-moi ce dont tu sembles capable.
Arch fonça vers son adversaire comme une furie. Sa vitesse paraissait remarquable. Baryton esquivait les coups un à un, sans grande difficulté. Avant de découvrir ses aptitudes d’animiste, il s’était entraîné ardemment aux différents types de combats au corps-à-corps avec Sadokon. Arch demeurait, à l’inverse de son ancien ami, extrêmement mauvais. Son évolution au stade excité avait immensément amélioré son niveau, à un point tel que les deux faisaient pratiquement jeu égal.
— Plutôt pas mal, je dois l’avouer. Cela fait longtemps que je n’ai pas lutté face à un adversaire aussi coriace, confia Baryton en pleine charge.
— Tu as raison, je n’arriverai pas à te battre sur ce terrain-là.
Arch cessa de donner des coups.
— Si tu veux bien, passons à ma spécialité, déclara-t-il.
Arch tendit le bras en avant. Un objet était en train de se matérialiser dans sa main. Une arme de poing apparut. Il se mit à faire feu sur Baryton avec des salves d’énergie spirituelle. Ce dernier essayait d’esquiver les rafales tant bien que mal, mais la cadence de tir paraissait bien trop élevée. Il se prit une charge dans le flanc. Il hurla de douleur. L’attaque brûla la zone d’impact.
— Touché ! s’extasia Arch en soufflant sur le canon de son arme. Bien, trêve de bavardage, passons à la partie qui m’intéresse, l’interrogatoire. Tu vas gentiment me dire où se trouvent Glisa et Seneth.
— Qu’est-ce qui te fait penser que je suis informé de quoi que ce soit ? défia Baryton endolori.
— Je l’ignore… et pourquoi pas le fait que je t’ai pris en flagrant délit d’enlèvement ? Si tu t’en prends à Seysus, tu n’as certainement pas l’air étranger au sort de Glisa et Seneth.
— Tu veux savoir pourquoi je m’en prends à lui ? Ouvre les yeux ! Ne vois-tu pas où nous sommes ? Et surtout, ne le reconnais-tu pas ? J’ai tous les droits de m’occuper de cet individu qui profane un lieu où il n’est pas le bienvenu. Je ne fais que défendre mon territoire contre ces vermines de l’Ordre de Mwrida.
— Et depuis quand es-tu violent toi au juste ?
— Je te retourne la même question. De nous deux, c’est toi qui as attaqué. Jamais je ne ferai de mal à mes proches.
Baryton disait vrai, c’était Arch qui s’en était pris à lui en premier. Il était simplement en train de s’occuper de l’ennemi numéro un de la guilde. Et cet antagoniste n’était autre que le Monseigneur en la personne de Seysus. La réaction d’Arch lui paraissait complètement incompréhensible. Et pour cause, il avait l’air d’ignorer le fait que Seysus demeurait le neveu de son ami et qu’il ne se trouvait officiellement plus à la tête de l’Ordre de Mwrida. Sa blessure semblait profonde. Arch n’y était pas allé de main morte. Il restait perdu ne sachant quoi penser de la situation. Le retour soudain et inespéré de celui qu’il considérait comme le frère qu’il n’avait jamais eu l’avait perturbé. Si l’on couplait cela à la violence qu’il avait déchaînée envers ce dernier, on comprenait tout à fait son état de désarroi le plus total. Sur le fond, il saisissait que Baryton voulait bien agir. Mais sur la forme, l’ignorance ne pouvait pas représenter un prétexte à l’innocence. On ne pouvait pas faire justice soi-même.
Baryton s’effondra sur le sol. Sa blessure l’affaiblissait de plus en plus. Arch aussi tomba. Sa nouvelle conformation devenait instable.
— Que m’arrive-t-il ? demanda Arch. Je ne ressens plus rien. Mon corps, j’ai l’impression de le quitter.
Le phénomène de transformation semblait régresser. Son apparence avait l’air de revenir à son état fondamental. Il tenait à nouveau dans ses vêtements, sans ces derniers, difficile de discerner sa forme excitée de celle scellée, à part sans doute sa pilosité pectorale et brachiale. Les deux amis – enfin à supposer qu’ils le demeuraient – gisaient sur le sol. On pouvait même dire qu’ils étaient trois si l’on tenait compte de Seysus dans l’embarcation sur le fleuve. Le temps paraissait s’être arrêté sur le domaine de Draggar. L’absence de climat contribuait au silence qui venait de s’abattre. Baryton semblait avoir perdu connaissance tandis qu’Arch reprenait peu à peu la sienne.
