Chapitre 36 : Le niveau -3
Aniah, Seneth et Wain préparaient leurs affaires. Ils s’apprêtaient à aller vivre au sein même de l’organisation qui avait complètement bouleversé leurs vies. Ils semblaient plus que déterminés à vouloir faire imploser la treizième Chambre. Aniah tenait la chance inespérée de découvrir ce que renfermait le fameux sarcophage tant convoité par Apex. Néanmoins, tous savaient qu’ils ne s’en allaient pas pour toujours. Arch et la Liste Noire viendraient les libérer au cours de l’assaut du solstice d’hiver. Mais avant d’en arriver là, Aniah et Seneth profiteraient du temps imparti afin de lever les plus grands mystères que cachait le Majestic 13.
À peine revenu, voilà que Seneth se trouvait déjà sur le point de quitter les lieux. De plus, cette fois-ci, Aniah se joignait à lui. Seth vouait une véritable haine envers son père. Qui plus est, ce dernier lui volait désormais sa mère. Avant son départ, Aniah le prit dans ses bras. Il ne cessa de pleurer. Quand Seneth s’approcha pour lui donner également un câlin, il s’en alla se réfugier dans sa chambre. Le malaise semblait si grand qu’il précipita les au revoir. Seth ignorait que ses parents disparaissaient pour un long moment. Les jours défilaient et il attendait, chaque soir, devant la porte d’entrée de la maison, le retour de sa mère. Plus le temps passait, plus il se renfermait sur lui-même. Une fois, plutôt que de patienter sous le porche comme à son habitude, il alla contempler la pleine lune dans le jardin. Il avait la sensation que celle-ci l’apaisait.
— Je comprends ce que tu ressens petit, déclara quelqu’un dans la pénombre.
— Qui est là ? s’exclama Seth d’une voix tremblante.
— Pas de panique gamin, ce n’est que moi, Whckl, répondit-il d’un ton détendu. Je reste troublé qu’un enfant aussi jeune que toi puisse avoir autant de rage et de haine en lui. Tu sais, si cela peut t’aider, tu peux me frapper, et avec toutes tes forces si tu le souhaites.
— J’en ai pas envie, protesta le petit garçon.
— Ah oui ? Tu n’as qu’à imaginer que je suis quelqu’un d’autre. Qui voudrais-tu que je sois ? Un camarade de classe ? Le maraîcher du marché ? Ton père ?
Au moment où Whckl prononça ce mot, pendant l’espace d’un court instant, celui-ci eut l’impression que l’apparence de Seth avait changée. Sa théorie selon laquelle les émotions représentaient l’élément moteur des protéistes semblait se confirmer. La colère se révélait comme la clef qui débloque les capacités de métamorphose de premier rang. Seth était-il devenu un protéiste ? Whckl ne voulait pas tirer de conclusions hâtives.
Au laboratoire du Majestic 13, la nouvelle équipe de recherche menée par Seneth prenait ses fonctions. Lui et ses partenaires disposait désormais du plus haut niveau d’accès possible. Les responsables du site leur confièrent le projet le plus critique baptisé « débaumage ». Pour Aniah, ce terme lui évoquait le sarcophage déniché par les pilleurs de tombes. Elle allait, semble-t-il, finalement savoir ce que celui-ci renfermait.
— Ah ! Mon équipe s’avère enfin réunie, s’enthousiasma le directeur du laboratoire. J’ai le plaisir de vous annoncer que vous êtes l’un, si ce n’est le meilleur, de nos groupes de recherches. Vous allez avoir le privilège de travailler sur le plus grand mystère de notre ère, les rémanences parfaites. Nos études de la civilisation des Primas nous ont laissés penser qu’ils existaient des sépultures quelque part avec des corps en parfait état de conservation. Bien plus que celui de Mwrida qui demeure pourtant d’un excellent niveau.
Le directeur continua d’expliquer les dernières informations recueillies par les différentes équipes de recherches. Il raconta notamment que les Primas souffraient d’un problème de surpopulation extrême. Ça serait la cause directe de l’impressionnante quantité de reliques et rémanences à travers Arnès. Une hypothèse associée tendrait à indiquer qu’ils seraient tout bonnement morts de faim. La très grande majorité de la matière de la planète constituait cette espèce, ils demeuraient quasiment seuls au monde. Une autre extrapolation stipulait qu’ils se seraient entretués en réponse à de nombreuses guerres violentes. On pensait que les enjeux tournaient autour de la nourriture et les ressources naturelles.
