Chapitre 3 : La théorie de l'évolution
Les chroniques d’Arnès paraissaient riches, mais en réalité elles se révélaient opaques. Toutefois, grâce aux historiens, on disposait des grandes lignes. En ce qui concernait les détails, seuls quelques savants les maîtrisaient, tout du moins, c’était ce qu’ils pensaient. C’est surtout par la science que l’on avait percé quelques mystères de l’époque des Primas.
— Dis-moi, Aniah, ne t’es-tu jamais demandé pourquoi il y avait autant d’espèces évoluées de nos jours ?
— Hum, non. J’avoue n’y avoir jamais songé au préalable. Mais maintenant que vous le mentionnez, je suis curieuse.
— Nos essais cherchent à vérifier une théorie que j’ai composée. Les Primas dominaient seuls auparavant sur Arnès. À présent, on dénombre sept civilisations, chacune représentée par une race propre.
— Oui, c’est trivial, on recense les Chons, les Xylors, les Felisters, les Canisters, les Taurochs, les Saurens et les Gorlems.
— Comment les choses avaient-elles pu évoluer ainsi ? questionna l’enseignant.
Grâce à plusieurs années de recherches, le professeur privilégia une théorie qu’il essayait de prouver depuis.
— Tu n’es pas sans savoir que les Primas disposaient d’un grand avancement technologique. À un point tel qu’ils étaient devenus comme maîtres et possesseurs de la Nature, passant du statut de procréateur à créateur. De cette supposition, j’en est déduit que chacun s’est exercé à jouer à Dieu.
— Vous voulez dire que, si je suis votre raisonnement, les Primas auraient essayé de créer la vie.
— Je ne dis pas qu’ils ont simplement essayé, je dis surtout qu’ils ont réussi. Ceci permettrait d’expliquer l’origine des différentes races des civilisations actuelles. Les Chons paraîtraient issus des primates. Les Felisters se seraient développés depuis les grands félins, à l’instar des Canisters avec les canidés. Les Taurochs auraient l’air affiliés aux impétueux bovidés. Les Saurens constitueraient l’évolution des lézards.
La théorie que le professeur exposait ne décrivait que les espèces qui composaient les structures sociales d’Arnès. En réalité, il pouvait l’étendre au genre animal tout entier qui se hiérarchisait en trois classes.
Au bas de l’échelle figuraient les bêtes. D’un point de vue intellectuel, elles étaient relativement limitées. Au sommet siégeaient les animarchs qui correspondaient aux sept grandes races. La principale caractéristique de cette classe d’êtres vivants reposait sur le fait qu’elle se situait à l’origine de civilisations. Enfin, entre les deux, existait une zone floue dans laquelle on trouvait les metanimaux. Cet ensemble regroupait un important nombre de genres singuliers.
La particularité de cette catégorie restait qu’une famille pouvait ne compter qu’un seul représentant. Ils paraissaient intellectuellement plus évolués que les animaux. Certains le demeuraient autant que les animarchs, voire plus. La grande différence avec ces derniers résidait dans le fait qu’ils ne formaient pas de civilisation. Les Gorlems avaient longuement été considérés au même titre que les metanimaux avant d’être reconnus en qualité de véritable structure sociale, les élevant alors au rang d’animarch.
— Tous ces êtres partagent un point commun, ils semblent l’évolution d’une bête. Mais comment expliquer l’existence des Xylors et des Gorlems qui ne demeure pas affiliée à la faune ? s’enquit Aniah.
Les Xylors, aussi incroyables, parussent-ils, proviendraient des feuillus. Mais encore plus invraisemblables, les Gorlems seraient nés de la roche, une chose inerte.
— Professeur, il est possible que nous regardions le problème sous le mauvais angle, suggéra Aniah. Il se pourrait que le procédé de création de vie qu’aurait employé les Primas soit très simple.
— Tu as sans doute raison, lança-t-il. Si ça se trouve, ils ont tellement perfectionné cet art qu’ils pouvaient exploiter n’importe quelle source de matière, vivante ou non, pour créer l’enveloppe charnelle.
Le professeur se tourna brusquement vers son cabinet et se mit à ratisser frénétiquement ses livres. Aniah ignorait ce qu’il recherchait et le voyait lire une par une la tranche des ouvrages. Arrivé au bas du meuble, il quitta la pièce vers une autre salle pour poursuivre sa fouille.
— Le voilà ! se réjouit l’enseignant. Ce livre provient de la bibliothèque de Zenilim, enfin de ce qu’il en reste.
— Zenilim ? s’enquit Aniah. Vous voulez faire référence aux vestiges se trouvant au nord de Zenfei ?
