Lana parlait souvent de sa grand-mère dans son enfance. C'était à l'école qu'elle racontait les exploits de sa mamie. Ses amis se réunissaient dans un coin de la grande cour de récréation pour l'écouter.

" Ma mamie est la plus forte de toutes ! s'exclamait Lana en brandissant un poing en l'air.

_Comment ? demandaient les enfants

_Elle prend ses manches et les remonte.

_C'est tout ?! cria un petit garçon.

_ J'ai pas fini...Après elle s'approche de sa bibliothèque et prend un vieux livre.

_Pfff, nul, faut lire, se plaignit une fillette.

_Tais-toi ! Jvais me fâcher, menaça Lana à l'impertinente, c'est moi qui parle."

Tous se turent et ouvrirent un peu plus leurs oreilles. Elle continua à leur raconter le rituel quotidien de sa grand-mère. En effet, elle commençait tout d'abord par remonter les longues manches de sa robe de chambre. Ensuite elle se rendait lentement dans son salon. Sans avoir besoin de regarder, elle savait où se trouvait l'ouvrage qu'il lui fallait. D'un simple coup de main elle ouvrait le livre, et là, c'était la magie qui se déversait.

La poussière s'envolait des meubles et du sol pour former un nuage opaque et puis, POUF, disparition ! Les fenêtres se mettaient à briller sans le moindre coup de chiffon. Il n'y avait pas non plus de répit pour la vaisselle sale, les taches de graisse s'en allaient ailleurs. Et ça ce n'était que pour la partie ménage. Le reste de la maison se mettait à prendre vie. Dans la cuisine, les couteaux coupaient et les cuillères touillaient pour la préparation du repas, tandis que les fourneaux allumés s'occupaient de cuire à la perfection. Le vieux piano de Pépé jouait des airs d'antan pour accompagner la vie de la vieille dame.

La grand-mère de Lana n'avait pas besoin de dire la moindre formule magique pour faire naître des miracles. La magie qu'elle utilisait provenait de ce livre qu'elle savait manier. Lana avait bien entendu demandé à sa mamie où elle l'avait trouvé. Le silence fut sa seule réponse. Malgré le secret qui tournait autour de ce livre, sa grand-mère l'utilisait quotidiennement devant sa petite-fille qui l'observait avec des yeux émerveillés.

"Puis vroooooouuummmm, la voiture bougea toute seule pour aller retrouver ma poupée ! Je n'ai pas besoin de me lever pour aller la chercher, elle revient toute seule vers moi, raconta Lana aux enfants.

_Pas possible ton truc, grogna un perturbateur.

_Si que ça l'est ! Tout est possible avec le livre de mamie ! Répondit férocement Lana.

_Prouve-le alors !"

Le groupe d'enfants fixait attentivement Lana. Qu'allait-elle faire face à cette provocation ? La petite releva bien haut le menton et accepta le défi.

Le soir même, alors qu'elle rentrait chez-elle, Lana décida de passer chez sa grand-mère. En rentrant elle lui fit le bisou du soir alors qu'elle était en train de regarder son feuilleton préféré. Le fauteil de la grand-mère était de dos à la bibliothèque. Les petits doigts de Lana se mirent à la recherche du fameux livre tout en gardant un oeil sur sa mamie.

Quand elle se faufila en dehors de la maison, elle portait contre elle le gros ouvrage. Elle avait déjà en plan en tête pour rabattre le caquet du morveux qui avait osé la remettre en question. Elle décida de le cacher dans son sac, se disant que ses parents n'allaient pas le vérifier.

Le lendemain, elle se rendit à l'école comme si de rien n'était. Sa grand-mère lui fit un coucou de la fenêtre de sa chambre, Lana lui rendit son signe avant de continuer son chemin sans se retourner. La fillette s'était promis de le remettre le livre en place le soir-même.

Pendant la récréation de la matinée, Lana avait apporté son sac à dos avec elle. Ses amis l'interrogèrent tout le long de leur marche jusqu'à leur coin fétiche.

"Pourquoi il est si gros ton sac aujourd'hui ?

_Y'a quoi dedans ?

_Des bonbons ?

_Mais non, ça doit être des billes.

_Chuuuuuuuut, dit Lana, tout le monde va vous entendre."

