PROLOGUE : LES RACINES DE L’OUBLI
Le grand-père de Néo, Guillaume, n’était pas un homme ordinaire. C’était un ingénieur passionné, un de ceux qui croyaient encore qu’un futur meilleur pouvait être construit. Dans les années 2020, il travaillait dans le secteur de l’énergie nucléaire, une filière qu’il voyait comme la clé pour réduire la dépendance aux combustibles fossiles et freiner la montée inexorable des températures globales. Il voyait dans cette technologie une alternative propre, capable de produire une énergie abondante sans émettre de CO₂. Mais Guillaume n’était qu’un grain de sable face à des forces plus grandes, plus puissantes, et plus dévorantes : les lobbys des énergies fossiles, les marchés financiers, et surtout, une nouvelle caste d’hommes qui ne rêvaient pas seulement de richesse, mais de domination totale.
Ces ultra-milliardaires, figures centrales de son époque, semblaient tout contrôler : entreprises, gouvernements, médias. Guillaume voyait leurs noms revenir sans cesse, comme des spectres omniprésents. Musk, Bezos, Zuckerberg, et d’autres. Leurs ambitions s’étendaient bien au-delà du simple profit. Ils finançaient des projets démesurés : coloniser Mars, réinventer le corps humain grâce à la biotechnologie, privatiser les systèmes éducatifs et de santé. Sous des airs de philanthropes, ils construisaient des empires où tout, même l’air que l’on respirait, pouvait devenir une marchandise.
Guillaume assistait, impuissant, à ce glissement. Les nations perdaient peu à peu leur pouvoir au profit de ces géants corporatistes. Les gouvernements, corrompus ou paralysés, étaient incapables d’imposer des régulations allant dans le sens du bien-être collectif. Les conférences internationales sur le climat étaient infiltrées par ces magnats de l’énergie et de la finance, qui s’assuraient que toute transition significative resterait au point mort. Derrière les sourires des politiciens populistes, comme Donald Trump ou d’autres qui suivirent, se dissimulaient les intérêts de ces hommes pour qui chaque catastrophe représentait une nouvelle opportunité d’enrichissement.
« On pourrait arrêter tout ça, tu sais », disait souvent Guillaume à sa femme et à ses amis.
Guillaume avait toujours été fasciné par les grands avertissements du Club de Rome. Depuis “The Limits to Growth”, ce rapport visionnaire des années 70, leurs auteurs Dennis et Donella Meadows, Jorgen Randers étaient convaincus que notre monde fonçait droit dans le mur, prisonnier d’une croissance aveugle. Les modèles du MIT, qui annonçaient un effondrement si rien ne changeait, résonnaient en lui comme une prophétie trop souvent ignorée. Mais récemment, avec “Earth for All”, un nouvel espoir était né : une feuille de route pour transformer nos sociétés, réduire les inégalités et réconcilier l’économie avec la planète. Guillaume y voyait une chance, peut-être la dernière, de bâtir un avenir plus juste et durable.
« La technologie, les solutions, on les a » disait-il. Mais les super-puissances, les oligopoles, les empires économiques préfèrent continuer à creuser et s’enrichir. Ils veulent extraire chaque goutte de pétrole, chaque gramme de charbon, parce que tout ce qui compte, c’est aujourd’hui. Demain, ils s’en foutent. »
Les Décennies de la Chute
Les années 2030 furent le point de basculement. Alors que la température moyenne de la planète dépassait les +1,8 °C, les catastrophes s’accumulaient, accélérant l’effondrement. Les glaciers du Groenland et de l’Himalaya fondaient à un rythme effarant, provoquant des montées des océans qui engloutirent des régions entières. Des villes comme Jakarta, Bangkok et Miami furent submergées. Les populations fuyaient par millions, cherchant désespérément des terres encore vivables. Mais les terres vivables, elles aussi, se rétrécissaient.
