Chapitre 27 : Le goût de vivre
Whckl n’aurait jamais imaginé entendre à nouveau parler de Zoobohz. La venue de Baryton et de Draggar semblait un signe du destin. Il se trouva désormais une réelle motivation pour sortir de cet espace sordide. Il aurait très bien pu quitter cet endroit depuis très longtemps en se servant de ses capacités. Au début, il souhaitait s’échapper par la voie sous-marine pour ne pas se faire repérer par d’éventuels traqueurs. Néanmoins, à force de faire profil bas, il finit par perdre l’envie de se sauver. Mais cette fois, les choses allaient réellement changer. L’occasion de se venger de son ancien supérieur ne paraissait plus illusoire. Sa haine avait ravivé sa flamme intérieure.
Whckl voulait et allait sortir de cet antre. Sa volonté de vivre retrouvée, il pouvait désormais user de ses capacités de protéiste. Il enjoignit à ses camarades de reculer. Tid était un Xylor avec une carrure impressionnante et une longue chevelure ressemblant à des lianes. Après transformation, d’énormes épines apparurent dans le prolongement de ses articulations métacarpophalangiennes, les épaules, les coudes, et les genoux. Avec ses poings, il commença à percuter avec frénésie les parois de la caverne. L’ensemble se mit à trembler. C’était avec vigueur que ses coups étaient portés. Il concentrait ses frappes afin de fragiliser ces murs qui les séparaient de l’extérieur. Draggar restait admiratif devant autant de volonté. Soudain, alors que Whckl semblait en pleine euphorie, une lumière grandissante et aveuglante émana de son corps.
— Que se passe-t-il ? demanda Baryton.
Whckl s’était déjà métamorphosé sous sa forme excitée. Quand le flamboiement cessa de luire, son apparence avait de nouveau changé. Sa peau s’apparentait davantage à celle d’un Gorlem. Sa musculature était plus marquée avec une carrure devenue plus athlétique. Les pointes de ses cheveux arboraient chacune une gemme proche de la sugilite.
— Tu vois ce que je vois ? s’étonna Draggar.
— Et comment ! Les niveaux de transformations chez les protéistes paraissaient multiples. Il ressemble à un mélange de Xylors et de Gorlems, c’est totalement fascinant, déclara Baryton.
En effet, Whckl avait l’air d’avoir atteint un nouvel état de métamorphose. Cette évolution se montrait bien plus puissante que celle de la forme excitée. Au regard des caractères de Gorlem qui se révélaient, elle semblait procurer un atavisme en plus de l’amélioration de l’enveloppe charnelle et de l’esprit. Après transformation, il créa une immense brèche dans une paroi avec une frappe. Des rayonnements émanaient au travers de celle-ci. Il réitéra son action afin de produire un passage vers l’extérieur. Au même moment, sa métamorphose cessa et il retrouva son apparence originelle. Cette forme avait l’air de requérir plus d’énergie pour être maintenue. Qu’importe, ils pouvaient à présent s’extraire de cette caverne grâce à la petite ouverture que Whckl venait d’effectuer.
En sortant, la nuit régnait. On pouvait apercevoir la lune qui illuminait les environs.
— Où sommes-nous ? demanda Baryton.
— Dehors, une bonne nouvelle ! s’exclama Whckl.
— Difficile de se prononcer en pleine nuit, répondit Draggar. Mais je dirais que nous nous trouvons près de l’océan, si j’en crois le bruit des vagues au loin.
La grotte où était retenu Whckl toutes ces années se situait dans un petit mont rocheux sur une île sauvage. Ayant retrouvé des repères temporels, Draggar leur proposa d’aller se reposer en attendant le lever du jour. Une fois n’est pas coutume, ils passèrent une nouvelle nuit dans l’antre secret du monstre. Au petit matin, les éclats du soleil réveillèrent immédiatement Whckl qui avait, semble-t-il, oublié cette sensation. Il eut du mal à garder les yeux ouverts, car sa vue s’était habituée à vivre dans l’obscurité. Après plusieurs minutes d’adaptation, il put observer les alentours. Ils se trouvaient bel et bien sur une île. Cette dernière possédait une végétation luxuriante et une faune très diverse, au cœur d’un atoll. Il se mit à en effectuer le tour afin d’évaluer la superficie des lieux. Les parfums environnants l’enivraient de bonheur. Son odorat lui faisait redécouvrir le monde. Un à un, ses sens se familiarisaient à nouveau avec la nature. Il se saisit de plusieurs fruits et les goûta. Il avait l’impression de croquer l’essence même de la vie à pleines dents. Jamais auparavant il ne s’était senti aussi vivant. Aujourd’hui devint le jour de sa renaissance.