— M’enfin, vous savez, les hypothèses ne servent qu’à satisfaire notre imagination, lança le directeur. Votre objectif consiste à trouver les réponses qui nous manquent.
— Oui, mais comment allons-nous procéder, monsieur ? demanda Wain.
— Suivez-moi, je vais vous montrer.
Le directeur se déplaçait vers une partie du complexe que Seneth ne se rappelait pas. Et pour cause, cette zone disposait d’un accès considérablement restreint. Grâce à un système d’artéfacts de sécurité unique en son genre, là où avant Seneth apercevait et sentait un mur, à présent il y observait un immense couloir qui menait vers une autre section du site.
— Je reconnais les environs, chuchota Aniah. C’est ici que se trouvait le sarcophage dont je vous avais parlé avant de venir.
En effet, Aniah avait vu juste. L’équipe de Seneth arriva devant une large pièce gardée par deux sbires armés. Derrière la porte, la salle abritait ledit coffre. Au même moment, quatre individus y entraient. Ils transportaient deux jarres qui paraissaient dépourvues d’ouverture. Ils apportaient également un étrange composant mécanique.
— Je te parie que c’est la clef du sarcophage, chuchota Aniah.
— Une idée de ce que peuvent bien renfermer ces espèces de gros contenants en terre cuite ? demanda discrètement Seneth.
— Pas la moindre, répondit-elle.
Une fois les objets déposés, les mystérieux individus s’éloignèrent sans dire un mot ni accorder une quelconque attention. Dans leur départ, Seneth remarqua que l’un d’eux arborait le « A » d’Apex dans le bas du dos.
— Ce ne sont pas de simples sbires, alerta furtivement Seneth, ce sont de véritables membres d’Apex.
Toute l’équipe fut étonnée de voir que c’était Apex qui intervenait. La relation avec le Majestic 13 semblait plus étroite qu’on le pensait. Serait-il possible que la troisième couche appartienne à un sous-groupe de cette guilde ?
Ceci indique que le projet sur lequel Seneth et les autres se trouvaient assignés paraissait d’une importance primordiale. La chance venait encore de frapper. La situation avait l’air de montrer une collaboration directe avec Apex. La tournure des évènements devenait insensée, ça en était presque trop facile.
— Ah ! Je suis désolé, les amis, fit remarquer le directeur. Je vois que nos agents n’en ont pas fini avec leur partie du travail. L’équipe chargée des fouilles aurait pris du retard. Ce n’est pas bien grave, je vais vous présenter vos quartiers. Je vous prierai de bien vouloir me suivre.
Le directeur emprunta un escalier pour descendre à l’étage inférieur.
— Nous voilà arrivés, le « niveau thébaïde », annonça-t-il, mais nous l’appelons plus familièrement le « niveau -3 ». Vous seul avez accès à cette partie du complexe. Évidemment, moi aussi, puisque je me tiens devant vous actuellement, ricana-t-il. Place à la visite.
Le troisième sous-sol possédait un vaste espace ouvert, dédié au laboratoire. Aniah avait l’impression que ce dernier demeurait plus grand que celui de l’équipe du projet « Neophoenix ». Il occupait la majeure partie de la surface. Il faisait office de lieu de passage entre les différentes zones du niveau. Le directeur emmena les nouveaux résidents à la pièce de vie commune. Il leur présenta une immense cuisine avec tout le matériel nécessaire et surtout, un imposant garde-manger.
— Vous savez ce qu’on dit, un esprit sain dans un corps sain ! clama-t-il. D’ailleurs, vous avez à votre disposition le meilleur chef traiteur de la planète pour préparer vos petits plats.
Aussi troublant que cela puisse paraître, on avait réellement l’impression qu’il y avait un intérieur et un extérieur. C’était vers ce dernier que continua la visite. Le complexe comprenait un grand bassin pour se détendre et se laisser porter par l’eau. À côté se situait un terrain avec un panier suspendu de Gardatak, le sport le plus populaire… après l’Arkball. Étonnamment, on trouvait également un emplacement vert avec des arbres pour ceux qui ressentiraient éventuellement un besoin d’air frais et de contact avec la nature. L’heure de présenter les espaces privés de chacun sonna. Ils retournèrent sur leurs pas pour traverser le laboratoire et atteindre l’autre section du niveau.
— Vous allez rencontrer votre majordome, expliqua le directeur. Ici, nous aimons penser qu’un esprit sain avec un corps sain doit vivre dans un milieu sain. Il se tiendra prêt à réaliser le moindre de vos désirs.
