L'Arrivée partie 2
Un garçon à lunettes, assez rondouillard, s’installa à côté de moi. D’un courage surhumain, j’engageai la conversation de mon chinois approximatif :
— Bonjour, ça va ?
Le résultat de deux ans d’études supérieures condensées en une seule phrase.
— Oui, très bien, et toi ?
Sa réponse était teintée d’un accent coréen que j’allais apprendre à déceler tout au long de mon séjour. Notre langue maternelle influence toujours l’apprentissage d’une langue étrangère. C’est la raison pour laquelle de nombreux Français ont du mal avec la prononciation de l’anglais. Certains sons comme le th, qui donne des cauchemars aux élèves, ou le « r » alvéolaire (comme dans red), bien souvent remplacé par un « r » classique « rède », n’existent pas dans notre langue, et c’est ce qui les rend difficiles pour nous. L’inverse est également le cas : notre « u » si caractéristique (comme dans « mur ») ou l’allure rugueuse de notre « r » est une plaie pour nos voisins.
La langue coréenne fusionne de nombreux sons qui deviennent indissociables pour ses locuteurs, tels que « p et f, r et l » ainsi que « b et v ». Un exemple concret serait le chanteur du groupe BTS, dont le nom de scène V se prononce bui[1]. Le V n’existe pas dans l’alphabet coréen, il est remplacé par le ㅂqui s’apparente au B latin. Ce phénomène a pour résultat, dans l’apprentissage du mandarin, que certains sons chinois ne puissent être prononcés par la majorité des Coréens (à moins d’un travail acharné, et j’ai pu en être spectateur !), qui se réfèrent donc à leur propre banque de sons la plus proche. Ces automatismes permettent aux oreilles attentives de déceler la provenance du locuteur, tout comme la manière de parler vous permet de différencier un Marseillais d’un Alsacien.
— De quel pays viens-tu ? demandai-je donc en ayant déjà décelé sa nationalité.
— Je viens de Corée du Sud.
À ce moment-là, mes années de théâtre me servirent pour exprimer toute ma surprise. Je le répète, un mois plus tôt, je me trouvais dans ce même pays à bouffer des pages de coréen matin et soir. Quel ne fut donc pas mon bonheur de pouvoir ressortir tout ce que j’avais appris par cœur. Sans hésiter, je lâchai le chinois pour sa cousine à la silhouette siliconée. Mes traits se détendirent en un instant.
Ce jeune homme s’appelait Na. Légèrement plus âgé, il venait de passer un an à l’université de Dalian et connaissait tous ses recoins par cœur. Encore aujourd’hui, je le remercie régulièrement pour l’aide qu’il m’a apporté au cours de mes premières semaines sur le campus. Sans son épaule pour me soutenir, je serais sans doute déjà rentré chez moi, les yeux embués de larmes.
[1] 뷔
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