— Argh ! Nom d’un Prima ! hurla de douleur Arch.
L’instabilité qu’il avait subie avait entraîné de lourds dégâts sur ses organes. Il tentait péniblement de se mettre debout. Une fois sur pied, il boitilla jusqu’à Baryton. Il inspecta la blessure qu’il lui avait infligée.
— Ouh ! Ce n’est vraiment pas beau, commenta Arch.
— Ça, on peut le dire, tu ne m’as pas raté, répliqua douloureusement Baryton.
— Si tu savais comme je suis désolé. Je me sentais entraîné par une tempête intérieure. Et puis soudainement, plus rien. Après, j’ai éprouvé cette sensation étrange de découverte de mon nouveau corps. C’était un peu comme si je devais réapprendre comment réaliser des mouvements. Puis est venu ce sentiment de toute-puissance. Puis finalement, le déclin que j’ai ressenti lorsque mon organisme ne répondait plus. Je n’aurais jamais imaginé ce que la rage pouvait être.
— Je dois dire que je ne t’ai pas aidé. Je pensais que tu faisais exprès d’être en colère comme je ne t’avais jamais vu dans cet état auparavant. Alors je me suis dit que tu étais très certainement en train de jouer. C’est la raison pour laquelle j’ai continué à te narguer, expliqua Baryton lentement mais sûrement. D’ailleurs, pourquoi étais-tu irrité ?
— Glisa et Seneth, mon fils, ont été enlevés il y a maintenant plusieurs jours. Je me trouvais déjà quelque peu sur les nerfs, par voie de conséquence, attraper le ravisseur sur le vif s’attaquant à Seysus, ça m’a mis hors de moi.
— Je ne comprends pas pourquoi tu prends la défense de cet individu, et surtout la façon dont tu emploies son prénom si familièrement.
— La raison s’avère simple, il est mon neveu, ma famille. Il a été Monseigneur certes, mais il ne le demeure plus à présent, d’ailleurs le monde entier le pense disparu.
Ils semblaient discuter comme si de rien n’était. Au fond, on savait qu’ils essayaient d’oublier ce qui venait d’arriver, car ce soir pouvait certainement représentait leur ultime moment tous les deux.
— Mais au fait, je te croyais mort depuis ce tragique incident ? demanda Arch.
— Et bien, avec Draggar nous avons passé beaucoup de temps, je ne pourrais te dire combien, car j’avais perdu toute notion, à combattre le fameux monstre qui nous avait attaqués la dernière fois que nous nous trouvions ensemble. Après l’avoir abattu, nous nous sommes retrouvés coincés dans son repaire, quelque part à vingt mille lieues dans les profondeurs de l’océan. Un jour, j’ai pris mon courage à deux mains et je me suis laissé emporter jusqu’à la surface. Inconscient pendant un certain laps de temps, je me suis réveillé sur le continent. J’ai traversé la jungle dans le but de rejoindre le domaine de Draggar. Et c’est à ce moment-là que j’ai croisé Monseigneur Peymour devant la demeure et que je l’ai neutralisé.
— Il s’est passé tout de même une vingtaine d’années. Vous n’êtes quand même pas restés autant de temps dans la tanière du monstre ? s’enquit Arch.
— En fait, nous sommes bien restés coincés plusieurs années, mais pas dans les profondeurs de l’océan. L’histoire que Baryton t’a racontée ne s’avère pas tout à fait authentique, répondit une voix grave approchante.
— Draggar ! s’exclama Arch.
— Il n’est pas venu seul, ajouta une voix féminine.
— Glisa ! s’emporta-t-il avant de réveiller la douleur de ses lésions.
— Laisse papa, je vais m’occuper de tes blessures, annonça Seneth.
— Je… je ne comprends plus rien, déclara Arch totalement déboussolé.
— Reste calme, nous allons prendre soin de vous deux, expliqua Glisa.
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