— Pourquoi ? Tu connais d’autres villes avec le même nom ?
— Ah non ! Pas du tout, répondit Aniah gênée. C’est juste que c’est la première que j’en entends parler et cela m’a surpris.
— Plus qu’en parler, nous allons nous y rendre ! annonça-t-il. Comme tu l’as si bien dit, j’ai besoin de regarder les choses sous un angle différent.
Aniah n’en revenait pas. Elle allait fouler les lieux de la mythique mégapole ayant donné naissance à Zenfei. Peu de gens se risquaient à s’aventurer dans les vestiges, car au-delà des murs de la cité, le danger se trouvait permanent. Plus qu’émerveillé, Aniah semblait effrayée à l’idée d’explorer l’extérieur de la ville.
— Ne t’en fais pas, il n’y a rien craindre, je me balade là-bas assez souvent, indiqua le professeur détendu. Nous mettrons simplement une heure et demie de marche pour rejoindre les ruines de la bibliothèque.
Aniah prépara ses affaires. Ils mangèrent avant de partir afin de ne pas avoir à s’arrêter et transporter de la nourriture. Le paysage demeurait magnifique. La forêt mêlée aux blocs de pierre donnait une harmonie comme nulle part ailleurs. Aniah se sentait toute petite au milieu des immenses arbres et bâtisses. Un sentiment de sérénité se dégageait de cet endroit. Après une longue randonnée, ils arrivèrent à destination.
— Est-ce que l’on cherche quelque chose en particulier ? demanda Aniah.
— Observe !
Sans faire de complication, elle s’exécuta et se mit à analyser les alentours. Elle tomba sur un bas-relief haut de plusieurs mètres. Aniah prit ses distances afin de pouvoir l’ausculter dans son entièreté.
— Alors, tu as trouvé quelque chose ? questionna l’enseignant.
— Oui, il y a cette énorme sculpture, mais j’ai du mal à déchiffrer de quoi il s’agit.
— Ah ah ! laissa-t-il échapper, maintenant tu comprends pourquoi je suis revenu.
— Hum ! Je crois que j’ai saisi, il faut regarder sous un autre angle ! Ce n’est pas parce qu’elle se présente à nous ainsi que c’est son sens originel. Le bas-relief a sûrement dû tomber et tourner.
Tous deux se mirent à pencher la tête afin de retrouver la véritable orientation du monument. En s’inclinant sur la gauche, l’un comme l’autre souriait. Malgré les altérations des motifs, ils avaient remarqué une forme géométrique ressemblant à un tétraèdre. À côté de chaque face se trouvaient des glyphes dont ils ignoraient la signification. En revanche, ils distinguaient très nettement la représentation d’un animal proche du gorille.
— Je suis sûre qu’il s’agit du peuple Primas à l’origine de la création des Chons, clama Aniah.
— Et dire que c’était sous mes yeux depuis le début.
— C’est une découverte incroyable, s’extasia-t-elle.
— Ce qui l’est encore plus, c’est ça, pointa l’enseignant du doigt.
Une autre pyramide était gravée et à ses côtés on apercevait un arbre. Aniah semblait avoir raison. L’art de la création des Primas reposait sur un tétraèdre dont la partie associée à la matière pouvait employer tout type d’éléments. Aniah s’empara de son cahier et de son crayon pour dessiner le bas-relief. Une fois achevé, nos deux savants pourraient rentrer à Zenfei. Pendant ce temps, l’enseignant explora les environs. Quand Aniah termina son travail, elle partit le rejoindre. Elle le chercha dans le dédale de ruines. Soudain, elle vit de la lumière jaillir de nulle part dans un coin sombre.
— Ah ! c’est vous Professeur, vous m’avez fait peur, confia Aniah.
Il lui lança un regard étonné puis éteignit rapidement son flambeau. Aniah trouva cela très étrange. Comment a-t-il pu allumer un feu sans rien ? Elle lorgna rigoureusement partout, aucun signe d’élément n’ayant servi à créer des étincelles.
— Bien, je vois que tu as fini, nous pouvons rentrer, annonça-t-il l’air de rien.
Aniah ne le lâchait pas du regard, si bien qu’elle ne prêtait plus attention à là où elle mettait les pieds et trébucha. Sa chute fut terrible, sa tête cogna un gros rocher. Elle commença à saigner abondamment au niveau de la tempe. L’enseignant réagit tout de suite. Toujours avec son bâton en main, il caressa son extrémité. Une flamme bleue fit irruption. Il l’approcha de la plaie d’Aniah afin de la cautériser et arrêter l’hémorragie. Il prit sa gourde et renversa un peu d’eau pour nettoyer les traces écarlates. Après plusieurs minutes, Aniah reprit connaissance.
