Une chance
Les jours suivants passent comme un éclair, pourtant nous réussissons à installer une certaine routine avec Ludwig. C'est plutôt étrange mais cette crise qu'il y a eu entre nous, nous a aussi rapproché. Nous semblons entrer dans un nouveau stade dans cette relation. Nous n'en sommes plus à ces jeux de regards, de mains qui se frôlent depuis un moment déjà. Mais il y a pourtant quelque chose qui a changé entre nous. Comme si nous avions passé un accord tacite, comme si certains mots de la plus grande importance avaient été prononcés. Le fossé qui s'étaient creusé entre nous semble maintenant bien loin.
- Mady?
Je sursaute, perdue dans mes pensées. Georges me regarde avec la commisure des lèvres retroussé d'un air moqueur.
- Je ne te demande pas à quoi tu penses, je ne veux même pas le savoir!
Je baisse la tête, mes lèvres ornées d'un sourir gêné.
- Je voulais juste savoir comment tu allais...
- Ho...et bien ça va merci.
C'est très étrange, nous avons partagé beaucoup de choses avec Georges, mais àcet instant je ne sais pas quoi partager avec lui. Je ne peux pas lui parler de Ludwig et je me rends compte qu'en fait, maintenant, il est tout ce qui compte le plus pour moi. J'ai l'impression que le centre de ma vie est cet homme que je ne pouvais pas supporter, qu'à part ce que nous vivons, ma vie est vide. Je me retrouve donc devant mon frère, les bras ballants, sans savoir quoi dire.
- Je ne te connaissais pas ces silences.
Il part d'un rire sans joie et passe sa main dans ses cheveux ébouriffés.
- Est-ce que tu m'aimes toujours autant Mady?
Sa question me heurte de plein fouet.
- Pourquoi est-ce que je t'aimerais moins Georges...?
- Réponds à ma question sil te plait.
C'est à mon tour de passer une main dans mes cheveux.
- Tu sais on a pas un capitale d'amour à donner. Ce n'est pas parce que je suis amoureuse que j'ai moins d'amour pour vous. Quand maman m'a mise au monde, penses tu qu'elle vous aimait moins, papa et toi, parce qu'il y avait une autre personne dans vie qu'elle allait aimer? Pas du tout. Alors oui Georges, oui je t'aime toujours autant.
En moi je sens mon coeur se déchirer. Mais qu'est-ce que j'ai loupé, qu'est-ce que je n'ai pas fais qui lui donne cette idée !
- Alors je te crois...
Je passe le reste de la journée à ruminer cette conversation. Je n'arrive pas à effacer ce sentiment de culpabilité en moi. J'essaie de ne pas y penser, je me concentre plutôt sur la chance que nous avons. Oui notre ferme est réquisitionné, mais je sais qu'ailleur c'est pire. Sous alimentation, travail forcé et déportations. Le Colonel Ulrich est un imbécile de premier ordre qui préfère cuver son vin plutôt que de s'occuper des affaires de son pays. Il etait plus véhément au début, mais aujourd'hui à part boire et manger il ne semble pas s'intéresser à grand chose. Peut-être se croit-il en vacances? En attendant cela nous arrange, nous n'avons pas trop à nous plaindre. Nous vivons comme reculé de tout, en dehors de cette guerre qui fait rage. Les soldats sont la plupart du temps en train de jouer aux cartes ou en train de bavarder en détruisant leurs poumons à fumer. Je ne comprends pas ce que nous faisons encore ici. On aurait dû être évacués depuis longtemps, nous, les bouches inutiles. Peut-être que Ludwig n'y est pas pour rien dans tout ça.
Je racle le sol de la basse cours, nous avons de moins en moins de bêtes, mangées une par une pour faire vivre l'ennemi. Ça me fais mal au coeur de voir toutes ces années de travail partir dans l'assiette de ce glouton. Soudainement je me rends compte que j'ai arrêté de me battre. J'ai abandonné toute opposition contre eux. Je n'arrive même plus à les détester, comment pourrais-je prétendre aimer Ludwig et en même temps haïr "l'ennemi "? Nous ne sommes pas différents en réalité. Cette guerre ce n'est pas nous qui l'avons choisis, cela s'est décidé bien plus haut dans la hiérarchie, c'est quelque chose qui nous dépasse complètement. Je haï la guerre, mais sans elle je n'aurais jamais rencontré Ludwig. Aujourd'hui je sais que je ne pourrais jamais aimer une autre personne.
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