XIX
Nous retournâmes dans le Sud où j’avais préparé une surprise à Gwen ; nous nous installâmes dans la petite ville dans laquelle nous nous étions rencontrés 10 ans auparavant et ses parents nous accueillirent à l’entrée de la grande maison où nous avions logé à l’époque. Je savais que Gwen était en froid avec ses géniteurs depuis son coming-out et je me sentais responsable, je ne voulais pas qu’il perde sa si gentille famille à cause de moi alors je leur avais envoyé une lettre en éclaircissant le malentendu qui m’avait valut de recevoir un coup de poing de son père. Je suppliai Gwen de leur pardonner, lui affirmant qu’il avait de la chance d’avoir des parents si compréhensifs, et il accepta d’avoir une discussion avec eux. En les attendant, je me chargeai de la visite de la maison qui parut bien petite sous notre nombre. Nous nous répartîmes cinq chambres entre nous, laissant la sixième aux parents de Gwen qui devaient rester pour la nuit, puis nous partîmes nous détendre au bord de la piscine qui se trouvait sur notre terrain. Gwen et ses parents nous retrouvèrent bientôt tout sourire après s’être longuement expliqués, ces derniers tinrent à s’excuser de m’avoir mal vu en assumant le pire et je ne pus m’empêcher de pleurer de joie quand ils me promirent que je restais le bienvenu chez eux. Après toutes ces émotions, nous remontâmes à la capitale pour finir notre voyage en beauté avec un grand concert en plein air mais rien ne se passa comme prévu. Au milieu du show, je vis un homme approcher la foule de côté un objet à la main. Une femme du public le remarqua et courut devant lui pour l’empêcher d’avancer, j’allais détourner le regard pour demander à un de mes amours d’aller voir ce qui se passait quand je compris ce que l’homme tenait dans sa main : une arme à feu. Mon sang ne fit qu’un tour, Tom qui avait également vu l’arme cria à la foule de se déplacer tandis que je sautai de la scène pour courir en direction du danger. Je vis la femme tenter de désarmer l’homme quand il la pointa vers son ventre et tira deux fois. Les coups de feu alertèrent le public qui s’éparpilla dans tous les sens. Matthieu, Alex, Sugar et Manon les guidèrent vers l’arrière de la scène pendant que Neil et Adrien s’occupaient de Dys, Sara, Kitty et Sally. Je rattrapai la femme avant qu’elle ne tombe au sol, l’accompagnant doucement dans sa chute, alors que Tom, Gwen et Felicia couraient après l’homme qui s’était enfui juste après avoir tiré. Laura accourut auprès de moi pour stopper l’hémorragie qu’avaient causée les deux balles mais elle perdait trop de sang, Mama appela vite une ambulance tandis que j’essayais de rassurer la femme qui se vidait de son sang. Je me mis à lui poser mille questions pour la forcer à me parler et à rester éveillée. Elle me confia qu’elle s’appelait Jenny et qu’elle était trans, sa seule famille était la communauté. Elle était heureuse que ce soit elle qui se retrouvait par terre et pas quelqu’un d’autre. Elle avait vu l’homme s’approcher et elle avait agis, je lui dis qu’elle avait bien fait. Elle nous avait tous protégés. Laura n’arrivait pas à garder son calme, elle perdait trop de sang. L’ambulance n’arrivait pas. Le coupable avait disparu dans la nature mais nous avions vu son visage, nous le retrouverions. La respiration de Jenny se faisait plus rapide, je retins mes larmes au fond de ma gorge et continuai de la faire parler. Elle n’avait pas d’ami, pas d’amant, personne pour s’inquiéter d’elle. Elle avait été forcée de faire le trottoir pour payer ses factures comme aucun employeur ne voulait d’une pauvre femme trans avec un mauvais passing, ces ordures. Elle était venue me voir. Moi. Elle m’avait vu sur les réseaux et ça lui avait fait un bien fou de voir un trans qui s’en sort bien. Elle m’a couvert de compliments. Le sang fuyait son corps comme s’il n’y avait pas sa place. L’ambulance n’arrivait toujours pas. Jenny se mit à cracher du sang, elle avait de plus en plus de mal à rester éveillée. Elle me réclama un dernier baiser, je ne voulais pas. Elle ne pouvait pas mourir. Je ne la connaissais que depuis quelques minutes mais j’étais attaché à elle désormais. Elle ne pouvait pas mourir. Elle insista pour avoir son baiser et je cédai. Je déposai mes lèvres tremblantes sur les siennes, espérant que ça lui donne un coup de boost mais je la sentis faiblir contre ma bouche. Elle rendit son dernier souffle et le monde se tut. Mes larmes déferlèrent sur mes joues telles des avalanches en montagne. J’entendis l’ambulance arriver mais il était trop tard. Elle était morte. Mama cria à plein poumons sur les ambulanciers quand ils descendirent du véhicule, ils avaient pris trop de temps. L’hôpital n’était pourtant pas si loin. Laura pleurait en répétant << Je n’ai rien pu faire >> à côté de moi tandis que je m’accrochai au corps sans vie de Jenny de toutes mes forces pour ne pas la laisser aux brancardiers. Elle serait seule alors, elle qui avait déjà été seule toute sa courte vie, je ne pouvais pas l’abandonner maintenant. Sugar et Matthieu s’approchèrent de moi pour m’aider mais je sanglotai jusqu’à m’en faire tourner la tête avant de finalement la lâcher. J’avais le goût de son sang dans la bouche. Nous avions tous été impuissants face à elle ; nous avions peut-être protégé la foule comme elle le désirait mais nous n’avions pu arrêter ni son assassin ni sa mort. Je me sentais si faible. Tom s’occupa d’aider la police à faire un portrait-robot du meurtrier, moi je n’en avais pas la force. Je n’arrivais même plus à réfléchir, la seule chose à laquelle je pouvais penser c’était à quel point j’avais échoué à protéger Jenny. L’un d’entre nous nous prit une grande chambre d’hôtel dans laquelle nous nous écroulâmes tous sans un mot, nous enroulant les uns contre les autres pour enregistrer ce qui venait de se passer. Plus tard, Jenny fut mentionnée aux infos du soir mais sous son mauvais prénom et avec les mauvais pronoms. L’univers fut horrible avec elle jusqu’au bout.
