Partie III

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Qu'est-ce que ça lui coûtait d'essayer ? Du temps, il en avait plus que n'importe qui. De l'argent, à la rigueur ? Mais il pensa avec amertume que ses parents n'hésiteraient pas à lui en fournir pour cela.

Ça leur donnerait bonne conscience.

Quant à la volonté, il ne fallait pas non plus lui en demander de trop, et c'était là peut-être ce dont il manquait le plus.


Cela faisait une dizaine de minutes que Newt s'était assis dans le fauteuil le plus simple et le moins confortable de la pièce, sans un seul mot pour la femme qui lui faisait face. Celle-ci avait d'ailleurs été d'une politesse qui ne lui avait aucunement été rendue : ni par un sourire, ni par le moindre hochement de tête. Le regard du jeune homme était rivé sur elle, totalement inexpressif, à la limite agressif. Après quelques questions posées sans obtenir la moindre réponse, la psychologue avait finalement abandonné l'idée d'engager la conversation. Il viendrait de lui-même s'il le voulait. Elle se tenait parfaitement immobile, soutenant son regard. Elle essayait d'établir de son comportement des marqueurs qui lui permettraient d'orienter la discussion, mais après deux séances où elle n'était pas parvenue à en apprendre beaucoup, il lui était bien difficile de cerner son patient.

- Je n'aime pas qu'on entre dans ma tête.

- Je n'entre pas dans votre tête, Newt. J'essaie de comprendre.

- Je suis chirurgien, c'est à moi de planter ce regard sur les autres.

Tout en croisant ses jambes, la psychologue pencha légèrement la tête de côté.

- Justement, puisque vous m'en parlez, avez-vous repris votre travail ?

- Non.

La voix était sèche, presque agressive. Il tira nerveusement sur la chaîne de sa montre pour la sortir de sa poche et ouvrit le couvercle qu'il referma presque aussitôt. Venir ici ne changeait strictement rien à sa situation, sans doute d'ailleurs parce qu'il ne le voulait pas. Mais peu importait la raison, les faits étaient là.

- Ça ne sert à rien de continuer, on perd notre temps tous les deux.

- Retourner dans un bloc opératoire pourrait vous permettre de vous sentir utile. Cela vous redonnerait un but, et c'est ce qui vous manque si je comprends bien.

Newt détourna les yeux avec un petit rire amer, presque effrayant. Ses mains serrées l'une contre l'autre tremblaient légèrement. De toute évidence ses émotions débordaient.

- Et comment je peux faire avec ça ? Expliquez-moi !

Plutôt que de se répandre en conseils qu'elle savait inutiles, la femme tenta d'amener le sujet sur ces mains qui tressautaient.

- Depuis quand cela vous arrive-t-il ?

- L'accident, il y a huit mois.

Une pause, bien mesurée. Une question, implicite, mais qui se fait attendre.

- Quel accident ?

Ce ne fut plus seulement les mains mais tout le corps qui se mit à trembler, légèrement. Réveiller cette blessure rappela à sa mémoire des souvenirs auxquels il n'avait plus accès. Le loup se faisait agneau.

- Elle... Elle conduisait et puis... Elle était fâchée, et la voiture a quitté la route... Elle est...

Son interlocutrice n'eut pas besoin de lui demander la fin de la phrase qu'il termina en éclatant en sanglots. Elle était morte, simplement, évidemment. Que cela ait été sur le coup ou à la suite de ses blessures, elle était décédée et cet homme ne s'en remettait pas.

- Quelle était la raison de votre dispute ?

Il écarquilla les yeux, comme si ce qu'elle venait de dire était un blasphème. Cependant sa voix lorsqu'il lui répondit n'avait rien d'accusateur. C'était plutôt comme s'il voulait rattraper son erreur avant que quelqu'un d'autre ne l'entende.

- On ne se disputait pas, loin de là ! Elle était furieuse contre moi, tout est ma faute...

- Pourquoi était-elle si énervée contre vous ?