Whckl continuait d’arpenter l’île afin de se créer une vague cartographie des environs. Cela lui était extrêmement étrange d’évoluer dans un lieu empli de dynamisme. Il avait pris l’habitude de rester allongé dans les ténèbres de sa cellule en attendant que le temps s’arrête pour lui. Les muscles de son organisme avaient certainement dû s’atrophier depuis, comme ses capacités de protéiste. Néanmoins, quand il eut recouvré ces dernières, la métamorphose avait, semble-t-il, rétabli sa condition physique à son état originel. D’ailleurs, il avait l’air d’ignorer qu’un deuxième stade d’évolution pouvait être atteint. Au moment où des attributs de Gorlem se manifestèrent sur son corps, il ne comprenait pas comment cela avait pu se produire. C’est alors qu’il se rappela que ses parents avaient mentionné une fois qu’un de leur aïeul était un Gorlem.
Les relations interespèces s’avéraient profondément taboues et furent, par le passé, condamnées. Depuis la naissance de Zenfei, les mentalités avaient commencé à changer et la justice cessa de proscrire officiellement ce type d’interaction. Néanmoins, pour l’opinion publique, cela restait mal vu. Certains savants voyaient cela comme une mauvaise chose. Le sujet de l’union interespèce, sur le plan scientifique ou moral, n’avait jamais fait l’objet d’études ou de débats. Par postulat, c’était la perversion à son paroxysme. C’est pourquoi ce genre de relation demeurait secrète aux yeux du reste du monde. Si les couples avaient l’air particulièrement rares, alors le nombre d’enfants, issus de ce type d’intimité, tendait à paraître nul. Ces exceptionnels fruits de l’hybridation naquirent dans la quasi-totalité des cas au sein d’une guilde. Les gens semblaient généralement plus ouverts d’esprit que les citadins, beaucoup trop attachés à la pureté de leur civilisation.
Grâce à l’atavisme procuré par la métamorphose de niveau deux, les gènes de son ancêtre Gorlem avaient pu s’exprimer. D’après ce que Draggar avait pu raconter au sujet de la Liste Noire, la puissance de Zoobohz paraissait avoir continué à progresser avec les années. Malgré la force de cette transformation, serait-ce suffisant pour triompher de son ancien supérieur en cas d’affrontement ? Sous cette nouvelle forme, il n’avait pu tenir uniquement le temps de donner deux simples coups de poing. Pour lui, il semblait dans son intérêt de s’entraîner à maîtriser cette métamorphose. Cela lui permettrait de la maintenir stable le plus durablement possible.
Il s’arrêta et s’allongea sur le sable. Il scrutait le ciel à la recherche de la cité volante d’Apex. Il se demandait comment les choses se déroulaient là-haut. Était-il toujours considéré comme un traître ? Alendahl se souvenait-il encore de lui ? D’innombrables questions défilaient dans sa tête. Il avait balayé visuellement les airs, mais c’était le néant total. Il resta un moment pour méditer, se vider l’esprit et profiter du temps paradisiaque.
À son retour à la grotte, ses deux compagnons étaient en train d’aménager l’abri afin de le rendre plus confortable.
— Salut vous deux ! s’exclama Whckl. Regardez un peu ce que je nous ai apporté.
— Hum, des fruits ! s’enthousiasma Baryton.
— Tu nous prépares quoi de beau, Draggar ? demanda Whckl.
— Je commence la construction d’un navire, répondit-il.
— Très bien, nous ignorons l’endroit où nous sommes, lui fit remarquer Whckl.
— Ce n’est pas grave, ce qui compte c’est de savoir où aller.
— Et… où allons-nous ? s’enquit Baryton.
— On retourne à la maison, Whckl a un vieil ami qui l’y attend.
La vengeance demeurait un plat qui se mangeait froid. Toutefois, patienter trop longuement risquait de lui ôter toutes saveurs. Pour Whckl, les représailles représentaient plus qu’un simple plat, c’était un menu à composer digne d’un chef-d’œuvre. Baryton et Draggar allaient être ses commis pour l’assister dans cette entreprise. Et du temps pour préparer la carte, ils allaient en avoir. La construction d’un navire requérait plusieurs années avec une solide équipe. À trois, cela semblait devenir une autre paire de manches.
— Dis Papa ! Comment on va savoir où aller ? demanda Baryton.
