XXX
Ce week-end là, Rory s’était beaucoup rapproché de Kitty comme son copain Olli le trouvait trop collant. Le petit blondinet avait accepté ses câlins avec grand plaisir et lui avait même proposé un date pour le lendemain afin de pouvoir apaiser le cœur égratigné de son ami. En attendant, les deux frères de cœur avaient décidé de se faire les ongles, tirant Ezra dans leur mouvement avec enthousiasme. Entrain que le jeune garçon ne leur partageait pas ; l’adolescent qui faisait une bonne tête de plus que son copain se laissa faire mais râla tout du long. Le pauvre Kitty, agacé par son comportement, finit par lui écrire “LOSER” sur les ongles avant de partir en déclarant << Voilà : c’est moche, comme tu aimes >>. Sally, qui avait assisté à toute la scène, courut après son frère pour le réconforter, laissant les deux autres Chatons se disputer comme ils avaient l’habitude de le faire quand ils se retrouvaient seuls. Notre jeune lesbienne avait bien compris ce qui tracassait vraiment son aîné ; il était déjà sur les nerfs parce que la ligue des Chatons s’était distancée les uns des autres depuis qu’ils avaient tous déménagé à Kittenhouse, et le sentiment de solitude qui pesait sur les épaules du garçon ne semblait que s’agrandir. En effet les Chatons ne passaient plus autant de temps ensemble, Sally théorisa que c’était parce qu’elle et Kitty ne les avaient pas assez sollicités ces derniers temps alors la petite fratrie décida d’organiser une soirée pyjama dans le but de ressouder leurs liens avec le reste du groupe. Les Chatons se regroupèrent dans la salle cocooning de leur deuxième étage et passèrent la nuit à discuter de leurs avancées personnelles ; Désiré s’était découvert une passion pour la comédie et avait commencé à travailler son élocution avec une orthophoniste afin de pouvoir être compris d’un plus large public sans avoir besoin d’interprète, Kaia s’était mise à dessiner des croquis de comics, Gabi vloggait désormais et Camille testait les rajouts pour cheveux histoire de paraître plus féminine. Kitty profita d’un moment de silence pour montrer son nouvel ensemble de lingerie à ses amis quand son copain le força à se cacher, surpris de le voir partager quelque chose qui lui semblait si personnel. Le garçon fit la moue mais n’en pensa rien, il savait beaucoup mieux que moi à quel point Ezra était fermé à la féminité et pourquoi. Ce dernier, quant à lui, ne comprenait pas comment son amant pouvait y être si ouvert. Le matin suivant, alors qu’il fumait dans le jardin, notre couple de lesbiennes préférées sortit lui tenir compagnie. Il expliqua à Mama et Laura qu’il avait du mal à accepter tous les comportements et habitudes de Kitty qui était très efféminé, qu’il ne saisissait pas comment tout cela semblait venir si naturellement à celui-ci. Mama lui raconta comme Kitty avait pu être fermé et terrifié par l’idée d’être perçu comme “trop féminin” par le passé à cause de l’influence de ses anciens parents puis elle l’encouragea à en parler avec lui de façon à pouvoir se faire une meilleure idée de comment il avait conquit ses peurs. Le reste d’entre nous se leva bientôt. Neil tenta de se faire une omelette mais rata de façon si grotesque qu’il partit se cacher derrière Gwen quand celui-ci reprit le flambeau pour ne pas avoir affaire à nos regards jugeurs. Nous nous moquâmes gentiment de son amas d’œufs brouillés qui ne ressemblait plus à rien tandis que nos Chatons s’activaient sous les ailes de notre grand bodybuilder blond pour nous préparer un petit-déjeuner mémorable. Ezra nous parut tous à l’ouest. Ignorant Kitty ou les autres quand ils lui parlaient, il semblait profondément perdu dans ses pensées. Mon pauvre Chaton toujours vêtu tout de rose vint pleurer dans mes bras en insultant son copain qui, il en était persuadé, lui faisant la gueule parce qu’il avait un rencard avec Rory. Mais quand il lui réclama finalement des explications, Ezra lui ria au visage, ce qu’il prit très mal. Kitty se mit à pleurer, énervé par le comportement distant de son amoureux, et ce dernier eut bien du mal à le réconforter. Il lui partagea sa discussion plus tôt avec Mama et Laura, lui confiant qu’il avait toujours du mal à comprendre comment lui pouvait être si ouvert et décomplexé puis il lui proposa un date en gage de pardon. Son copain accepta mais lui ordonna de choisir le lieu et la date, ce qui laissa Ezra en panique ; il n’avait aucune idée de comment reconquérir le cœur de son petit blondinet alors il vint me demander conseil. Tout content d’avoir été choisi pour discuter de ma multitude d’intérêts communs avec l’adolescent, je lui recommandai vivement de l’emmener dans un petit café mignon en bordure du centre-ville et de finir par une virée shopping dans les magnifiques magasins de bijoux et de vêtements du quartier. Je me laissai emporter et me mis à énumérer toutes les passions de Kitty afin de lui donner une meilleure idée d’éventuels sujets de conversation quand Ezra me coupa.
