Hē pólis toû pétrinon génous
[Ce texte est inachevé. Il est posté en l'état pour faire acte de présence, mais ne concourra pas.]
Les aèdes ont chantés les grands âges de l’Humanité. De la splendeur de l’Or, à la rudesse du Fer.
Cinq temps où dansèrent les muses, festoyèrent les dieux, et s’avilirent les hommes.
Mais aujourd’hui, je puis dire qu’Hēsíodos est resté muet. Lui et tous ses héritiers, sourds et aveugles !, car j’ai vu ce qu’aucun n’a pu voir.
Je vous écris en ma qualité d’historien d’Aléxandros, Basileus Basileôn, souverain de l’Oikouménē. J’ai en mémoire les terres fertiles qui embrassent Olynthos, vieille cité de mon enfance qui surplombait les eaux calmes du Toronéos ; un paysage que tout enfant de Makedonía connaît. Je peux vous citer la moindre des arabesques des palais de Pella, comme chacun des piliers qui soutiennent les faites d’Athênai. Je peux aussi vous décrire les routes royales qui traversent l’Asía jusqu’à la vaste Babylṓn, et les Portes Persiques et les ruines de l’infamante Persépolis ̶ brûlée comme il se devait par des hommes beaux et bons. Je peux aussi vous parler des trésors inimaginables que l’on trouve plus loin encore, au bout du monde, derrière les cimes du Kaúkasos.
Mais rien de tout cela ne peut préparer un homme à être témoin du secret que les Dieux eux-mêmes ignorent. Ni eux, ni mêmes les muses et la trés sage Mnếmê siégeant au sommet de l’Helikṓn n’ont murmuré le moindre mot ; aucun soupir.
Ô que les Moîrai sont cruelle ! Non content de me jeter dans les geôles de Baktra par un Roi qui m’a pensé conspirateur, il m’a offert la prónoia en d’étranges mois sans voir la mort venir, et d’une fuite couverte par le déluge d’un rare orage.
Ma survivance dans les montagnes arides n’en fut pas moins admirable. J’ai erré sans but ni force, buvant des quelques mares éphémères, mangeant baies et charognes sous le regard prudent des fauves de la montagne.
Quelle cruauté que de m’éveiller des jours durant, survivant comme une bête errante, pour seulement me recoucher sans savoir si le Soleil se lèverait encore à l’aube. C’est un sort peu enviable ; si méprisable qu’une fois les dieux repus de leurs moqueries, ils m’offrirent un soulas en de familiers échos surgissant de la vallée.
Il y avait là devant moi d’immenses champs d’airain qui ondoyaient par la marche des sarissophores. J’en eut compté au moins cinq taxeis. Et deux fois le nombres de chariots, de femmes et autres servants. Il y avait là de nombreux visages, et tout autant de langues, mais en me rapprochant, j’entendis distinctement les mots de Makedonía. Il ne m’en fallut pas moins pour me jeter à genoux aux pieds de ces braves, qu’ils fassent quelque chose, ce qu’il voulait !, du pauvre hère que j’étais devenu. Mais à ma surprise, l’on ne fit rien pour atteindre à ma vie, pas plus pour m’entraver ; bien au contraire : alors qu’ils installait leur camp, l’on me donna ration et vin clair en me faisant attendre dans une large tente. C’est là que je rencontrai Amýntas ; il m’expliqua qu’il avait été élu par ses pairs pour les guider jusqu’au pays ; il y avait là principalement des hommes de la garnison de Baktra et leurs familles. Mais également, et j’en fus plus surpris, des Syriens et des Mèdes et autant de Perses.
Tous quittant la ville pour s’en retourner chez eux, un butin immense à leur suite ! « Le Roi est mort en bataillant par-delà l’Indus ! » Il n’avait lors plus aucune raison de demeurer ici, ni aucune raison de me châtier. En fait, me confia sans orgueil Amýntas, il vit en moi une aubaine car mon savoir leur était inestimable.
Je terminai ma journée à l’abri des intempéries, le ventre plein, et l’esprit amène des rencontres inattendues.
Le lendemain, le ciel était grand et pesant, couvert d’un linge blanc qui ne laissait pas voir le Soleil. Mais sûr de la direction qu’ils avaient empruntés, Amýntas ordonna que l’on marche vers le Sud-Ouest. Il fallait s’éloigner des montagnes qui enserrent Baktra, et prendre le chemin vers la Mer.
Alors nous marchâmes sous le ciel lourd de jugements, sous la nuit pleine d’astres pétrifiés. Nous marchâmes les épaules brûlées ou les cheveux noyés. Nous marchâmes sans nous arrêter.
Et je fus frappé d’effroi, car j’avais beau creuser mes souvenirs, reviser nos différents repères, la Montagne ne s’éloignait jamais de notre horizon. Nous nous endormions toujours dans son ombre.
J’eus entendu parler les perses entre eux. Il y avait une certaine crainte, et déjà des noms parcouraient notre phalange. Amýntas me les traduisit, connaissant l’intérêt qui me traversait ; il était question de « Míthrāpýlē », « Palatòs tōn Theōn » ou encore « Oûros toû pyrós ». J’osai alors lui faire part de mes doutes ; nous étions pris au piège, et il m’était impossible de penser à l’incompétence de nos compagnons autochtones, à ma propre incurie ou celle des stratēgoí. Il me confia qu’une rumeur d’impiété traversait les rangs, et qu’un sacrifice devait se tenir au plus vite. Pour demander pardon aux dieux offensés d’Hellás ou de Persía ; ou soulager les cœurs troublés des Hommes qui quêtent leur demeure.
La nuit qui précéda le sacrifice, l’on planta le camp au pied de la montagne. Nous nous en étions rapproché, ou était-elle venue à nous, sans trop savoir si nous étions sur une sente de perdition. Qu’importe, au point où nous étions, revenir à la maison pouvait attendre quelques jours de plus.
J’ai souvenir du vent qui s’engouffrait dans ma tente, ce fut comme un soupire qui ne savait cesser ; un murmure qui s’efforçait de me tenir éveiller, pour que je ne l’oublie pas. La Montagne chantait, et elle nous éprouvait. Amýntas devait subir le même tourment, car je l’entendis m’appeler à voix basse et passer un bras à l’intérieur. Je le suivis et il me montra le col qui nous attendais au matin. La brume était lourde et épaisse, et les Ánemoi oraient des mots que je n’avais jamais entendu et l’éclat des étoiles jetait un jour singulier sur le paysage. Mon ami le disait lugubre.
Au matin, les compagnons restèrent muets quant à leurs cauchemards, et les victimaires égorgèrent trente chevaux, autant d’aurochs et prés du tier de nos chèvres et moutons.
Háitās décréta qu’il fallait brûler toutes les carcasses, qu’aucun ne dérobe la moindre chair, la moindre toison, ou l’on lui couperait la main et lui crèverait l’œil. Amýntas fit de son mieux pour calmer les contestations ; il les partageait lui-même, mais Háitās était notre prêtre de circonstance, et — précisa-t-il — en berger d’Arkadía, un homme de piété, proche des bêtes et des Dieux.
Le sol en fut calciné, et l’empyreume s’éleva jusqu’au fond de la vallée. Les amphores remplies de sang servirent à peindre les parois du couloir, et nous finîmes par l’oblation de panoplies.
J’eus cru un instant qu’Háitās, dans sa timeur exaltée, allait exiger que certains d’entre nous terminent leur voyage ici. Mais je fus soulagé, car il dû lire dans le ciel ou la pierre un présage favorable et décréta que les Dieux étaient satisfaits.
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