La partie privée était composée de plusieurs petites suites. Aniah et Seneth habiteraient dans le même appartement. Wain occuperait seul le sien. Le cuisinier quant à lui, comme depuis ces vingt dernières années, partagerait la sienne avec le valet. Ces deux-là avaient toujours résidé au « niveau thébaïde », au service des plus grandes équipes de recherche qu’ait connues le Majestic 13. La visite se termina dans une pièce fort étrange, la chambre solaire. Au centre de la cour principale de l’Y se trouvait un dôme de verre très particulier. Celui-ci arborait une surface totalement réfléchissante, un authentique miroir sphérique. En réalité, il était recouvert d’un film sans tain. Cela faisait office de puits de clarté pour le troisième souterrain et ceci sans que l’extérieur puisse observer l’intérieur. Cet apport de rayonnement se concentrait dans la chambre solaire. Les individus de thébaïde devaient prendre régulièrement des bains de lumière pour préserver leur état de santé.
Le tour terminé, tous retournèrent au laboratoire. À leur arrivée, des techniciens avaient achevé l’installation du sarcophage ainsi que des accessoires qui l’accompagnaient. Le directeur partit en empruntant les escaliers, qui de toute façon demeuraient l’unique voie vers les autres niveaux. Pendant la visite, du matériel fut ajouté. La bibliothèque apparaissait pleine à craquer alors qu’elle se trouvait vide auparavant. Aniah et Seneth allaient devoir éplucher chacun des documents présents afin de savoir ce qu’attendait d’eux le Majestic 13, mais surtout, en quoi consistait le véritable dessein d’Apex ? Wain s’occupait de la gestion des fournitures pour les futures manipulations. Pendant que l’équipe travaillait, les bruits d’une conversation se faisaient entendre dans l’escalier.
— Tiens donc, voilà nos nouveaux compagnons, s’exclama un des deux personnages.
— Maîtres, permettez-nous de nous présenter. Je suis Bultred, votre majordome.
— Moi, c’est Sorgon, le chef.
— De cuisine, évidemment, ajouta Bultred enjoué.
— Enchantée de vous rencontrer, lança Aniah chaleureusement.
— Bien, si vous avez besoin de moi, vous savez où me trouver, déclara Sorgon.
— Vous le trouverez dans la cuisine, précisa Bultred. Ne soyez pas intimidés par son apparence, c’est vraiment une personne sensible et généreuse. Vous le découvrirez par vous-même ce soir au dîner.
Sorgon, comme la majorité des Gorlems, avait une carrure imposante. Mais sa grande particularité résidait dans ses origines. Les Gorlems regroupaient en réalité deux sous-espèces : les Froz et les Ignits. Ils se trouvaient respectivement désignés Gorlems de glace et Gorlems de feu. Murokya constituait la cité des Gorlems, mais elle comptait peu d’habitants et la plupart demeuraient des Froz. Les Ignits représentaient la majorité de la population, mais ne possédaient pas de ville à proprement parler. Ils se trouvaient répartis aux quatre coins d’Arnès. C’est la raison pour laquelle la capitale des Froz fut choisie. Sorgon appartenait aux rares Gorlems hybrides. Sa mère était une Froz et son père un Ignit. Grâce à ses pouvoirs d’animiste, il était en mesure de contrôler la température en générant ou en captant de la chaleur. Cette faculté lui permettait de jouir du titre de meilleur cuisinier au monde. Il maîtrisait à la perfection la cuisson et la conservation des aliments.
— Regarde, murmura Seneth, Sorgon détient un tatouage dans le cou. Cela ressemble à un « A » au milieu d’une croix formée d’un couteau et d’une fourchette.
— Oh ! tu as raison, confirma Aniah.
— Attendez ! Vous avez bien dit Sorgon ?
— Wouah ! Qui est-ce ? hurla Aniah.
— Bah ! c’est moi, Whckl. J’étais en train d’essayer un bandeau télépathique quand j’ai entendu ce prénom.
— Ah ! reprit-elle son souffle. Oui, c’est le nom de notre cuisinier, pourquoi ça t’évoque quelque chose ?
— Est-ce que ça va ? À qui tu parles ? demanda Seneth.
— Chut ! Attends ! lança-t-elle.
— Bien sûr, quand je me trouvais encore à Apex, mon meilleur ami s’appelait Dorgon. Bien avant de m’exiler, il me confia qu’il rêvait de devenir père et transmettre tout son savoir. Sorgon était l’un des prénoms qu’il envisageait de donner à son enfant.
Annotations
Versions