Isadora replia de ses mains gantées la frêle armature tendue de dentelle. Sans l'ombre salvatrice de son ombrelle, les rayons solaires mordirent son minuscule chapeau et son chignon finement ouvragé. Au loin, dans un autre secteur du port, la déflagration d'un beuglement inhumain, emplit l'air d'un onde de choc qui fracassa l'air des docks. L'iode mêlée à la pestillence des viscères de poissons ramena Miss Davenport à la réalité de sa quête.

Débitant un thon avec la dextérité d'un médecin légiste, Windy semblait maudire son existence à chaque coup assené de son hachoir. Elle releva son front suant, toisa l'arrivante tout en abattant la lame bleutée à la racine des branchies d'un puissant coryphène. Isadora passait en revue les hétéroclites prises de l'équipage du Nostalgia. La voix orageuse de Windy et son éclat de rire bestial se perdirent dans le long barrissement d'un steamer en partance. L'élégante mondaine semblait tout particulièrement fascinée par un terrifiant animal.

Le monstre marin, peu friand des eaux nord-américaines lugubres et froides, avait rendu l'âme quatre minutes avant que Miss Davenport ne pose son regard sur son corps anguilliforme. La bête, souple et gluante, était morte loin de chez elle, loin de la mystérieuse Aruba, loin de la trépidante mer des Caraïbes. Ses rétines qui évoquaient celles des reptiles se voilèrent peu à peu de l'opacité sans retour de la mort. 

— Donnez m'en deux livres je vous prie, ordonna Isadora. 

En un clin d'oeil la poissonnière trancha l'épiderme lisse de la murène, équilibra les plateaux de la pesée. Tout empanaché, le steamer fit de nouveau gronder l'air. Windy regarda s'éloigner l'énigmatique Isadora, espérant secrétement la revoir au pied de la mâture antédiluvienne du Nostalgia. 

— Alea jacta est, déclara solennel un homme debout sur le pont. En proie à une intense réflexion, il gagna la poupe, tirant de temps à autre sur sa pipe en os de baleine.