- On doit faire quelque chose, grognai-je.
- Qu’est-ce que tu proposes ? me demanda Tom.
Quelque chose, n’importe quoi. J’avais besoin de me graver ce moment dans la peau alors je sommai Gwen de me tatouer le petit “Cuple” qu’il avait dessiné au bas de mon dos, les autres suivirent le mouvement. Même Kitty insista pour se faire tatouer et, bien que nous tentâmes de le raisonner ou de lui décrire la douleur d’un tatouage à la clavicule pour le dissuader, il ne baissa pas les bras. Il nous expliqua que lui aussi se sentait concerné et qu’il tenait également à graver cette journée dans ses pensées alors Mama finit par céder en lui autorisant son premier tatouage. Nous nous réunîmes autour de lui pour l’encourager et je lui tenus la main pendant que Neil faisait son travail mais la douleur fut si dure à supporter qu’il s’en mordit violemment les lèvres. Inquiet à l’idée qu’il puisse véritablement se faire mal, je me penchai au-dessus de lui pour l’embrasser afin de l’apaiser. Mon baiser fit son effet et notre Chaton se détendit assez pour pouvoir survivre à sa séance de tatouage. Une fois tout le monde à part Sally, Dys et Sara de marqués, me vint l’idée de me rajouter le mot “Queervolution” en collier juste sous les clavicules. C’était Sally qui avait créé ce terme, elle avait passé son temps à catégoriser tout ce que nous avions fait durant notre roadtrip de révolutionnaire pour les droit queers et elle prit l’habitude de finir tous nos évènements en déclarant << Et vive la Queervolution ! >> alors je lui volai son slogan. Après tout, il était grand temps pour la révolution queer. Après cela nous sortîmes acheter des bombes de peinture et nous couvrîmes les rues d’esquisses de Jenny suivies de la phrase << Elle s’appelle Jenny >> pour révéler à tous sa véritable identité. Mama et Laura restèrent veiller sur ma sœur et son bébé mais nous autorisèrent à emmener Kitty et Sally avec nous histoire qu’ils se sentent inclus. Les deux enfants s’en donnèrent à cœur joie et, bien que Kitty ne parut pas apprécier de devoir se cacher des gendarmes, cela plut un peu trop à Sally qui commença à se prendre pour une petite criminelle. Avions-nous créé un monstre ? Probablement. Avant de rentrer chez nous, nous traquâmes le meurtrier de Jenny comme la police ne semblait pas prête à intervenir, nous le trouvâmes sans mal et l’attachâmes à un poteau en face du commissariat avec un petit mot rappelant son identité accroché à son torse. Bien que nous ayons tout fait pour faciliter leur enquête, les flics libérèrent notre fauteur de trouble faute de “preuves suffisantes” mais nous repartîmes avec un but précis en tête ; Jenny serait la dernière du pays à mourir de queerphobie. Pour m’assurer que cela n’arrive plus, j’avais engagé un groupe de personnes imposantes que je nommai les Gardiens afin de préserver le calme et la tranquillité de nos rues, et les gens furent nombreux à nous offrir leur soutien.
