Les apparences sont parfois trompeuses. La vie avec Setsuko, mon nouveau colocataire, fut plus simple que prévu. Certes peu enclin à passer l’aspirateur, il veillait néanmoins à ce que l’on ne décède pas sous la poussière. De plus, notre rythme de douche se complétait : moi le matin, lui le soir. Pas de bouchon, pas de conflit d’intérêts.

Ce qui m’interpella dès mon arrivée, c’était sa table de nuit. Jonchée de bouteilles d’eau de différentes marques et dimensions. J’aurais pu penser à un projet de recyclage si celles-ci n’étaient pas pleines et fermées. Un jour, Curiosité prit à nouveau les rênes de ma langue :

— Qu’est-ce que tu fais avec toutes ces bouteilles ?

J’en avais dénombré une bonne vingtaine, éparpillées du lit au bureau.

— Je les collectionne, avait-il répondu, fier de ses trouvailles.

— Tu vas les ramener au Japon ?

J’aurais apprécié observer la réaction de la sécurité en ouvrant sa valise, pleine de vingt litres d’eau minérale.

— Je ne pense pas. Je vais sûrement les boire avant de repartir.

Certaines avaient déjà pris la poussière et la chaleur, paix à l’âme de son estomac.

Setsuko était peu bavard, mais nous partagions le même amour pour le badminton. Je m’étais lancé dans ce sport avec des amis, avant de me laisser tenter par les compétitions entre les différents départements[1]. Il participait en tant que spectateur à tous mes matchs et m’offrit même sa propre raquette, made in Japan, après que la mienne se soit brisée après un smash. D’excellente qualité, je m’en sers encore aujourd’hui au cours de mes parties et en prends grand soin.

À la fin du premier semestre, Setsuko m’annonça qu’il allait changer de chambre au semestre prochain. Après deux ans et demi passés à Dalian, il connaissait les caprices du climat de la ville « du vent et des jolies filles »[2]. Comme nous étions orientés au sud, les températures grimpaient à l’approche du printemps, et il devait faire face à des problèmes de sudation. Il prenait donc un lit côté nord, à l’abri des rayons.

Je partais ainsi en vacances d’hiver sans connaître l’identité de mon futur colocataire.

La surprise fut gâchée par Na lors de ma visite en Corée du Sud au mois de janvier. Il avait terminé son séjour en Chine et poursuivait ses études dans son pays d’origine. L’heureux élu était Ryu, son ancien colocataire. Du même âge, ils étudiaient dans la même université et se connaissaient depuis longtemps. Ce furent mes premiers amis sur le campus, et ils contribuèrent à mon intégration, à coups de soju[3] et de bière chinoise. Le clan des inséparables. Nous sommes même partis tous les trois en voyage à Qing Dao, pour visiter le musée de la bière.

Ryu et moi étions dans la même classe, ce qui nous rapprocha beaucoup. C’est une personne que je n’oublierai jamais.

Il avait un mode de vie très simple : lorsqu’il ne dormait pas, il fumait des Mevius Menthol ou regardait la télévision. Il était également très attaché à ses cheveux, voire même aux cheveux en général. Coiffeur durant son service militaire, il en avait conservé les outils et la technique. Avec lui, plus besoin de frais de salon, notre salle de bain en était devenue un improvisé. Nos amis défilaient pour se faire rafraîchir la nuque ou corriger un dégradé.

Comme je me levais souvent avant lui, j’avais l’habitude d’acheter un peu plus de quoi déjeuner, afin de lui en laisser sur sa table de nuit (désormais libre de toute bouteille), en cas de creux au réveil.

Il me soutint pendant toute cette année passée en Chine, devenant mon fan numéro un lors des événements culturels et sportifs. Il me mitraillait de photos et me nourrissait dès qu’il le pouvait (habitude partagée par tous les Coréens, qui me trouvaient trop maigre). Nous servions de maman l’un pour l’autre dans cet environnement étranger.

Ses parents séparés, Ryu vivait avec son père et son frère dans un village de campagne. Notre relation grand frère-petit frère comptait donc beaucoup pour lui. Nos quotidiens nous ont désormais éloigné, mais je ne désespère pas de revoir ce frère un jour, peu importe le pays.

[1] Contrairement à la France, les départements d’enseignement en Chine organisent des activités en interne. Parfois, notamment lors de compétitions sportives, ils viennent à s’affronter dans des matchs interdépartementales.

[2] Le surnom que les chinois donnent à la ville de Dalian, connue pour son vent du nord et ses filles du département de japonais.

[3] 소주= Alcool de riz coréen, très populaire.