VIII
Elle sera bientôt à moi. Le bal de ce jour est la dernière ligne droite vers le lit nuptial – il n’avait vraiment que cette préoccupation, la guerre, le trône, ce n’était pas grand-chose ! –. J’avais revêtu un costume noir en velours richement brodé de motifs argentés, un ruban noir nouait mes cheveux longs. Que le bal commence !
Mon entrée fut acclamée par cette foule en liesse, la musique paraissait couler dans le lac que formait les danseurs sur une même longueur d’onde. De splendides chandeliers sertis de gouttes de cristal illuminaient ce monde obscur sans nous causer le moindre tort, merveille que la lumière artificielle ! –lumière qui bien malheureusement ne purifiait pas l’âme de notre prince en rut –.
Un groupe de coqueluches aux décolletés bien plongeant vint à ma rencontre, n’étais-je pas le prince de ces dames ? Elles jacassaient et gloussaient se dandinant comme de belles diablesses, spectacle amusant ma foi mais celle qui n’avait de cesse de hanter mes pensées n’était pas encore de la partie. Mes jolies dindes me demandèrent de les faire danser, une agréable valse rapprochée dans leurs appartements. Je dois bien admettre que je fus tenté mais, en bon prince, je déclinai l’invitation.
Après quelques salutations et échanges de politesse, Cordelia se montrait enfin. Elle portait une robe de bal tout aussi noire que mon âme, elle me regardait avec intensité, elle me happait, m’enchainait à elle. Sa beauté saisit l’assistance, tous étaient sous son emprise. Alors qu’elle descendait la dernière marche du grand escalier central, la musique entama une valse.
Soudain, la foule se pressa vers elle. La saluant avec vigueur et chantant ses louanges sur ses exploits passés. Elle avait tué sa mère et montré sa bravoure. Naissance ultime d’une reine despote sanguinaire, fruit de ma conception ne l’oublions pas. Elle était mon chef-d’œuvre.
Cordelia semblait nourrir pour moi une haine débordante, cela m’allait, tant que je pouvais la posséder, qu’elle fût oui ou non soumise. Je saurais la rendre docile. Rien ne pressait. Cette charmante princesse me passait sous le nez pour valser çà et là aux bras de parfaits idiots, bien entendu j’avais aisément rattrapé les bécasses qui en voulaient à mon anatomie et je dansais moi aussi. L’une d’elle me vola un baiser. Surpris, la regardant avec avidité, je lui dédiai ces simples mots : « Pensez à rafraîchir vos canines. ». Elle devint rouge comme une pivoine et déguerpit de ma vue, au comble de la honte.
Balayant la salle du regard, je vis soudainement la porte s’ouvrir à la volée. Toute la salle se figea. Un homme était en train d’avancer tandis que la foule s’écartait sur son passage, qui diable était-il pour en imposer autant ?
J’observais la scène légèrement agacé par cet importun. A ma grande rage il se dirigeait vers Cordelia ?!
Elle lui faisait déjà face. Lui, il s’immobilisa pour la toiser de toute sa hauteur. Je remarquai alors qu’il possédait les mêmes cheveux argentés que moi. Il prit la parole :
« Mon nom est Charles, annonça-t-il, je suis venu demander la main de la princesse Cordelia. »
Comment ?! Mais pour qui se prend-il ? Ma fureur fendit la foule où fusaient des exclamations de surprise, je me plantai entre Cordelia et lui. Il fut le plus rapide à prendre la parole.
« Bonsoir, mon frère. »
Ma fiancée, qui danse joyeusement avec un frère sortit de je ne sais où, mon verre vide, ma frustration passionnante, quelle splendide soirée ! Une heure avant, la nouvelle était tombée comme un cheveu dans une soupe putride, cet homme se trouvait être mon frère ainé. Certes, j’avais déjà entendu dire que le premier fils de mes parents était mort avant ma naissance. Là était le problème, il devrait être mort ce bougre !
Il nous a conté ses belles histoires larmoyantes : il s’était réveillé dans son cercueil et avait gratté le bois et creusé la terre pendant des jours, s’arrachant les ongles, le pauvre enfant n’était pas mort. Charles avait donc vécu comme un humain depuis lors, effrayé dans un premier temps à l’idée de retourner auprès de ceux qui l’avaient enterré vivant – bon vous connaissez la chanson, le gentil vampire vécu heureux parmi sa nourriture en ne faisant que le bien, ennuyeux donc –. Des décennies plus tard, il avait eu vent que le pacte de paix avait révélé une superbe femme à épouser. Ce rustre revenait la chercher maintenant ! Faire valoir son droit d’ainesse, mais mon frère, elle est à moi ! J’enrage ! Rien n’a de sens !