- Tu ne serais pas un peu amoureux de lui, dis-moi ?
Mon cœur s’emballa en un instant. Kitty n’était encore qu’un adolescent, j’étais beaucoup trop vieux pour lui. Mais me plaisait-il vraiment ? Je ne savais pas. Il aimait toutes les mêmes choses que moi après tout ; le shopping, la mode, les bijoux qui brillent, le rose, les peluches, la lingerie, la danse… Quand j’étais avec lui, je me sentais si compris et relaxé. Etait-ce cela ? Cela n’avait pas vraiment d’importance ; il était trop jeune. Je n’allais pas prendre le risque de le détruire comme Max m’avait détruit alors qu’il n’avait que quelques années de plus que moi. Il y avait un fossé entre nous, nous ne faisions pas partie de la même génération et cela créait un tel mur que jamais je n’aurais pensé à passer outre. Tant de prédateurs m’avaient ciblé quand j’avais encore son âge, il était hors de question que je me mêle à eux. Je l’aimais beaucoup trop pour le blesser ainsi. Je l’aimais. Cela n’avait pas d’importance. Pas pour l’instant du moins. J’espérais qu’Ezra garde cela pour lui mais je ne pouvais pas le forcer à ne pas en parler à Kitty, il était concerné après tout. La seule chose dont j’étais sûr, c’était que jamais je ne ferai le premier pas. Il m’admirait, j’étais son héros. Il avait trop à perdre. Alors peut-être accepterais-je ses avances quand il serait adulte mais je ne supporterais pas qu’il me le demande maintenant, le rejeter me briserait le cœur. L’adolescent me sonda de ses grands yeux bleus puis acquiesça, ma réponse semblait lui convenir. Je décidai de changer de sujet pour détourner son attention en lui racontant mes aventures avec Tom à l’époque où Max n’avait pas encore assez d’emprise sur moi ; nous passions notre temps à nous amuser ensemble, que ce soit en entrant par effraction dans les maisons des beaux quartiers ou en dénonçant les hébéphiles du coin qui nous faisaient des avances déplacées de par nos styles vestimentaires très légers. Nous avions pris l’habitude de nous déplacer avec un taser que Mama nous avait offert afin de nous protéger et nous l’utilisions sur les plus confiants qui n’hésitaient pas à nous siffler ou nous couper le chemin pour nous accoster, nous adorions retourner la situation en notre faveur en nous servant des techniques d’auto-défense que notre mère adoptive nous avait apprises mais surtout de notre fidèle arme que nous allumions près de l’entrejambe de nos adversaires pour les faire fuir. Ezra ria en entendant cela, son estime de moi parut augmenter comme il n’en attendait pas moins de mon amoureux mais il ne m’aurait pas penser capable de me délecter de la souffrance d’autrui -c’était surestimer le moi plus jeune et fougueux qui se fichait bien des conséquences de ses actes. J’étais bien différent désormais. La semaine suivante, nos avocats préférés Caspian et Alistair organisèrent une soirée à laquelle nous assistâmes chez eux. Ceux-ci étant bons amis avec Tone également purent compter sur sa présence et, bien que je ne fus pas tout feu tout flamme en le croisant dans la foule, j’appréciai encore moins la présence d’une femme à ses côtés qui se révéla être sa nouvelle petite amie. Je passai plus de temps que je n’aurais dû à me ronger le cœur en pensant à elle. Lui avait-il déjà parlé de sa non-binarité ? De son rêve de tenir son propre bar que j’avais gâché en construisant mon club qui lui avait volé tous ses habitués à tel point qu’il avait dû fermer faute de fonds suffisants ? Etait-elle déjà au courant de ses addictions et de sa dernière rechute que j’avais indirectement causée en semant le chaos dans sa vie ? Se moquait-il de sa sexualité comme il l’avait fait avec moi ? L’avait-il déjà blessée autant qu’il m’avait blessé ou était-elle capable de lui faire plaisir d’une façon dont je n’aurais jamais pu ? Sa présence me dérangeait, me perturbait profondément. Tom me déposa un verre rempli de vodka dans les mains et je le vidai d’une traite en espérant pouvoir me détacher de mon inconfort. Le