Prière d'Hector
Enée, discrètement, s'approche de la reine,
Mais d'un mouvement sec, la belle le réfrène:
Pour vaincre ce combat, il faut la jouer fine
Et jouir d'une certaine approbation divine.
Aussi décide-t-il de pallier ce tort
En narrant la causette que lui fit Hector.
"In somnis, dit-il donc, et ante oculos
Est apparu Hector, - oui! - en chair et en os!
Il était très ému, et je dois dire en fait
Qu'il pleurait devant moi ainsi qu'une fillette.
Ce n'était plus l'Hector glorieux de naguère
L'Hector victorieux menant toutes les guerres
Ni l'Hector brandissant les dépouilles d'Achille
Il était noir de sang, bleu de peur, vert de bile,
Il n'avait rien, hélas, plus rien d'un fils de roi,
Les pieds tout déchirés encor par la courroie.
Son pallium en lambaux en était indécent,
Ses cheveux et sa barbe étaient couverts de sang,
Comme si par le char il était toujours pris:
Il était plus blessé encor que sa patrie.
Aussitôt, il me dit d'une voix compassée:
"Lumière des Troyens, j'appartiens au passé,
Mais toi, espoir glorieux de ta glorieuse race,
Toi qui es né avec et la force et la grâce,
O lux Dardaniae, o maior Teucrum spes
(C'est ainsi qu'il m'appelle, eh oui, je le confesse),
Toi, enfant de déesse, enfuis-toi de ces flammes,
Déserte s'il le faut la cité de Priam.
Prends tout ce que tu peux, cherche d'autres remparts
Où poser nos Pénates, mais je t'en prie, pars.
Nul ne pourra tirer la patrie d'embarras,
Et quand ç'aurait été, c'eût été de mon bras.
Prends nos objets sacrés, nos trésors, nos suaires,
Et dans une autre ville offre leur un sanctuaire,
Bois plus que de raison pour fêter ton départ,
Fais tout ce que tu veux, mais, je t'en supplie, pars."
J'écoutais ce grand homme, héros de ma patrie,
Mais je suis resté sourd. Je ne suis pas parti."
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