Epilogue

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« Un éditeur satisfait, c’est un écrivain heureux »

Florian avait inventé cet adage peu après le Salon du Livre qui avait assuré son décollage littéraire et médiatique. L’interview télévisée qu’il avait tellement répété dans sa tête s’était déroulée dans des conditions si parfaite qu’il n’en gardait pas de véritable souvenir.

Il était un peu en avance pour la signature de son nouveau contrat d’édition et s’attarda devant un magasin de vêtements. Il se posait la même question depuis des jours. Comment allait-il s’habiller pour le mariage de Maxence ? Nanard avait opté pour un costume blanc avec une fleur rouge à la boutonnière. D’après Jessica, c’était pour lui le summum de la classe.

Il hésita à entrer puis renonça. Il avait encore une dizaine de jours pour se décider, ce serait suffisant. Surtout si Élisabeth, qui commençait à montrer des signes d’énervement, prenait les choses en main.

Il commençait à maitriser le comportement du VIP entrant chez son éditeur. Celui-ci le reçut immédiatement et il eut droit à la formule réservée aux écrivains importants.

— Enfin, vous voilà !

Il s’assit avec une nonchalance d’habitué.

— J’ai une bonne nouvelle mon cher Florian. L’adaptation filmée est en bonne voie. Marceneau est d’accord. C‘est le réalisateur qui monte. J’imagine que vous le connaissez ?...

Florian connaissait et fit la grimace.

— Pour l’héroïne principale, il verrait bien Christin Scott-Thomas. Qu’en pensez-vous ?

— Je me demande si on peut pas trouver mieux qu’une actrice britannique pour jouer le rôle d’une vénitienne.

L’éditeur balaya l’objection.

— Laissez-en juges ceux dont c’est le métier ! N’oubliez pas que l’alsacien Pierre Fresnay a été un Marius extraordinaire.

— Si vous le dites !

— Parlons peu, parlons bien ! Un gros investisseur accepte de financer la production et il aimerait faire votre connaissance. Je vous propose de déjeuner avec lui demain. Si votre charmante fiancée veut vous accompagner, elle sera la bienvenue.

Florian regarda le plafond et fit semblant de réfléchir. Après deux rencontres et quelques échanges de banalités, Élisabeth avait définitivement catalogué l’éditeur comme un « Gros con qui se la raconte ! »

— Elle aurait été ravie, j’en suis sûr, malheureusement demain, elle n’est pas disponible.

— C’est fâcheux ! Tant pis, nous déjeunerons entre hommes…. Ah, j’allais oublier !

Il sortit une lettre de son tiroir.

— Nous l’avons reçu hier ! Une admiratrice italienne, probablement, depuis que votre roman a été traduit, les ventes ont explosé.

Florian regarda la longue enveloppe au parfum discret. Elle portait le cachet de la poste centrale de Venise.

Malgré le clair soleil, la terrasse des Bernardins était déserte. Il s’assit à la même table que le premier jour et regarda autour de lui. Personne ne vint perturber le cours de ses souvenirs. Il commanda un café-crème et posa l’enveloppe devant lui. Elle ne portait pas de nom d’expéditeur, mais ce n’était pas nécessaire.

« Mon cher Florian,

Au moment où j’écris ces lignes, votre roman est posé près de la fenêtre ouverte. J ‘ai donc deux fois sous les yeux la place Saint Marc, seule la lumière est différente. C’est ce que vous autres écrivains appelez une mise en abîme.

J’ignore si vous avez répondu à l’invitation que je vous avais laissé quand nous nous sommes vus au Salon du Livre. Pour ma part, j’ai jugé préférable de ne pas y aller. Il faut toujours éviter le rendez-vous de trop. Vous m’auriez fait une nouvelle fois votre charmant numéro et cela aurait renforcé ma conviction que vous me preniez pour une idiote.

Il m’a fallu un certain temps pour reconstituer votre petit manège. C’est d’abord ma voisine, madame Trézéguet, qui m’a mise en garde. Elle n’a pas cru un seul instant à cette histoire de petite amie que vous veniez voir dans notre immeuble où elle connait tout le monde depuis des années. Elle est donc redescendue et vous a vu noter mon nom. Bien entendu, elle est venue tout de suite me prévenir.

Lorsqu’elle vous a aperçu à l’intérieur du café, nous nous sommes sérieusement demandé quelles étaient vos intentions et j’avoue que j’étais un peu inquiète.

Elle a donc décidé d’en avoir le cœur net et a parlé de vous à monsieur Sabatier, un ami ancien policier, habitué du lieu. Il ne lui a pas fallu longtemps pour vous percer à jour. Il s’est d’autant moins fait prier que lui aussi avait tout de suite été intrigué par votre manège. Une rapide recherche sur Internet nous a permis de savoir qui vous étiez vraiment.

Oserais-je dire que nous avons bien ri quand nous avons compris ce que vous cherchiez.

J‘ai décidé de jouer le jeu car la perspective de devenir une héroïne de roman me séduisait. Nous avons tous nos petites faiblesses. Vos pittoresques amis nous ont beaucoup amusé, y compris le beau ténébreux qui m’a abordé au cours d’un vernissage.

Lorsque je suis revenue d’un déplacement professionnel, monsieur Sabatier m’a assuré que toute cette histoire était terminée et qu’il ne restait plus qu’à attendre la sortie du livre.

C’est en découvrant le titre que j’ai eu la réponse à ma dernière interrogation.

Où aviez-vous entendu cette phrase ? J’ai fini par me rappeler de ce pénible rendez-vous sur les quais de Seine. Vous étiez là, vous m’avez entendue et suivie ! Voilà donc toute l’histoire !

La comédie est finie. Le soleil se couche sur la place Saint Marc... quittons-nous sur ce dernier partage.

Julia Foscari.

Son café refroidissait. Le portable sonna.

— Non, tu ne me déranges pas… Je sors de chez l’éditeur… Oui, je te raconterai, on déjeune ensemble demain avec un plein aux as qui veut faire un film. ??? … Non, rassure-toi, j’ai dit que tu étais occupée. Avant de rentrer, je vais me promener un peu en regardant les magasins … Tout à l’heure, j’ai vu un costume qui me plaisait… Oui, si tu veux, on se retrouve là-bas. Á tout à l’heure, bises.

Il regarda une dernière fois la terrasse déserte, avala son café presque froid, traversa le quai du Louvres et partit à la recherche du bouquiniste. Avec un peu de chance, il n’aurait pas vendu le

« Rivage des Syrtes ».

Fin

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