Marc
Heureusement, ma deuxième visite, avec Marc, me porta chance. La transaction fonctionna et la liasse de billets rouges atterrit enfin dans les mains de l'administration, bien contente de récupérer ses joyaux carmin.
Marc est un coréen naturalisé français, qui parle assez peu sa langue maternelle. Nous nous sommes rencontrés lors de la première semaine, cette fameuse semaine de sursis. Mes camarades d’échanges et moi-même avions une feuille d’arrivée à faire signer à l’administration, à destination de notre bourse régionale, en France. Ce papier prouvait que nous n’utilisions pas l’argent de l’État pour nous payer des vacances en Thaïlande à boire ces cocktails.
Marc avait déjà vécu un an et demi en Chine et son mandarin sonnait natif. Il nous aida à remplir nos formulaires, à récupérer des cartes SIM pour nos téléphones et me sortit du pétrin financier. Après Na, c’est la deuxième personne à qui je dois la vie.
Il est né à Séoul mais est arrivé en France à l’âge de deux ans. Lorsque ses parents ont souhaité retourner au pays, il a refusé, trop attaché à la culture occidentale. C’est désormais un bon Breton qui se gave de beurre demi-sel et de kouign-amann, quand il ne vogue pas à gauche ou à droite dans un quelconque pays d’Asie. Un voyage en Corée du Sud par an, pour prendre des nouvelles de ses frères et sœurs, lui suffit amplement. Une symbiose s’est opérée entre la Chine et lui, un vrai poisson dans l’eau.
Du fait que nous soyons si peu de Français dans l’université (une quinzaine à tout casser) et de la même tranche d’âge, une amitié se forma entre nous. Après de nombreux déménagements de chambre, nous sommes même devenus voisins. Aujourd’hui, dès que l’on se croise à moins de deux-cents kilomètres, on se retrouve à la terrasse d’un café pour siroter du cidre.
Marc me fit découvrir de nombreux détails méconnus de la Chine. Nous voyageâmes ensemble jusqu’à Shenyang, la capitale de la province, pour le jour de l’An, puis à Tianjin[1], surnommée la Londres chinoise pour sa grande roue (le Tianjin Eye). Après l’un de ses séjours à Dandong[2], le long de la frontière nord-coréenne, il me ramena même l’un de leurs paquets de cigarettes. Je l’ai toujours, cela fait partie de mes nombreux objets souvenirs, conservés sur une étagère, dont je ne saurais me débarrasser.
Il me présenta les larves de ver à soie au goût farineux, le fruit du dragon, une sorte de kiwi tacheté, ou encore le durian, cette engeance immonde de la Nature, dont l’odeur cadavérique s’infiltre dans le tissu de vos vêtements durant plusieurs jours. Même Mao n’osait pas s’en approcher à plus de cinq mètres.
Marc possédait un don pour se faire des amis. Il connaissait tout le monde sur le campus et son chinois l’aidait pour communiquer, même avec les plus réticents. Son énergie et sa vivacité d’esprit m’ont toujours étonné. Je suppose que sa vie, seul, en France, loin de sa famille, lui a forgé un certain talent pour la débrouillardise. Il trouvait une parade à toutes les situations : un ingrédient manquant pour un plat ? Il en concoctait un autre. Une soirée gâchée par le temps ? Quelques clics sur son téléphone et il nous dégotait un endroit où s’amuser. Des ennuis avec l’administration ? Une conversation houleuse avec les professeurs et le problème disparaissait.
Expert de la mentalité chinoise, il se montrait plus ferme que le roc. Et dans un pays où la soumission est mère de sûreté, un mental d’acier comme le sien ouvrait de nombreuses portes. Avant la fin de l’année, il donnait des cours de grammaire française aux premières années de licence, sans aucune formation d’enseignement ni de pratique au préalable.
Un vrai poisson dans l’eau.
[1] 天津 : Ville-province près de Pékin
[2] 丹东 : Grand point de passage entre la Chine et la Corée du Nord
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