— J’y réfléchis. Ce que je pense ou du moins en déduis, c’est qu’on se trouve toujours sur l’océan de Bovrag. Et à part le Goéliath, personne ne s’aventure sur ces eaux. Notre seule chance reste qu’Arch effectue la traversée.
— Pourquoi ? s’enquit Baryton.
— Tu en connais beaucoup qui se rendent à mon domaine ?
— Ah oui, nous devons nous intéresser à là où l’on veut aller, j’avais oublié. Mais quand bien même il naviguerait sur ce passage, comment le devinerions-nous ?
— J’y réfléchis, je t’ai déjà répondu.
En effet, comment réussir à savoir si Arch allait se situer dans les environs ?
— J’ai trouvé ! s’exclama Baryton.
— Hum ? se demanda Draggar.
— La clé, c’est cette lettre. Elle agit comme une sorte de détecteur dont tu représentes la cible.
— Astucieux ! Et si cela fonctionne dans un sens, cela doit se vérifier dans l’autre. Donne-la-moi pour que je puisse l’étudier de plus près.
La lettre pourrait servir de balise à suivre si effectivement elle arrivait dans les bonnes mains. Détail important, elle s’avérait vierge en l’absence de la présence de Draggar. Nous allons trouver un message qui saurait capter son attention et l’inciterait à le conserver jusqu’au domaine.
— Glisa ! s’écria Draggar.
— Hum ? s’étonna Baryton.
— J’imagine que depuis notre départ, Arch doit veiller sur Glisa.
— Certainement, déclara Baryton.
— Et à ton avis, où se situe-t-elle ?
— Ah oui ! s’exclama Baryton. Elle a dû déménager avec Arch dans ta résidence. Nous écrirons un texte fort qui lui sera indirectement adressé pour qu’Arch le lui porte là-bas.
— Bien, maintenant, qu’est-ce qu’on raconte ?
— Réfléchissons. Déjà, elle et Arch ne savent pas si nous demeurons toujours en vie. Le message leur indiquera notre statut.
— Hum… Nous devons éviter de présenter les faits de manière catégorique. Je verrai bien un truc qui laisse penser qu’on peut paraître vivant, mais à la fois mort. Genre, nous appartenons encore à ce monde, mais la faim peut nous emporter à tout instant. J’imagine que là, niveau espoir, ça va leur en donner un paquet, suggéra Draggar.
— On peut aussi dire que l’on a terrassé la créature, histoire de montrer que nous nous trouvons en sécurité. Enfin après, ce n’est pas comme si on allait attendre qu’ils viennent nous chercher. Faut juste qu’Arch morde à l’hameçon, et porte la lettre jusqu’à Glisa. Nous escomptons qu’elle se situera au domaine.
Draggar alla au bord de l’eau tout en matérialisant une lance dans sa main droite. Il s’en servit pour pêcher un poisson. Certes, c’était pour se nourrir, mais pas seulement. Il voulait employer le sang de l’animal comme encre pour écrire le message. Il prit soin de composer du côté de la lettre où le texte invisible n’était pas inscrit, il comptait l’utiliser par la suite. Une fois le manuscrit rédigé, il s’empara d’une vieille bouteille en verre que Baryton avait trouvée un peu plus tôt pour l’y enfermer.
— Baryton, viens. On va effectuer quelques tests. Prends la bouteille et va la cacher quelque part sur l’île. On va voir si je peux la retrouver au milieu de nulle part.
Ce dernier s’exécuta en se rendant le plus loin possible de leur camp. Il revint auprès de Draggar pour lui dire qu’il pouvait commencer à chercher. Celui-ci se concentra et focalisa ses sens sur l’empreinte spirituelle de la lettre. Il parcourut l’île aux côtés de Baryton. Au bout de quelques dizaines de minutes seulement, il réussit à mettre la main sur le message. Baryton était stupéfait par la facilité qu’avait eu Draggar à la retrouver. À présent, il ne restait plus qu’à faire en sorte qu’elle parvienne jusqu’à Arch. Whckl se saisit de la bouteille et retourna dans la grotte où ils se trouvaient captifs. Il se métamorphosa sous la forme qu’on pouvait qualifier d’exaltée. Il se prépara et la lança de toutes ses forces dans l’eau afin qu’elle atteigne l’entrée sous-marine de la caverne. La vélocité que Whckl lui donna la protégeait de la pression. Ainsi, le message remonterait normalement à la surface sur le passage reliant Woccid à Zenfei.
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