Un mois passa, je fêtai enfin mes 25 ans. Après avoir enchaîné les boulots ça et là, Alex avait enfin ouvert le café de ses rêves, dans lequel il embaucha Dys qui était prête à reprendre le travail. Sugar commença la prise d’hormones et Felicia emménagea à la maison pour se soulager de ses problèmes financiers, elle et Manon partagèrent une chambre avec Sugar le temps que les travaux qui visaient à agrandir la maison soient finis. Cette dernière décida de devenir psychiatre à son compte en s’affichant ouvertement comme étant trans de façon à n’attirer que des personnes elles-même trans ou trans-friendly afin de ne pas avoir à se retrouver dans des situations délicates. Un soir, Kitty vint me voir avec un air particulièrement agité ; il me confia que Graham lui avait déclaré sa flamme et qu’il ne savait pas quoi lui répondre. Je fus surpris d’apprendre que les garçons plaisaient à son ami, lui qui ne parlait que de filles, mais mon Chaton m’expliqua qu’il lui avait avoué ne pas savoir s’il était véritablement attiré par les garçons ou si c’était l’apparence efféminée de Kitty qui lui plaisait et je sentis que cela le dérangeait. Il avait beau être très féminin, se maquiller, porter des jupes et des talons, l’adolescent n’en restait pas moins un garçon et je savais pertinemment à quel point il pouvait être douloureux de voir notre genre être remis en question. Je l’interrogeai sur les sentiments qu’il pourrait avoir ou non envers Graham mais je pouvais lire dans son regard qu’il avait déjà fait son choix, il le rejeta et ils décidèrent de rester amis. Quelques semaines plus tard, Kitty se trouva un nouveau copain appelé Christian. Il nous le présenta assez vite et notre maison devint la proie de leurs émois, nous nous en mêlâmes juste assez pour nous assurer qu’ils se protègent bien puis nous leur laissâmes carte blanche. Nous aurions peut-être dû faire plus. Le mois suivant, nous commençâmes à nous préparer pour Noël ; nous écrivîmes un nombre interminable de lettres pour les personnes queers un peu partout dans le pays qui avaient terriblement besoin de soutien durant cette période de fête. Les choses allaient peut-être mieux ces temps-ci mais il n’était pas rare d’entendre parler de coming-outs désastreux et beaucoup de gens se retrouvaient seuls après que leurs proches leur aient tourné le dos. Nous avions d’ailleurs repéré plusieurs ados qui avaient souffert de leur coming-out et nous faisions tout notre possible pour leur venir en aide ; nous passions des heures à échanger avec eux sur les réseaux en leur donnant des conseils sur la manière de communiquer avec leur famille afin qu’ils soient mieux acceptés ou simplement en écoutant leurs problèmes histoire qu’ils se sentent moins seuls et, pour les cas les plus graves, nous les mettions en lien avec les services sociaux en les incitant à récolter des preuves de mauvais comportement dans l’optique de fuir leur famille en toute sécurité s’il fallait en arriver là. Kitty et Sally insistèrent pour nous aider en partageant leur parcours et leurs ressentis à ces jeunes qui avaient désespérément besoin de soutien et ils resteraient longtemps en lien avec eux, non seulement cela leur permettait de se sentir utiles mais le fait de s’ouvrir à eux leur fit beaucoup de bien. Christian ne comprenait pas que c’était une forme de thérapie pour son copain, mais ce n’était pas le seul point sur lequel ils pensaient tous deux différemment. Un soir, alors que je m’amusais avec Tom et Felicia, je descendis boire un verre d’eau quand je trouvai Kitty en larmes dans le salon. Son copain dormait à la maison cette nuit-là alors le voir pleurer tout seul dans le salon m’étonna, quelque chose n’allait pas. Pensant que c’était un problème de cœur, je lui proposai de remonter avec moi en lui promettant de lui changer les idées mais une fois dans la chambre, il nous raconta ce que Christian l’avait forcé à faire.
- J’en avais envie, sanglota notre Chaton, mais pas maintenant. Pas comme ça.
Il ne l’avait pas écouté quand il lui avait dit << non >> sous prétexte que son corps avait réagi et il l’avait violé. Il n’y a pas d’autre mot : devoir faire pression jusqu’à ce que l’autre cède, c’est un viol. Je le rappelai à Kitty qui était persuadé que ce qui était arrivé était de sa faute et il fallut que nous nous y mettions à trois pour le convaincre qu’il n’était pas en tort. L’adolescent s’endormit rapidement après les fontaines qu’il avait pleurées mais mes deux amants et moi, nous eûmes du mal à arrêter d’y penser. Le lendemain matin nous attendîmes que Christian descende déjeuner puis nous l’embusquâmes à table. Nous nous fîmes tout gentils d’abord, nous inquiétant de s’il avait bien dormi, s’il n’avait pas eu trop froid, trop chaud, puis quand il eut bien baissé sa garde, je frappai brusquement la table d’un couteau de cuisine que j’avais attrapé auparavant. La lame atterrit pile entre son index et son majeur, effleurant à peine sa peau que j’aurais voulu tailler en pièces. Ses yeux devinrent énormes mais il ne réagit pas, il resta figé sous le coup de la peur. Tom le prit par l’épaule, lui expliquant d’une voix posée que ce qu’il avait fait s’appelait un viol et qu’on ne le cautionnerait pas. Felicia fit craquer ses jointures en le dévisageant. Je sortis le couteau du trou qu’il avait créé et le tendit vers le garçon, lui dictant exactement comment il allait plaquer notre Chaton sur le champ puis ne plus jamais lui adresser ne serait-ce qu’un seul regard s’il tenait à garder tout son corps en un seul morceau. Il se mit à trembler quand je lui décrivis la manière dont je le castrerais s’il venait à nous reposer problème et il détala en courant à la seconde où nous lui laissâmes la voie libre. Nous n’entendîmes plus parler de lui après cela.
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