Propagande
Assise à mon bureau, je cherche l'inspiration mesquine pour dessiner un Allemand. Je commence par esquisser la France sous la chaussure énorme d'un soldat. Ce dernier est grimaçant, ses dents pointues sortant de sa bouche monstrueuse. Je lui ajoute de petits yeux porcins et un nez énorme, sur son épaule, le drapeau allemand le défini en tant que tel.
Je le recopie une dizaine de fois.
Je descends à bicyclette jusqu'au village. Je suis épuisée, c'est la deuxième fois en une journée, mais qu'importe. Je sens l'adrenaline monter en moi et mon coeur battre à tout rompre. Je dois choisir une personne à qui donner l'un de mes dessins. Je tourne sur moi-même sans parvenir à me décider. Il n'y a presque personne dans les rues. Soudain j'aperçois près de la fontaine, le jeune garçon qui m'avait collé l'affiche dans les mains, sa casquette sur la tête.
- Excuse-moi...
Il se retourne et me regarde d'un oeil morne. Il n'a pas plus de quinze ou seize ans et je suis étonnée de voir à quel point son regard est éteint.
- Est-ce que tu me reconnais ?
- Non pourquoi je devrais?
Je sors de ma poche l'un de mes dessins et le lui tend.
- Qu'est ce que c'est ?
Il ne fait pas mine de le prendre, attendant ma réponse.
- Tu m'en a donné un semblable il y à quelques jours.
Il hausse un sourcil.
- Nan moi je donne rien à personne.
Pourtant je suis certaine de ne pas m'être trompée. Alors je déplie moi-même la feuille avant de la lui brandir sous le nez.
- Hé, mais fais pas ça ! Tu veux mourir ou quoi?
Il a parlé à voix basse, d'un air paniqué. Il m'arrache la feuille des mains, se retourne face à la fontaine et regarde mon dessin à nouveau.
- Tu dessines bien. Je vais le montrer au chef et il dira si tu peux faire des affiches pour nous. Tu n'as qu'a revenir demain avec d'autres dessins.
Il se lève et part.
Je reste seule, bêtement, près de la fontaine.
- Je t'ai vue partir à vélo tout à l'heure où allais-tu?
Ma mère, attablée dans la cuisine en train de couper des carottes, s'enquiert de ma journée. Je me retrouve bien embarrassée. Je suis allée deux fois au village aujourd'hui. J'ai sois le choix de lui dire que je suis allée me faire photographier en compagnie du Commandant Ludwig, où que je suis allée distribuer des affiche de propagande anti allemands. Je doute que l'une de ces réponses l'emballe particulièrement. Aussi je lui réponds de façon brève.
- Je suis allée faire un tour.
- D'habitude tu vas plutôt faire un tour dans la forêt, plutôt qu'au village.
- J'avais envie de changer un peu.
Je suis d'une nature peu bavarde, et pour une fois cela me sert car ma mère ne cherche pas plus loin dans cette explication des plus succincte.
Je quitte la cuisine pour arroser mon carré de potager. Je ne comprends pas, les plantations grandissaient bien au début et là elles sont toutes jaune. Plus les jours passent plus je les vois mourir malgré tous mes soins. Alors que je m'apprête à verser l'eau sur les plans déssechés, je remarque que la terre est déjà humide. J'ai comme un pressentiment qui m'impose de ne pas y mettre la main. Je m'agenouille et prends une profonde inspiration, mon coeur se soulève sous l'odeur de l'urine. Qui a osé ! Je me décompose. J'ai été stupide, les plantes ne pouvaient pas mourir d'elles-mêmes comme cela sans aucune raison !
Je rentre dans la ferme comme une folle furieuse. Je trouve le Commandant Ludwig assis dans le salon une carte dans les mains. À ma vue il se lève poliment.
- Que me vaut le plaisir de votre visite?
- Un de vos hommes à uriné dans mon potager!
Il esquisse un léger sourire.
- Ça vous amuse?!
Il lève les mains, paumés vers le ciel.
- Que voulez vous, ce sont des hommes?
Cette simple phrase a décuplé ma colère.
- Des hommes hein? Dois-je comprendre que vous auriez pu être coupable de cet immondice vous-aussi?
- Non. Enfin à leur âge peut-être.
- Vous êtes répugnant.
Je lui tourne le dos prête à partir.
- Attendez! Que voulez-vous donc que je fasse?
- Comment ça, mais que vous trouviez le coupable!
Il hausse les sourcils.
- D'accord je trouve le coupable, et après j'en fais quoi? Je le fusille pour l'exemple ? Je ne peux pas faire ça. Personne ne se dénoncera et personne ne dénoncera un camarade.
- Vous ne voulez rien faire? Soit, je m'en chargerai moi-même.
Ne reste qu'à surveiller depuis ma chambre qui osera s'approcher de mon carré de terre.
Il est 23h passé et je tombe de sommeil. Dehors rien ne bouge, mais je suis déterminée à attraper le coupable de la mort de mes légumes.
Minuit vient de sonner et il ne se passe toujours rien.
Je me réveille en sursaut, je me suis endormie. Je reprends mon poste près de la fenêtre. À peine dix minutes plus tard je vois une silouhette sortir d'une tente. Je n'aimerais pas être à sa place. Après avoir noté l'endroit de la tente je peux enfin aller dormir, ma douce vengeance déjà mise à exécution dans mon coeur.
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