L’Afrique subsaharienne, déjà fragilisée, avec une démographie débordante devint un véritable enfer climatique. Les vagues de chaleur dépassaient régulièrement les 50 °C, rendant l’agriculture impossible et forçant des dizaines de millions de personnes à migrer vers le nord. Les nations européennes, dépassées, construisirent des murs, érigeant de véritables forteresses pour se protéger des réfugiés climatiques qu’elles désignaient désormais comme des « envahisseurs ». Dans les camps à leurs frontières, la misère et la violence devinrent la norme.
Mais les migrations ne concernaient pas que les pays en développement. Aux États-Unis, des millions de personnes quittèrent les zones arides de l’Ouest, frappées par des sécheresses chroniques et des méga-feux, pour tenter leur chance sur la côte Est. Ces migrations internes, combinées à une crise économique mondiale, attisèrent les tensions sociales. Les gouvernements, affaiblis et surendettés, se tournèrent vers les ultra-milliardaires, leur offrant encore plus de pouvoir en échange de leur aide pour maintenir l’ordre.
Les magnats de la Silicon Valley, eux, voyaient ces crises comme des opportunités. Les systèmes de santé et d’éducation, autrefois publics, furent privatisés. Les technologies de surveillance, financées et déployées par ces élites, transformèrent les grandes villes en véritables prisons à ciel ouvert pour les classes populaires. Les mégalopoles furent divisées en zones : des citadelles sécurisées pour les riches, où des drones et des robots assuraient la sécurité, et des zones périphériques où les laissés-pour-compte luttaient pour leur survie.
L’Économie du Chaos
Dans ce monde en crise permanente, les ultra-milliardaires continuèrent de prospérer et à concentrer leur hégémonie sur le monde. Ils créèrent des marchés autour du désastre. L’eau potable, devenue plus rare que jamais, était vendue à prix d’or. Les terres agricoles fertiles, accaparées par des corporations, étaient utilisées pour cultiver des produits de luxe destinés à une minorité, tandis que les masses mouraient de faim. La pollution de l’air, devenue mortelle dans certaines régions, donna naissance à une industrie florissante de purificateurs d’air personnels, uniquement accessibles à ceux qui pouvaient payer.
Les inégalités atteignirent des niveaux absurdes. Pendant que des milliards de personnes vivaient dans des bidonvilles ou des camps insalubres, une poignée de familles ultra-riches s’isolaient dans des cités flottantes ou des enclaves ultra-sécurisées dans des zones paradisiaques du globe, coupées du chaos qu’elles contribuaient à engendrer. Guillaume observait ce monde se désintégrer avec un mélange de colère et de désespoir. Il répétait souvent : « Ils s’enrichissent même en détruisant ce qui reste. Ils vivent dans leurs bulles pendant que tout s’écroule. »
Le Monde de Néo
Quand Néo naquit, autour de 2090, ce que Guillaume avait appelé “civilisation” n’était plus qu’un souvenir lointain. Néo grandit dans un monde où les ruines des anciennes nations servaient de terrain de jeu à des gangs, des milices privées et des enclaves corporatistes. Paris, autrefois la Ville Lumière, n’était plus qu’une mosaïque de bidonvilles entourant des zones ultra-sécurisées où les riches vivaient sous des dômes climatisés, surveillés par des IA et des drones.
Les récits que son père lui transmettait, basés sur les travaux de son arrière-grand-père Jacques, les souvenirs des moments passés avec Guillaume, semblaient incroyables. Il relataient un monde où l’on pouvait boire à sa soif, où les forêts étaient encore pleines de vie, où la neige illuminait les montagnes et alimentait les torrents l’été et où les enfants allaient à l’école sans craindre de mourir dans une tempête de sable ou une émeute. Mais pour Néo, tout cela appartenait à une autre époque, presque à une autre planète.
Et pourtant, quelque chose en lui, une étincelle héritée de son grand-père, refusait d’abandonner. Dans les ruines de ce monde en déliquescence, il sentait que tout n’était pas perdu. Peut-être que sous les ombres des tours effondrées et dans le silence des machines rouillées, il restait encore une chance de reconstruire. Mais pour cela, il faudrait défier les maîtres du monde, ces hommes qui avaient façonné ce chaos à leur profit. Un combat presque impossible, mais Néo n’était pas du genre à abandonner.
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