Au-delà du regard dénué de jugement qu'elle arborait, la femme réfléchissait à ce qu'elle était en train d'apprendre, tout en prenant des notes. Le tournant de la conversation était inattendu.

- Comme d'habitude je faisais tout de travers. Je suis rentré en retard du travail, et je ne l'ai pas prévenue... On devait partir au restaurant trente minutes plus tôt, elle avait tout prévu pour mon anniversaire, et moi j'ai tout foutu en l'air... Si j'étais arrivé à l'heure, rien de tout ça ne serait arrivé...

- Est-ce qu'il lui arrivait de lever la main sur vous ?

Comme un enfant surpris à faire une bêtise, le rouge monta aussitôt aux joues de Newt. Gêne, colère, honte, la psychologue ne parvenait pas à associer sa réaction à la bonne émotion. Mais une chose lui apparaissait : elle avait tapé dans le mille.

- Souvent en fait. Je ne la méritais pas, mais je l'aimais comme un fou...

Décroisant ses jambes, son interlocutrice appuya ses avant-bras sur ses cuisses, se penchant en avant pour examiner à la loupe le spécimen qu'elle avait sous les yeux.

- Qu'est-ce que vous faisiez au juste pour dire ne pas la mériter ?

La transformation du jeune homme était tout bonnement incroyable. Le ton bourru, l'absence de volonté, le regard transperçant... Ce n'était plus le même homme qui se trouvait en face d'elle. Devant son absence de réponse, alors qu'il lui semblait plus perdu encore qu'un gosse dans un magasin, la femme posa son carnet raturé de mots épars, et releva ensuite vers lui ses grands yeux.

- La perte d'un être cher est toujours un obstacle à surmonter, Newt. Mais vous devez vous ressaisir, elle ne reviendra pas.

Sa voix était d'une douceur à laquelle on ne pouvait pas se mesurer. Son rôle n'était pas de porter ouvertement un jugement, et dire à un homme amoureux de sa compagne qu'elle ne méritait pas ces attentions, ne ferait que le braquer un peu plus. Il fallait lui ouvrir les yeux, en douceur.

- Prenez les problèmes les uns après les autres. Essayez dans un premier temps d'orienter vos pensées vers ce que vous pourriez faire, et non pas vers ce que vous auriez pu réaliser.

- Je ne veux pas l'oublier !

- Personne ne vous demande de l'oublier. Mais ce n'est pas parce que vous ne penserez pas tous les jours à elle, que vous effacerez son souvenir.

Un petit silence accueillit cette déclaration. Il baissa le regard sur ses mains, qu'il croisa et décroisa plusieurs fois.

- On se revoit à la fin du mois ?

L'intéressé hocha la tête et se releva en même temps que la psychologue. Son regard était fuyant lorsqu'il lui serra la main. Pas un seul mot ne se formula à voix haute, mais lorsqu'il quitta la pièce, Newt sentait le nœud coulant lui accorder un répit.

Un souffle d'air.

Je lève la tête vers le haut du terrier, mais aucune lumière ne me parvient. J'ai l'impression d'être près du noyau terrestre, si loin sous terre. Je n'ai pas la moindre idée de comment sortir.

Une pleine respiration.

Je m'approche de la paroi, et glisse mes mains sur toute la surface que je peux couvrir. J'avance d'un pas lent, ne laissant rien filer sous mes doigts, faisant de ce cercle étroit un endroit connu.

Un sentiment nouveau.

Et je trouve enfin quelque chose. Dans le noir complet, sans savoir si je vais réussir cette vertigineuse ascension, je saisis la prise d'une main ferme, et en cherche déjà une autre.

Des doutes plein la tête.

Je suis calme, concentré. Et ça paie. Je m'étire pour atteindre la deuxième pierre. Elle va peut-être me rester dans la main, mais tant pis. Mes pieds décollent du sol alors que je me hisse.

Mais surtout de l'espoir.

Et je grimpe pour me sortir de là.

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