Chapitre 47 : La mort pour devenir plus fort
Les shamans tiraient leurs forces de leur énergie spirituelle. Hélas, à la différence des autres types d’énergies, celle-ci demeurait fixe depuis la naissance. La frontière entre eux et les simples individus se situait à la perception de l’environnement. Au-delà des cinq sens communs, le shamanisme en offrait un sixième. Et la sensibilité de ce dernier dépendait de la tension spirituelle de l’âme. Contrairement au corps, le renforcement de celle-ci ne paraissait pas aisé. L’enveloppe charnelle prenait de l’envergure grâce à la reconstruction cellulaire des différents organes, mais en ce qui concerne l’esprit, la médecine ne possédait aucune connaissance. Les exercices physiques avaient pour but de traumatiser l’organisme. En réponse à cette stimulation, le corps se rebâtissait plus fort afin de pouvoir à nouveau faire face sans peine, d’où la nécessité de rendre les entraînements de plus en plus durs.
Hayoo avait décidé de transposer ce phénomène anabolisant à l’âme pour l’exalter. Le pèlerinage de son escouade se divisait en deux étapes : le renforcement spirituel et la recherche d’un fantôme gardien. Le désert de Demens représentait un des lieux les plus hostiles sur Arnès. Dans ce genre d’environnement, le physique ne permettait pas de survivre, seul le mental entrait en ligne de compte. C’était l’endroit parfait pour entraîner son esprit.
— Bien ! D’après mes estimations, sept jours et sept nuits nous séparent de Fort Minork. Je vous préviens, c’est pire que ce que vous pouvez imaginer, informa Hayoo.
— Tu as déjà effectué la traversée ? demanda un disciple.
— J’ai tenté jadis. Si Zoobohz ne m’avait pas trouvé, je serais sûrement une âme errante de plus dans cette région, répondit-il.
L’escouade demeurait peu confiante. Si même leur mentor avait échoué, comment allait-il parvenir à bout de ce désert ? Mais ils n’avaient pas le choix, dans la mesure où les combattants d’Apex s’avéraient d’un tout autre niveau. Néanmoins, la détermination d’Hayoo motivait les troupes. Ils bénéficiaient, en tout et pour tout, d’un jour de provision. Ils devraient faire face à la faim et la soif, car cette zone ne disposait d’aucune faune et flore. Mais pas seulement, le climat se montrerait impitoyable avec des journées caniculaires et des nuits glaciales. Il n’y avait pas d’échappatoire. Chacun devrait subir et supporter ces circonstances.
— Profitez ! Ce soir, c’est votre dernier repas, déclara Hayoo. Cela va s’avérer dur, mais j’ai confiance en vous. Nous pouvons compter les uns sur les autres.
À l’aube, leur périple commença. Leurs corps demeuraient pleins d’énergie. La première journée de marche s’annoncerait facile. Dès le lendemain, les choses devinrent plus compliquées. Les estomacs se tordaient sous l’absence de nourriture. L’entraînement du mental avait débuté. Pour survivre, il fallait outrepasser les besoins charnels. Le surlendemain, plongé dans ce néant, le sens de l’odorat disparaissait lentement, car il n’était plus employé. Cette troisième journée se montrait vraiment pénible. Le corps se trouvait vulnérable. La lutte contre la famine et la soif semblait impossible à gagner.
— Au moment présent, c’est le point de non-retour, indiqua Hayoo. Nous devons aller de l’avant, tous ensemble.
L’escouade parlait très peu pour économiser ses forces. Certains s’écroulaient au sol tant l’épuisement physique paraissait rude. Malgré le soutien des autres, c’est uniquement grâce à leurs capacités spirituelles qu’ils trouveraient l’effort nécessaire pour se relever et avancer.
— Je suis désolé, nous ne pouvons pas nous permettre de les attendre, informa Hayoo, sinon nous aussi nous risquons de ne pas sortir de cet enfer.
La décision choqua les apprentis, mais en même temps, cela semblait inévitable. Même s’ils évoluaient en groupe, cette épreuve demeurait par essence individuelle. Sur la dizaine de membres, à la tombée de la nuit, il n’en restait plus que sept.
— Ne vous laissez pas abattre par la chute de vos camarades, conseilla Hayoo. Chacun progresse à son rythme, s’effondrer ne veut pas dire abandonner. Je suis persuadé que chacun de nous se relèvera pour atteindre Fort Minork !