Mon cœur suintait de poison quand je les voyais danser et se sourire. Elle ne m’avait jamais souri. L’on ne pouvait me la prendre, je la désirais ardemment, elle m’avait enchaîné à elle ! – Comprenait-il seulement qu’il en était amoureux ? Notre jaloux violeur d’enfants ne soupçonnait même pas que Cordelia jubilait de le voir ainsi esseulé et humilié et qu’elle redemandait exprès une danse à Charles ! – Je ne peux regarder ce spectacle plus longtemps, moi aussi je vais danser !
Glenn purulent de jalousie profonde pour son prénommé frère ci-présent – ils auraient pu au moins vérifier, se réunir pour délibérer s’il était aussi apte à épouser Cordelia au lieu de juste acquiescer bêtement ! Mon dieu quelle bande de vampires insensés ! – il s’entoura de belles femmes les faisant virevolter comme les jupons de la petite princesse quelques jours plus tôt, dans une ruelle humide. Mais notre princesse était aussi exaltée de voir Glenn enrager, les femmes savent toujours comment provoquer des émotions fortes aussi bien bienveillantes que malveillantes auprès de ces chers messieurs, pardonnons-leur, cela fait leur charme après tout !
Interlude d’après bal
La nuit illuminée invitait la danse et la musique à se retirer. Le silence. Tous les vampires étaient endormis, tous les rideaux étaient tirés, tout était d’obscurité nimbé. J’avais quitté mon sommeil, vêtue d’un simple peignoir de soie en quête d’une chose bien précise.
Il faisait froid dans les couloirs inanimés, le frottement léger de la soie sur ma peau la rendait sensible, aux aguets de la moindre sensation à prendre, mon souffle semblait geler l’air et ma poitrine était durcie, quel froid.
Je l’avais trouvée. La chambre à conquérir ce soir. Ouvrant doucement la porte sans un bruit, je laissais le froid derrière moi et pénétrais dans la chaleur que je cherchais.
Il avait les yeux ouverts et me regardait sans surprise apparente, il se contenta de m’adresser ces simples mots :
« Enfin te voilà, reine Cordelia. »
Je l’avais au creux de ma main, crampée au-dessus de lui, mes cheveux tombaient en cascades sur sa peau nue. Il leva sa main pour caresser ma joue et m’attirer vers lui doucement. Nous nous embrassâmes langoureusement.
Me redressant, le dévorant du regard tandis que mon peignoir tombait le long de mes bras ballants, dévoilant ma nudité entière et mes tétons durcis. Je me léchais le coin des lèvres quand il posa ses deux mains sur mes hanches. Le bal n’était pas terminé pour nous deux, dans la valse embrasée de nos ébats secrets.
Ma langue humide parcourait son torse, jouant d’espiègleries lui soutirant de petits gémissements de plaisir, puis ma bouche rencontra la sienne à nouveau et il me fit basculer prenant l’ascendant dans notre petit jeu.
Il butina ma fleur jusqu’à ce que je l’arrose à mon tour, il était très doué, je dois bien l’admettre.
Nos deux corps sanguinaires entrelacés allaient et venaient en cadences parfaites, je me délectais de notre moment et lui aussi.
Reprenant l’avantage de la partie, il bascula sous moi et nous cessâmes de nous mouvoir pour nous observer. Je fondis sur lui pour mordre à pleines dents sa jugulaire qui battait furieusement. Le sang déferla dans ma bouche à une vitesse vertigineuse. Il porta ses mains jusqu’à mon cou pour m’étrangler, mais je fus trop rapide.
Au seuil de la mort, ses bras étaient retombés inertes et il souffrait allongé devant moi, je lui saisis le cou à mon tour d’une seule main et me penchant doucement vers lui, je lui chuchotai :
« Je n’ai pas besoin d’un deuxième mari. »
Son cou se brisa sous ma main. Je laissai le corps séché de Charles sur le lit, tandis que je quittais la chambre pour aller retrouver le froid de la nuit.
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