Chapitre Deux
Matt avait passé toute sa vie dans la mystérieuse ville de la Nouvelle-Orléans. Il avait côtoyé des Américains, des Afro-Américains, des Français, et se sentait imprégné par cette mixité culturelle qui l'avait bercé toute son enfance. Il aimait cette ville, profondément. Les bayous et les dangers qu'ils représentaient, la musique quasi-permanente, la diversité gastronomique. Même les moustiques, compagnons de sa vie dans un climat des plus humides, ne le dérangeaient pas.
Tout en tripotant une de ses cicatrices, rondes et minuscules, sur son avant-bras, le jeune homme songea qu'il allait devoir oublier la moiteur typique de la Louisiane pour s'adapter à la chaleur plus sèche de Danvers.
Au moins, il verrait la neige cet hiver.
La maison que ses parents avaient acheté ne présentait, à ses yeux, qu'un intérêt limité. Perdu dans une banlieue où toutes les maisons se ressemblaient, ou presque, en bois brun foncé. Il y avait un étage, mais il ne contenait qu'une chambre, et deviendrait donc l'aile parentale.
Matt prit le temps de découvrir sa chambre, petite mais toute en bois, du sol au plafond. A l'origine, ce devait être une pièce à vivre, car à la place d'une fenêtre il y avait une baie vitrée. Le début de la liberté, avait dit son père en lui donnant son trousseau de clés, avec parmi elles la clé qui ouvrait la baie vitrée. Il serait donc libre d'aller et venir librement.
Avec un soupir, Matt entreprit de déballer ses cartons.
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« Merde. » jura Jules en tripotant sa cravate.
Les sourcils froncés, Melody lui asséna une petite tape sur la main.
Ses cheveux bruns tirés en arrière, elle était l'image même de la petite lycéenne parfaite. Matt ne se faisait pas de soucis, elle se ferait très vite une place dans son nouveau lycée. Pas une fois elle n'avait tiré sur le col de son chemisier ou lissé son kilt. L'uniforme de St John était plus contraignant que celui de leur ancien lycée, où un simple polo aux couleurs de l'école, et un pantalon ou une jupe noire faisait l'affaire.
Jules grognait depuis qu'il avait dû enfiler son blazer, et semblait décidé à abîmer au plus vite ses mocassins. Amusé, Matt lui donna une bourrade affectueuse.
Pourtant, il n'en menait pas large non plus. Ils se tenaient devant la cour de leur nouveau lycée, et la cloche n'ayant pas encore sonnée, tous les élèves s'interpellaient joyeusement, ravis de se retrouver après trois mois de vacances. Les garçons se tenaient dans un coin, près des arbres, et les filles gloussaient de l'autre côté.
En apercevant la longueur de leur kilt, Matt eut une œillade vers sa sœur. Melody eut un reniflement décidé, et fut la première à se jeter dans la fosse aux lions. Avec un nouveau juron, Jules la suivit.
Au lieu d'imiter les jumeaux, Matt évita soigneusement les petits groupes déjà formés.
Il fallut une matinée pour que Matt mette le doigt sur ce qui le dérangeait. Et en rejoignant Jules et Melody pour le déjeuner, il leur fit part de son constat.
« Il n'y a que des élèves blancs. »
Jules, la bouche pleine de sandwich au poulet, grogna une interrogation. Melody, plus distinguée, avala sa bouchée : « Pardon ? »
- Je n'ai croisé aucun élève noir. Dans aucun de mes cours, ni dans les couloirs. Et vous ? » demanda Matt.
Melody prit le temps de réfléchir à la question en buvant une gorgée d'eau. Jules fut plus prompt à réagir.
« C'est pas la Nouvelle-Orléans ici, c'est normal. »
Son ton posé surprit Matt. Où était passé l'adolescent bougonnant de ce matin ?
« Les gars de mon cours de sport m'ont invité à aller faire une partie de foot. » Jules termina son sandwich. « A plus ! » Et sans plus de cérémonie, il s'éloigna en trottant vers le terrain de sport.
Un point pour l'adaptation. songea Matt.
Melody surprit son regard. « Tout est différent, ici. Les gens, leurs habitudes, même le climat. » Un soleil de plomb chauffait le crâne de Matt, et faisait ressortir les tâches de rousseur de Melody. « Il va nous falloir du temps, mais ça va aller. »
Matt l'observa un moment.
« Comment sont les filles de ton année ? »
Le nez de sa sœur se fronça.
« Je dois rallonger ma jupe. Par cette chaleur ! J'ai eu droit à leur clémence parce que c'est mon premier jour. Trop aimable. » grinça Melody.
Matt échangea un regard entendu avec sa sœur. Il avait bien remarqué que les filles portaient leur kilt en dessous du genoux, alors que Melody, habituée aux tenues de son ancien lycée, avait choisi le modèle qui arrivait quelques centimètres au-dessus des genoux, tout en conservant néanmoins une décence irréprochable.
« Et toi ? Les élèves de dernière année ? »
Matt repensa aux garçons qui l'avaient vaguement abordé entre deux cours, sans jamais pousser la conversation très loin. Une fille avec les cheveux coupés au carré avait fait l'effort de discuter avec lui parce que son casier était proche du sien, avant de lui tourner très vite le dos. Il avait cru trouver des amis potentiels durant son cours de français, qu'il parlait couramment, mais les élèves qui suivaient ce cours ne le faisaient visiblement pas par plaisir. La matinée avait été des plus mortelles. Le seul point qui l'intriguait restait cette absence d'élèves noirs.
« Matt ! Les élèves de dernière année sont comment ? » insista Melody.
« Différents. »
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