Les sens de chacun faiblissaient successivement. Le dernier à faillir s’avérait la vue. En réalité, ce n’était pas l’ultime sens, les shamans pouvaient compter sur leur perception spirituelle. À chaque fois que l’on perd un sens, un autre s’améliore. Ainsi, en renonçant aux sens communs, les shamans renforçaient leurs capacités. Ce sixième sens surpassait la combinaison des cinq élémentaires. Le spirituel s’était substitué au charnel. Ceux qui étaient tombés se relevaient à présent. L’escouade avançait d’un pas déterminé vers la cité des Taurochs. Hayoo l’avait pressenti, ils mirent un peu plus de sept jours pour rallier Fort Minork.
Habituellement, les gens qui désiraient se rendre dans cette ville utilisaient le Goéliath, car la voie maritime paraissait de loin la plus agréable. Pour les gardes, c’était la première fois qu’ils rencontraient des voyageurs en provenance du désert de Demens. La foule commençait à s’intéresser à eux. Hayoo n’avait pas pensé à ce détail. En tant qu’hérétique, se retrouver exposé au public ne semblait pas la meilleure des situations. Effectuer tout ce chemin pour échouer aussi facilement, quelle ironie.
— Vous pourriez faire attention ! hurla un commerçant.
— Oh ! pardon ! Veuillez m’excuser, s’exclama quelqu’un qui venait de percuter un chariot de marchandise en courant.
— Halte ! Arrêtez-vous là ! ordonnèrent les gardes.
L’incident attira la curiosité de l’ensemble des passants. Pendant ce temps, Hayoo et son escouade avaient disparu.
— Bien ! Je pense que ça fera l’affaire, lança Selivy.
— Pas mal le coup de la diversion Mosz, complimenta Tzoyl.
L’équipe d’Arch tombait à pic pour sauver la situation. Ils emmenèrent les shamans vers la forêt adjacente pour fuir la foule. Selivy leur prodiguait des soins tandis que Mosz leur préparait des boissons énergisantes. Leurs conditions physiques se montraient très dégradées. Après plusieurs heures, Hayoo regagna la parole.
— Que faites-vous ici ? s’enquit-il.
— Nous sommes venus vous chercher, répondit Selivy.
— La guilde se trouve en état d’alerte. Apex nous a attaqués au sein même du siège, informa Mosz.
— Je regrette, nous ne pouvons pas vous suivre, déclara Hayoo, pas tant que notre entraînement ne sera pas terminé. Rentrer maintenant n’aurait pas de sens, nous ne ferions pas le poids face à l’ennemi.
— Mais nous n’avons pas dit que nous devons partir à l’instant présent, ajouta Arch souriant. Nous voulons de même fouler les terres de la Plaine Nécrotique. Qui sait ce que l’on peut trouver là-bas ?
— Dès que vous êtes remis sur pieds, nous reprendrons la route, annonça Selivy.
— J’ai une question. Comment êtes-vous arrivés aussi vite et en aussi grande forme ? demanda Hayoo. Vous avez survécu au désert de Demens ?
— Nous avons utilisé le navire secret d’Arch pour longer la côte, répliqua Tzoyl.
— Mais il n’a rien de secret. Je l’ai construit sur mon temps libre, rien d’extraordinaire, expliqua Arch.
— Bon, maintenant que nous souhaitons tous nous rendre au Royaume des Morts, comment on y accède ? interrogea Selivy. Les Taurochs ne nous laisseront jamais pénétrer. Qu’avais-tu prévu, Hayoo ?
— Pour honnête, je ne pensais pas qu’on sortirait vivant du désert de Demens, révéla-t-il.
— En clair, personne n’en a la moindre idée, constata-t-elle.
Selivy venait de soulever un problème très important.
La tribu des Taurochs demeurait les plus loyaux serviteurs de l’Ordre de Mwrida. Et pour les récompenser, ce dernier leur avait confié la garde du psychopompe, l’unique passage terrestre reliant le continent sud et le Royaume des Morts. Celui-ci se trouvait gardé des deux côtés, pour empêcher quiconque d’entrer dans la cité ou dans la Plaine Nécrotique. Avec tous les fidèles présents, parcourir la ville paraissait totalement impossible pour nos hérétiques. Leur réserve de nourriture s’épuisait. La seule source de provision dont ils disposaient s’avérait la pêche sur le rivage.
L’escouade d’Hayoo semblait remise complètement. Chacun essayait d’utiliser leurs pouvoirs de shamans pour vérifier leurs progrès. Arch décida de tester leur entraînement au sein du désert de Demens en affrontant en duel Hayoo, qui représentait quand même la quatrième force de guerre de la guilde.
— Ah ! Arch, si tu savais depuis combien de temps je rêvais de me mesurer à toi, partagea Hayoo.
— Ha ha ! Tu me mets la pression, gamin, répliqua-t-il.
Tout le monde admirait le combat avec assiduité. Les deux assaillants se jaugeaient. L’intensité des coups apparaissait progressive.
