Le couronnement

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Le soleil se lève au dessus du glorieux royaume de Feminae. Le valet se dirige vers la chambre de la princesse pour la réveiller en cette matinée endeuillée. La reine a rendu son dernier souffle la veille auprès de sa fille, ses fils et son mari.

Les sons cuivrés des trompettes réveillent l'étendue et anoncent la mort de la souveraine. Les habitants, tout de noir vêtus, sortent dans les rues et se dirigent silencieusement vers le palais. Le royaume entier se réunit, en cette matinée ensoleillée, afin de rendre un dernier hommage à celle qui a régné pendant plus de 60 ans.

La princesse se réveille suite au léger tambourinement du valet contre la porte de sa luxueuse chambre. Le corps lourd, les yeux rougis, le coeur meurti, elle se lève d'un pas pénible et se dirige vers sa salle de bain. Elle n'a que très peu dormi, tombant de sommeil après avoir tant pleuré. Elle se recouvre le visage d'eau fraîche, et se regarde dans le miroir. Ses longs cheveux roux, ébouriffés, lui donnent un air sauvage; la rougeur de ses yeux accentue le bleu de ses iris. Elle ouvre le robinet de sa spatieuse baignoire et laisse couler l'eau tiède. Elle y ajoute des pétales de fleurs ainsi que quelques gouttes d'huile essentielle de lavande. Elle ôte son peignoir de soie et trempe le pied gauche puis le pied droit avant de s'y plonger entièrement. L'odeur apaisante qui se dégage des corolles plongées dans cette eau limpide lui permet de se détendre un peu, de la faire voyager au fin fond de son esprit peiné. L'effroyable douleur causée par la mort de sa mère accentue l'angoisse qui commence à naître en elle. Pourtant préparée à cela depuis fort longtemps, elle va devoir succéder à sa génitrice, prendre les rennes de Feminae, ce paisible royaume céleste dirigé par les femmes de sa famille depuis toujours.

Elle sort de son bain, se sèche, tandis que les servantes s'activent autour d'elle sortant des portants remplis de robes toutes plus belles les une que les autres, sortant des chaussures de leurs boites, exposant des bijoux ornés de pierres précieuses. Elle s'assoit confortablement sur un fauteuil en face d'un grand miroir et, sans un mot, la coiffeuse et la maquilleuse commencent leur oeuvre. Perdue dans ses pensées, la future souveraine fixe le miroir d'un air vide. Son père entre dans la pièce, la regarde avec compassion, pose un baiser rempli de tendresse sur sa joue et sort d'un pas discret. Il se dirige vers la chambre de son ainé qui semble ne pas avoir dormi.

"- Tu m'as l'air fatigué. Lui lance-t-il d'un air doux

- Je n'ai pas réussi à trouver le sommeil. Comment va Chará?

- Elle a l'air stressé, triste, perdu mais ça va aller, elle va y arriver, j'ai confiance."

Les deux hommes savent que la jeune femme aspirait à un autre avenir. Elle aurait aimé faire des études, du sport, avoir des amis, sortir... Le pouvoir ne la fait pas réver, elle s'en fiche, elle n'aime pas les responsabilités et ne pense pas avoir le sérieux requis pour ces dernières. Mais elle n'a pas le choix, seules les personnes de sexe féminin peuvent régner sur le royaume.

Légèrement maquillée, coiffée d'une tresse avec quelques mèches rebelles s'échappant de sa longue natte et habillée d'une robe de princesse de couleur bleu égyptien resplendissante, une imposante cape posée sur ses épaules, elle s'avance vers le long couloir menant au balcon qui surplombe l'immensité de l'étendue royale où le peuple patiente. Ses frères et son père l'attendent et en profitent pour saluer la foule attristée venue rendre hommage à la défunte reine et célébrer le couronnement de la nouvelle souveraine.

"- Tu peux le faire, tu vas y arriver, relève la tête princesse." se chuchotte-t-elle à elle même. Ces mots, sa mère aurait pu les prononcer, elle le sait. Elle prend alors son courage à deux mains et, d'un pas décidé, s'avance. Les valets, les servantes, s'inclinent sur son passage. Le regard froid, fixé devant elle, elle continue son cheminement, luttant contre elle même, contre son envie de fuir. Elle sait que si elle veut partir, elle doit le faire maintenant. Elle prend une grande inspiration et sans réfléchir, passe la baie vitrée pour rejoindre les hommes de sa famille. Le peuple l'acclame avant de s'incliner devant la jeune femme. Le valet s'approche du père avec un petit coussin rouge coquelicot sur lequel repose la somptueuse couronne royale dorée ornée de saphir. La princesse pose un genou à terre pour symboliser sa soumission à la royauté, l'homme saisit la majestueuse tiare et, pendant que le prêtre récite des passages de la Bible, la lui pose sur la tête. S'ensuit un silence religieux durant lequel la princesse reste dans cette position, répétant les mots de l'homme d'Eglise, les mains posées sur le livre sacré. La scène dure une dizaine de minute. Elle se relève, maintenant reine, souveraine de ce gigantesque royaume. A présent la personne la plus importante de cette monarchie, surplombant la foule, elle prend la parole:

"La mort dans l'âme, le coeur sanglant, je prends la parole devant vous en cette matinée de juillet. La mort de la reine mère Vasílissa qui a tant fait pour ce Royaume me plonge dans un chagrin immense et les mots me manquent pour exprimer l'éternel amour que je lui porte. Aujourd'hui, je prends la parole devant vous, moi Reine Chará, et m'engage à défendre l'honneur de notre patrie, à prendre les décisions nécessaires à son bon fonctionnement, à m'impliquer corps et âme dans cette nouvelle fonction. Mes frères, mes soeurs, en cette journée, je prends la parole devant vous pour exprimer ma joie de devenir votre souveraine et je m'incline devant vous en m'engageant à vous respecter en toutes circonstances." La reine s'incline, le peuple fait de même, puis elle se retire silencieusement, tout en se demandant si elle n'aurait pas du fuir.

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