— Aïe ! Que s’est-il passé ? demanda-t-elle déboussolée.
— Tu es tombée et tu as heurté un rocher puis tu t’es évanouie, expliqua l’enseignant. J’ai limité ta perte de sang, laisse ton corps s’habituer à la baisse de tension.
Après quelques minutes, Aniah se leva, prête à reprendre la route. Cette fois-ci, elle se concentrait sur le chemin. Ils rejoignirent Zenfei sans encombre. Le professeur accompagna Aniah à la Polyclinique pour se faire traiter.
— Oh ! Mais c’est la fille du docteur Bramanion, s’étonna une infirmière.
— Elle a surtout besoin de soin, rétorqua l’enseignant.
— Oui, tout à fait, je vais l’emmener au cabinet médical, sa prise en charge sera rapide.
À sa sortie, le professeur la conduisit au restaurant pour célébrer sa formidable découverte et terminer la journée sur une bonne note. Le retour à la demeure de l’enseignant se fit sous un ciel étoilé. Aniah n’avait qu’une envie, allait se reposait.
Le lendemain, elle prépare ses affaires. Son stage auprès du professeur touchait à sa fin. Il lui restait quelque jour pour achever son mémoire et elle préférait le compléter chez elle avec sa famille. Après quelques semaines de rédaction, Aniah réussit à finir son document. Jamais elle n’aurait imaginé réaliser un tel manuscrit. Sa plus grande fierté demeurait la découverte du bas-relief. Seneth relut son ouvrage. Il ne trouvait rien à déclarer, la théorie de l’évolution l’avait sidéré. Il la félicita pour son travail remarquable. Mais tout n’était pas terminé, Aniah devait encore préparer sa présentation devant le jury.
— Dis-moi chéri, pourquoi étais-tu à l’hôpital l’autre jour ?
— Ah, rien de grave papa. Je suis tombé pendant une balade et ma tête a pris un coup, rapporta-t-elle. Pendant que j’y pense, je dois planifier une sortie pour la classe avec qui je travaille dans le cadre du programme Les Savanturiers. Je songeais à préparer une visite de la Polyclinique aux enfants afin de leur faire découvrir le monde de la médecine. Peux-tu m’aider à organiser cet événement, s’il te plaît ?
— Oui, je vais voir ce que je peux faire pour t’arranger ça, déclara-t-il.
— Merci, tu es le meilleur de tous les papas !
— Arrête, à ton âge ce n’est plus crédible, voyons, plaisanta-t-il. Est-ce que tu as une idée de la date ?
— D’ici deux semaines normalement, car celle qui arrive, je dois réaliser la présentation de mon projet de fin d’études et de mon mémoire.
— Je te souhaite bon courage. Si tu as besoin d’aide, n’hésite surtout pas à me solliciter.
— C’est gentil, mais je vais m’en sortir, lança-t-elle pleine d’assurance.
Son père la regarda d’un air fier avant de s’en aller. Aniah fila à son tour en direction de l’université afin de préparer son épreuve orale. Elle effectua un détour par l’école primaire pour voir sa classe. Elle ne demeurait pas enseignante, mais accompagnatrice. Le programme des Savanturiers avait pour but d’initier les élèves aux méthodes de la recherche. Cela leur permettait de développer leurs sens créatifs, critiques et collaboratifs grâce à des intervenants comme Aniah. Elle informa la maîtresse de la sortie prévue à la Polyclinique.
Le grand moment était arrivé, le jour de sa soutenance avait sonné. Aniah semblait détendue, un peu à la manière de son mentor. Elle se présenta la tête haute et entama un long monologue de plusieurs heures. Elle quitta la salle pour laisser le jury délibérer. À son retour, les quatre auditeurs l’applaudirent tant le travail produit demeurait excellent.
Son diplôme validé, Aniah s’empressa de rejoindre la maison de son précepteur.
— Merci pour tout, Professeur ! s’exclama-t-elle en le prenant dans ses bras.
— Oh là ! Doucement, jeune fille. Je t’en prie, cela a été une immense joie. Et je n’ai de cesse de te le répéter, tu n’es pas obligé de m’appeler Professeur constamment. Tu peux me tutoyer, m’appeler Zavilric ou dans une moindre mesure M. Eldwarc.
— Merci M. Eldwarc.
— Mon plaisir ! J’espère que nos chemins se recroiseront, lança-t-il en souriant.
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