— Je dois reconnaître que tu es plutôt doué pour quelqu’un de non classé, lança Hayoo.
— Je dois reconnaître que tu es plutôt doué pour quelqu’un de classé, ajouta Arch.
Cette fois-ci, leur affrontement prit un tournant, Hayoo décida de devenir sérieux. Il allait enfin savoir si les souffrances endurées en valaient la peine. La puissance qu’il dégageait semblait impressionnante. Arch avait l’air agréablement surpris et content.
— Prépare-toi ! s’exclama Hayoo, je ne vais pas me retenir.
Il tendit les bras sur les côtés et les rabattit en claquant des mains. Des chaînes se matérialisèrent et ligotèrent Arch, l’empêchant complètement de bouger. Celui-ci essayait de se débattre. Mais rien à faire, les liens demeuraient solides. En brandissant les bras en l’air, une faux apparaissait entre les mains d’Hayoo. Il s’en saisit et porta un violent coup à Arch. Ce dernier fut projeté au sol. Le combat semblait inégal.
— Tu mérites bien ta position de quatrième force de guerre, attesta Arch.
— Je ne pensais pas que mon entraînement s’avérerait aussi efficace, avoua Hayoo.
Arch se trouvait mal en point et pourtant, il arborait un grand sourire. Il paraissait heureux de la situation. Personne ne comprenait pourquoi. Le combat approchait de son terme. Il se mit à éclater de rire. Au sein de son ligotage, son corps scintillait. Il libérait sa forme excitée. Avec la simple force de ses bras, il brisa les liens comme de la ficelle.
— Mais comment ? s’exclama Hayoo.
Tout le monde demeurait stupéfait.
— Tu es un protéiste et un shaman ? demanda Tzoyl.
— Comme tu peux le voir, répondit Arch. À mon tour, si vous le voulez bien.
En se transformant, il devint menaçant au corps-à-corps avec ses capacités de protéistes, et redoutable à mi-distance avec ses techniques de shaman. Il attaqua à mains nues Hayoo qui, malgré l’usage de sa faux, ne parvenait pas à lui tenir tête. Il finit à terre, son arme brisée. La facilité avec laquelle Arch malmenait la quatrième force de guerre, qui en plus paraissait plus fort que jamais, ressemblait à de l’insolence.
— Tu savais qu’Arch se révélait aussi talentueux ? questionna Selivy.
— J’ignorais qu’il pouvait se battre, partagea Mosz.
Les spectateurs affichaient un air interloqué, mais pas Hayoo. Au fond de lui, il ressentait qu’Arch demeurait redoutable. C’est sans doute la raison pour laquelle il ne s’avérait pas classé. Malgré sa dure traversée du désert de Demens, cela n’avait pas suffi à atteindre le niveau d’Arch. Mais heureusement, son entraînement ne s’arrêtait pas là. Encore fallait-il trouver un moyen de pénétrer le psychopompe.
Selivy soigna les deux combattants. Le temps passait et toujours aucune solution pour rejoindre l’autre côté du continent. Le reste de la Liste Noire les attendait. Et justement, en parlant d’eux, Arch reçut un message de Mélorya.
— Les amis, j’ai une excellente nouvelle à vous annoncer ! Nous allons pouvoir atteindre la Plaine Nécrotique, informa Arch.
— Ah oui ! Comment ? interrogea Tzoyl.
— Beelzb se trouve en route, ou plutôt en vol pour nous chercher, expliqua Arch.
— Comment ça, en vol ? s’enquit Selivy.
— Mélorya ne m’a pas donné plus de détail, mais il possède un oiseau géant comme monture. Alors, je pense qu’à l’instar d’Apex, nous utiliserons la voie des airs pour outrepasser le bastion des Taurochs, proposa Arch.
— Effectivement, c’est notre meilleure option jusqu’à présent, indiqua Selivy.
— Tu veux plutôt dire que c’est notre seule option, lança Mosz.
En attendant l’arrivée de l’enfant prodigue, Hayoo poursuivait l’entraînement de son escouade. Il demanda à Arch s’il pouvait l’assister à la vue de son niveau.
— Tu as trouvé où ce sandwich ? sollicita Tzoyl.
— J’ai donné de l’argent à un gamin qui passait par là pour qu’il aille m’en acheter un, expliqua Mosz.
— Tu en as pris que pour toi ? continua-t-il de le questionner.
— Non, y en a toute une caisse sous tes fesses, pointa Mosz du doigt.
L’idée de Mosz d’utiliser un mandataire s’avérait astucieuse. Les enfants avaient l’air trop jeunes pour connaître les hérétiques. Et moyennant finance, ils ne se montraient pas très regardants.
— Observez qui va là !
Tel un héros, Beelzb se posa au sol.
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