Elle les fit se regrouper autour d'elle, s'assurant que personne d'autre ne les avait suivis. En sortant le livre quelques murmurent s'élevèrent du groupe d'enfants. Ils étaient tous impressionnés par la vieillesse du livre qui s'en devinait rien qu'à sa couverture. Le silence se fit quand Lana daigna enfin l'ouvrir. Respirations coupées, les mirettes bien ouvertes. Ils se penchèrent tous pour pouvoir lire les pages. Quelques secondes de silence, puis des plaintes successives, rien ne s'était passé après son ouverture.

"Il est vide !

_Vide de chez vide !

_Attendez ! Essaya Lana pour les calmer.

_T'es qu'une menteuse.

_Lana la menteuse, Lana la menteuse !

Ils commencèrent à faire un cercle pour l'entourer et répétèrent en choeur la phrase. Lana tenta de sortir mais ils l'en empêchèrent et continuèrent à la rabaisser. Des perles s'écoulèrent de ses yeux alors qu'elle s'efforçait de se défendre elle et la réputation de sa grand-mère. La méchanceté de ces petits n'avaient pas de fin, ils tournaient encore et encore, répétant cette terrible phrase.

Lana, blessée par ceux qu'elle considérait comme ses copains, se mit à les maudire. Si seulement ils pouvaient se taire ! Si seulement !

Le livre entre ses mains trembla soudainement. Une fumée s'échappa d'entre ses pages. Lana regarda hébétée la fumée fondre sur ses amis. Ils crièrent de terreur mais leurs cris se firent moins bruyants, comme si on leur avait mis une main sur la bouche. Quand la fumée se dissipa, Lana put voir ce qui venait d'arriver.

Leur bouche avait été scellée. Ils avaient beau forcer pour entrouvrir leurs lèvres, leur bouche restait fermée. Lana poussa un petit bruit de surprise face à ce spectacle. Elle tournait son visage paniqué dans maintes directions, recherchant quelqu'un à qui appeler à l'aide. Les enfants pleuraient les uns après les autres, se débattant comme ils pouvaient contre le maléfice. La jeune Lana n'arrivait pas gérer la situation, en fait, elle n'avait jamais réussi.

L'air s'échappait de ses poumons à une vitesse folle. Peur, peur au ventre de se faire attraper par les adultes, peur de devoir expliquer cet étrange phénomène qui arrivait à ses camarades, peur d'être rejetée ou pire d'être traitée comme un monstre. Comment se sortir de ce pétrin ? Ses yeux se tournèrent vers le livre, la cause de tout ça. Elle le serra bien fort avec ses petites mains et lui demanda avec ferveur de leur rendre la parole.

"S'il-te-plaît, ouvre leur bouche, s'il-te-plaît s'il-te-plaît !"

Rien ne se passa. Aucune fumée ne sortit du livre. Le sort resta en place sur les lèvres des enfants. Paniqués d'être ensorcelé, ils se précipitèrent vers leurs maîtres et maîtresses qui prirent du temps à comprendre l'ampleur de la situation. Les adultes essayaient de contenir l'agitation que produisaient les enfants maudits, le reste de l'école devait faire face à l'horreur qui se déroulait. Lana s'était tue tout le temps de l'interrogatoire. Monsieur Gogeon, le maître de Lana, s'était occupé de lui poser toutes les questions possibles pour comprendre ce qui avait bien pu se passer. Il avait même découvert le livre de sa grand-mère, caché dans son sac à dos. La petite se sentait si mal, debout devant lui, les poings serrés. Aucun mot ne voulait bien sortir de sa gorge. Elle était prise au piège.

Lana prit une grande inspiration. De la sueur coulait de son front, son pyjama lui collait à la peau. Elle se souvenait encore du mal être qu'elle avait pu ressentir pendant son rêve. Tremblante comme une feuille, elle lança un regard à son sac, le livre de sa grand-mère était toujours à l'intérieur.

Sa matinée débuta, le sac sur le dos, une nouvelle pression sur les épaules. En tournant sa tête vers la maison de sa grand-mère, elle la vit à sa fenêtre, tout comme dans ses songes. La gamine prit peur. Elle se précipita jusqu'à la porte d'entrée, trouva la clé de secours et l'ouvrit. Lana rangea le livre dans la bibliothèque. Elle se retourna et referma derrière-elle.

Du haut de ses escaliers, la grand-mère avait assisté à la scène. Un léger sourire s'était étiré sur ses lèvres. Elle descendit et alla jusqu'à sa bibliothèque pour prendre son livre. Elle caressa la couverture et rit.

"C'est ce qui arrive quand on veut voler une sorcière."