Chapitre 42 : Plus belle la vie
Seneth, de son côté, n’éprouvait pas la même joie que sa moitié. Les forces extérieures demeuraient quasiment composées d’individus masculins. L’ambiance paraissait puérile, régie par la loi de la jungle. Il se trouvait au plus bas de l’échelle à cause de ses résultats en classe. Les autres le traitaient comme un moins que rien, tous, sauf le directeur des opérations de la division. D’après les informations d’Aniah, la mission de Seneth consistait à entrer en contact avec le responsable logistique de son département, le mari de Navarre. Bonne nouvelle, le directeur demeurait un ami proche de la cible. Hélas, Seneth ne l’avait jamais rencontré en personne. Et il ne savait pas non plus comment procéder. Avant de se soucier de cette histoire, il devait régler un point important : son bulletin de notes. Avec sa femme, ils s’étaient totalement mobilisés pour étudier. C’était nouveau pour eux d’éprouver de la difficulté. Et justement, cela semblait très étrange, voire suspicieux. Ils demeuraient toujours brillants dans leurs parcours scolaires. Aniah décida d’en discuter avec Wain, celui qui les avait inscrits au centre d’apprentissage.
Seneth allait bientôt trouver la paix. Beaucoup de membres de sa division se préparaient à partir en mission. Enfin, de façon exhaustive, il se retrouverait seul. Tant que ses résultats académiques ne s’amélioraient pas, il n’avait pas le droit de prendre part aux activités avec ses autres collègues. Finalement, cela semblait un mal pour un bien. Le week-end suivant, alors qu’il arrivait serein pour la première fois au travail, quelqu’un avait exigé de le voir. Quand il se montra à l’accueil de sa division, un Felister de petite taille vint à sa rencontre.
— Monsieur Garlan ? demanda-t-il.
— Oui, c’est bien moi, acquiesça Seneth.
— Excellent ! je me présente : Bain Toomcik. Je suis le directeur des opérations, déclara-t-il.
— Enchanté de faire votre connaissance, monsieur, lança Seneth, c’est un véritable honneur.
— Oh, pas besoin d’autant de manières, tu peux m’appeler Bain. Si je me trouve là aujourd’hui, c’est parce qu’il me faut un adjoint et tu sembles le candidat idéal pour ce poste. Comme tu es interdit de mission, j’imagine que tu restes libre. Autant te rendre utile et effectuer du vrai travail, argua-t-il sarcastiquement.
— Vous me proposez d’être votre assistant ? questionna-t-il stupéfait.
— Seulement si ça t’intéresse, répondit-il.
Sans aucune hésitation, Seneth accepta l’offre de son supérieur. Il bénéficiait d’une chance inouïe de pouvoir côtoyer les hauts dirigeants de la Cité Céleste.
Pendant ce temps, Aniah partit à la rencontre de Wain pour comprendre la raison des résultats décevants qu’elle et Seneth accumulaient au centre d’apprentissage. Lorsqu’elle arriva devant son bureau, au deuxième sous-sol, celui-ci demeurait vide. Au même instant, une laborantine traversa le couloir. Aniah l’interpella pour lui demander où se trouvait Wain. Elle lui répondit qu’une urgence au niveau moins quatre retenait son attention. Aniah la remercia. Elle se sentait un peu perdue, sans savoir quoi faire. Elle effectuait les cent pas, puis soudainement, elle se souvint que Navarre lui avait remis un nouveau laissez-passer. Elle pouvait dès à présent se rendre à tous les étages des laboratoires. Elle s’apprêtait à entrer au cœur de l’épistémè d’Apex.
Désormais, Seneth demeurait l’assistant du directeur Toomcik. Afin de pouvoir l’accompagner dans ses déplacements, son niveau d’accréditation devait être revalorisé. Il possédait dorénavant un accès à toutes les zones.
— Voilà ton nouveau passe-frontière, annonça Bain en le tendant à son nouvel assistant.
— Déjà ? répliqua-t-il stupéfait.
— Ça aide beaucoup le fait que la femme de mon meilleur ami soit la responsable de la division de la sécurité intérieure, expliqua Bain en ricanant.
— Ah oui ! Très pratique, en effet, ajouta Seneth. Votre camarade se trouve très chanceux.
— Ah ah ! Figure-toi que c’est totalement l’inverse, lança Toomcik. Il est certainement la personne avec la plus grande poisse que je connaisse. Et pour te dire, j’en côtoie énormément.
— Sa conjointe représente l’exception qui confirme la règle, j’imagine, supposa Seneth.
— Maintenant que tu le mets en avant, comment un individu tel que lui a-t-il pu parvenir à trouver une femme comme elle ?