reste de la soirée se fit plus léger après quelques verres. Je passai un moment dans les bras de Matthieu, perdant mes doigts dans le flot de ses jolies boucles noires, flirtai avec Manon en caressant la branche de ses lunettes noires puis embrassai Neil et bénis ses longs cheveux magenta de mes mains. J’avais déjà suffisamment d’amours à complaire pour ne pas avoir à m’attarder sur un pauvre ex et sa nouvelle conquête, je ne voulais penser ni à lui ni à celle qui partageait désormais ses nuits. Il m’importait peu de savoir ce qu’ils faisaient de leur temps ensemble ou s’il souriait bêtement en la regardant avec admiration, j’avais d’autres choses à faire. Enlever mes lentilles, par exemple, qui me brûlaient les yeux tant je les avais portées longtemps. J’avais de loin dépassé les huit heures prescrites. Je me tournai vers Adrien que Neil avait tiré contre nous afin de lui voler un baiser et leur expliquai rapidement que j’allais trouver une pièce au calme à l’étage pour remettre mes lunettes. Je ne les gardais jamais sur moi mais mon grand brun à la peau dorée et aux yeux en amande se déplaçait toujours avec une de mes paires de secours dans la sacoche de son appareil photo, il me la tendit puis je montais m’installer dans une chambre. Je posai mon étui à lunettes sur la commode à ma gauche et réalisai que j’étais plus ivre que je ne le pensais quand je remis avec mal ma paire de lentilles dans leur petite boîte que je rangeai ensuite dans ma poche avant de les perdre. Je tanguais atrocement et dus me rattraper à la commode de peur de tomber, heurtant l’étui qui tomba à terre. Je plissai mes yeux presque aveugles en tapotant le sol des mains à la recherche de mes binocles sans succès, ne retrouvant que leur boîte maintenant vide. Après plusieurs minutes de recherches et trop bourré pour tenir en place, je redescendis en voyant à peine où je marchais pour trouver Adrien. J’avais un mal énorme à reconnaître les visages qui se bousculaient autour de moi, en plus de cela ma tête tournait tant que ma vision n’en fit que baisser davantage. Je reconnus enfin un grand brun à la peau brune dans la foule et m’accrochai à lui pour l’embrasser, bien content de l’avoir retrouvé. Je m’apprêtais à lui exposer mon problème de vue quand une femme aux cheveux bleus qui ne pouvait être que Manon me prit par le bras et m’éloigna de lui. Inquiète, elle me demanda si je me sentais bien puis quand elle me vit marcher en titubant, elle appela Gwen qui me ramena à la maison sur son dos. Je m’endormis bien vite en ne comprenant ce qu’il venait de se passer que le lendemain au réveil ; mon Cuple m’accueillit avec du pain perdu et des crêpes que je dévorais avec appétit quand Manon m’annonça que ce n’était pas Adrien mais Tone que j’avais embrassé la veille. Un haut-le-cœur qui ne manqua pas de me faire vider mes tripes dans l’évier me prit le ventre en entendant son nom. J’avais embrassé Tone. Tone. Et il m’avait laissé faire sans rien dire. Quelle excuse avait-il, lui ? Il n’avait pas perdu ses lunettes et ce n’était pas comme si je ressemblais à sa copine actuelle, une petite brune aux cheveux longs qui avait un ton de voix très aigüe. Celle-ci se présenta d’ailleurs à ma porte plus tard dans la matinée. Je m’excusai auprès d’elle d’avoir offert un baiser à son amoureux mais, à ma grande surprise, elle ne m’en tint pas vigueur. Elle me confia qu’elle n’était pas du genre à être jalouse et qu’elle partagerait son amant avec moi sans problème. Je dus la couper pour lui expliquer que ce baiser n’était pas destiné à celui qui l’avait reçu, il était clair dans ma tête que jamais je ne me remettrais avec Tone mais elle ne sembla pas me croire. La petite brune me réclama des réponses sur notre rupture que je ne pus me pousser à lui apporter. J’allais lui demander de partir quand elle s’irrita devant mon refus.
- Il t’aime vraiment, tu sais ? Tu ne réalises pas la chance que tu as de l’avoir. Tu devrais faire preuve de plus de reconnaissance.
Ses mots me laissèrent sans voix. Je ne savais pas quoi lui répondre alors elle continua de s’indigner en me rappelant comme j’étais horrible pour l’avoir plaqué alors qu’il m’aimait. Elle ne semblait pas savoir qu’il ne m’aimait pas comme ça. Sugar dut venir lui claquer la porte au visage pour qu’elle cesse de me grogner dessus. Ma chère aimée aux mille frisottis rouges me caressa la joue d’une main avant de me rappeler à l’ordre :
- Tu vois, le truc avec les portes, c’est qu’on peut les fermer.
J’étais sur le point de fondre en larmes. Je me sentais déjà terriblement coupable de toutes les histoires avec Tone, je n’avais pas besoin que l’on toque à ma porte pour en rajouter une couche. Matthieu sentit mon mal-être et vint me prendre dans ses bras pendant que le reste du Cuple s’affairait afin de me préparer mon kit anti-tristesse ; pop-corns trempés dans de la vodka, quelques cocktails faits avec soin par Gwen -qui portait bien son titre d’ancien barman- et une mer de plaids doux à souhait pour recouvrir mes problèmes. On me servit une montagne de bisous et de caresses pour me réconforter mais mon moral était au plus bas, je ne pouvais m’empêcher de penser à ce que Tone m’avait dit le jour où nous avions rompu, ses attentes envers moi, sa façon si dégoutante d’exiger plus de moi -comme si je ne lui avais pas donné assez- puis sa copine qui venait me harceler pour que je lui pardonne -comme si je le devais. Un moment, Tom quitta notre énorme masse de corps regroupés sous une dizaine de couvertures et sortit sans un mot. Il revint quelques minutes plus tard accompagné des chiens du refuge le plus proche de chez nous, celui où Kara attendait sa famille pour la vie. Cette dernière me sauta au cou en m’apercevant et déchira un sourire sur mon visage triste, suivie de près par le reste de la petite meute. Voir tous ces canidés remuant la queue devant moi et Kara me léchouiller les joues avec tendresse, ma bonne humeur revint en un instant. Je jouai et câlinai tous ces chiens avec plaisir puis autorisai la petite pitbull beige à se reposer couchée contre moi tandis que je lui embrassais les oreilles, m’inquiétant que sa future famille puisse vouloir les lui couper par “esthétisme”. Je savais qu’il ne m’appartenait pas de prendre ce type de décisions la concernant mais j’étais certain d’une chose : je ne laisserai pas Kara aux mains de gens qui pourraient lui faire du mal. J’étais devenu bénévole dans son refuge juste pour pouvoir veiller sur elle et j’avais toujours été tenu au courant de tout son parcours, je savais même que sa dernière famille adoptive l’avait rendue après quelques jours parce qu’elle était trop craintive. Je n’aurais jamais laissé qui que ce soit s’en prendre à elle. En me voyant si câlin avec la chienne qui s’était un jour faufilée dans son lit, Tom me questionna sur la nature de notre relation :
- Pourquoi tu as l’air de l’aimer plus que les autres, celle-là ?
Je souris puis lui racontai comment je l’avais rencontrée. Je me souvenais encore de la première fois que je l’avais vue, recroquevillée sur elle-même dans sa cage, une chaîne autour du cou. J’avais passé des mois à l’apprivoiser en lui offrant des bonbons avant de finalement venir la récupérer sans un mot à sa propriétaire de l’époque afin de l’amener au refuge, elle m’avait fait la fête en me couvrant de bisous lorsque je l’avais sortie de là et je m’étais senti si spécial à travers ses caresses. Elle était terrifiée par toutes les autres personnes qui l’avaient approchée mais c’était différent avec moi, on m’avait souvent dit qu’elle paraissait toujours plus apaisée quand j’étais là. J’étais son ancre, son sauveur. Je me sentais responsable d’elle alors j’étais resté pour m’occuper d’elle. Je lui avais appris à refaire confiance à ses jambes, elle qui passait ses journées enfermée, et son corps atrophié avait repris peu à peu en volume. Nous avions eu le temps de nous rapprocher, de créer un lien profond ensemble et j’imaginais désormais bien mal ma vie sans sa présence de temps à autre. Je n’étais pas sûr de savoir comment réagir quand elle viendrait à se faire adopter, cela faisait déjà deux ans que je l’avais rencontrée. Tout mon Cuple sembla touché en m’entendant parler d’elle, ils n’avaient pas réalisé que nous étions si proches. Je savais que je ne pouvais pas leur imposer de l’adopter juste parce que j’en avais envie, surtout pour Tom qui détestait les chiens, alors je ne songeai même pas à leur décrire à quel point j’en avais envie. Et j’en avais envie.
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