Les deux passaient de plus en plus de temps ensemble. Ils s’appréciaient mutuellement, arrivés à un point où Bain n’utilisait plus aucun filtre avec son assistant. Il lui révéla de nombreuses informations, dont certaines qu’il ne semblait pas supposé les divulguer.
En tant que directeur des opérations, il menait la globalité des interventions de la division de Seneth. Il lui apprit que, normalement, les agents envoyés en missions ne devaient pas user de leurs forces. Le maître-mot restait la discrétion. S’ils n’avaient pas le choix, aucune trace ne devait être laissée. Il lui raconta la dernière en date, l’excavation du cinquième sarcophage. Elle prit une mauvaise tournure et attira l’attention de la capitale. Néanmoins, cela ne fit couler que très peu d’encre. Le témoin de la mission se trouvait inanimé à la Polyclinique de Zenfei. Seneth reconnut là l’histoire de l’ultime patient de son beau-père. Cela étayait la théorie de ce dernier. Aniah semblerait contente de l’entendre. Désormais, on savait que la menace s’avérait portée par Apex.
— Je te sens préoccupé mon petit, lança Bain.
— Ah… Non, du tout, cette anecdote m’a juste un peu déstabilisé, partagea Seneth.
— Rassure-toi, il y a eu plus de peur que de mal. Ce type de situation demeure extrêmement rare.
Et ce n’était pas par volonté, mais par nécessité, car ce genre d’agissements attirait la lumière et Apex désirait rester dans l’ombre.
Pendant ce temps, Aniah utilisa sa nouvelle licence pour rejoindre Wain. Elle arriva au troisième sous-sol. Elle n’en croyait pas ses yeux. Ce qu’elle voyait paraissait sans pareil. Elle qui pensait que les laboratoires du Majestic 13 représentaient la pointe de la technologie, ce qui se situait en ce lieu dépassait l’imagination. D’étranges supports, sur lesquels défilaient des images, se trouvaient entreposés sur les murs et les tables de travail. Elle percevait un bruit ambiant élevé, tel un bourdonnement avec un mélange de grésillement et de souffle. Et surtout, il faisait chaud, une véritable fournaise. Les gens paraissaient très agités. Soudainement, des bips commencèrent à retentir de façon intensive. L’atmosphère devenait pénible dans cette chaleur étouffante et le niveau sonore assourdissant. La lumière changea de couleur pour se teinter d’un rouge sombre. L’éclairage se mit à clignoter. Un sentiment de danger s’empara d’Aniah. Elle se résolut à remonter à la surface afin de retrouver du calme. Elle n’est pas habituée aux environnements stressants. Elle retournerait chercher Wain une autre fois.
Grâce à leurs nouveaux accès, Aniah et Seneth prirent la décision d’explorer les niveaux un et deux de la Cité Céleste. Ces zones demeuraient publiques, tous les membres d’Apex pouvaient s’y rendre. Nos deux amoureux s’arrêtèrent à la terrasse de la taverne.
— Ah ! Il n’y a pas à dire, ça fait du bien par là où ça passe, lâcha Seneth en appréciant sa mousse. Depuis combien de temps ne nous sommes-nous pas accordé un instant de détente ?
— Hum, laissa échapper Aniah en finissant une gorgée de son thé glacé au rhum. J’avais oublié à quel point la vie pouvait sembler aussi agréable.
— Si un jour, on m’avait annoncé que je me prélasserais dans une ville volant au-dessus du monde, au cœur d’une guilde conspirationniste afin d’aider mon père biologique, j’aurais ri très fort, décrit-il.
Les deux amoureux continuèrent de savourer cet instant de calme et de joie. Cela ne leur était pas arrivé très souvent ces derniers mois.
Le quotidien à Apex demeurait plaisant. Aniah prit conscience d’une chose, elle se sentait plus vivante depuis son départ de Zenfei. Malgré l’assurance que fournissaient les cités, personne ne s’apercevait qu’elle se manifestait au détriment d’une certaine liberté. Désormais, Aniah ressentait une sorte de soulagement, comme si elle avait souffert d’étouffement pendant tout ce temps auparavant. Elle confia ce sentiment à Seneth et il semblait partager le même point de vue. Lui avait l’impression de paraître, à n’en pas douter, maître de son destin. Il ne se voyait plus enfermer dans sa ville à suivre une ligne plus ou moins tracée jusqu’à la fin de ses jours.
— Ne pas savoir ce que réserve le futur, je pense que c’est de cette manière que l’on peut réellement apprécier la vie. Pour moi, aujourd’hui détient le pouvoir d’influencer le lendemain. Une petite part d’incertitude pour changer le destin, déclara Seneth.
— Si jamais nous arrivons à nous sortir de cette situation, j’aimerais qu’à notre retour à Zenfei nous nous engagions auprès d’une guilde, confia Aniah.
— Et pourquoi pas la Liste Noire ? demanda-t-il.
Au même moment, un couple vint à leur rencontre.
— Aniah ! s’enthousiasma la femme.
— Oh ! Navarre, quelle heureuse surprise ? lança Aniah.
— Pourquoi ne pas vous installer à notre table ? proposa Seneth.
— Avec joie, répondit le mari.
Navarre leva la main afin d’interpeller le serveur. Celui-ci apporta deux nouveaux couverts et distribua les cartes du menu.
— Navarre, je te présente mon époux : Seneth.
Lorsque ce dernier se tourna vers elle pour la saluer, il s’étouffa avec sa boisson.
— Oh ! Est-ce que ça va ? s’enquit Aniah.
— Très bien, j’ai simplement avalé de travers. Veuillez m’excuser pour ce désagrément, expliqua Seneth embarrassé.
— Ne vous inquiétez pas, ce n’est rien. Cela peut arriver à n’importe qui, conforta le compagnon de Navarre. Pendant que nous effectuons les présentations, je m’appelle Gejda Baroun. Bain m’a énormément parlé de toi. Et Navarre m’a relaté beaucoup de choses à ton propos Aniah, j’avais hâte de vous rencontrer, raconta-t-il.
Afin de remplacer son verre vide, Seneth retourna au comptoir du bar. Gejda l’accompagna.
— Nous voilà seules, entre filles, clama Navarre. Je vais en profiter pour te confier mes récentes découvertes.
— À propos de ton amnésie ?
— Oui, lui confirma Navarre. Je suis allé à l’hôpital pour consulter mon dossier. Figure-toi que la raison de mon admission était due à une maladie grave, mais que, malgré tout, elle ne semblait aucunement avoir eu d’impact sur ma mémoire. Le médecin m’expliqua que ma perte de souvenir paraissait provenir d’un traumatisme violent à la tête. Du moins, c’était ce qu’indiquait le diagnostic à mon entrée.
— Mais c’est terrible ! Sais-tu l’origine de ce choc ?
– Hélas non. Cela se serait produit sur le continent et pas de témoin connu à ce jour. Mais ce n’est pas tout. J’ai discuté avec mon gynécologue pour comprendre la raison qui provoque le fait qu’avec Gejda nous ne parvenions pas à avoir d’enfant. Il m’a révélé que ses analyses indiquaient que j’ai déjà été enceinte.
— Sérieusement ! Je ne saisis plus rien, partagea Aniah.
— Tu demeures exactement comme moi, tu te sens confuse.
— En as-tu parlé avec ton mari ? interrogea Aniah.
— Non, depuis que je t’ai rencontrée, ma confiance en lui défaille.
— J’ai demandé à Seneth de creuser à son sujet, car je trouve que ton histoire apparaît trouble. J’espère que nous n’allons rien découvrir de grave.
Pendant ce temps, au comptoir, les deux hommes faisaient connaissance.
— Ah Seneth ! ça me fait réellement plaisir de pouvoir enfin mettre un visage sur ton nom.
— Le sentiment est partagé, Gejda, déclara Seneth. Je dois avouer que cela fait un bail que je n’ai pas participé un moment entre garçons. Bain me garantissait qu’il organiserait une activité pour nous trois, mais j’attends toujours.
— Ah ah ! le connaissant, tu risques de patienter encore beaucoup. Cet homme n’a pas de temps libre. Laisse-moi, je vais m’en occuper, lança-t-il d’un air fier.
— Dis-moi Gejda, Bain m’a expliqué que tu demeurais célèbre pour ta poisse. Est-ce vrai ?
— Je vois que ma réputation me précède. Admettons que je parais légèrement moins chanceux que tout le monde, je ne trouve rien d’extraordinaire là-dedans. Tu ne consommes pas beaucoup mon p’tit gars, clama Gejda très jovial. Ne te retiens pas, ce soir, l’addition me revient. Bain est trop pris pour venir siroter un verre avec moi alors ce n’est pas tous les jours que je dispose d’un compagnon.
— Je pense raisonnablement que c’est toi qui bois beaucoup, répondit Seneth amusé.
— Vu dans ce sens, je ne peux pas te donner tort.
Gejda possédait une bonne descente et enchaînait les rasades les unes à la suite des autres. Le sentant désinhibé et volubile, Seneth remarquait une occasion devant lui afin d’obtenir des informations.
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