Chapitre 4

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Le tunnel de droite demeurait plus long que celui de gauche, à la différence qu’il était intégralement éclairé. Sa structure bétonnée ondulait sous la terre. Cependant, le bout apparut plus vite que je ne le pensais. À la sortie s’étendait un carrefour fourmillant de vie. Des dizaines d’hommes et de femmes, seuls ou en groupe, se croisaient dans l’exercice de leurs fonctions. Certaines personnes portaient des dossiers, des sacs, des affaires, d’autres circulaient en chariot élévateur ou avec divers petits engins de manutention. La langue russe prédominait dans les conversations, suivie par l’anglais. Ces locuteurs-là portaient tous un patch tagué “IRIX” sur l’épaule gauche.

Peu importait l’angle d’où l’on se tenait, les galeries qui se rejoignaient ici semblaient être les mêmes. Je supposais que l’habitude devait permettre au personnel de ne pas se tromper de tunnel ni de se perdre, si l'on estimait que l'ensemble du souterrain serpentait sous la tour.

Mes yeux balayaient la zone jusqu’à tomber sur un treillis différent, un camo gris à la coupe cintrée. Vanika discutait avec quelqu’un qui parlait avec ses mains de façon brusque : il devait être en furie ou très angoissé. Ma soeur et lui se tournèrent de concert le temps d’une seconde et parurent nous voir. J’identifiai le type : Andrei.

— Carceris ! hurla ce dernier.

Le jeune homme courut droit sur nous. Son expression paraissait tiré par le stress et la panique. Il débita en russe à la vitesse de l’éclair, s’adressant surtout à l’homme. La face empourprée, il allait jusqu’à omettre de cligner des yeux. L’autre l’écoutait d’une oreille, voire pas du tout, inspectant ses ongles grisâtres avec beaucoup d’intérêt. Lorsqu’un coup d'œil d’Andrei dériva vers moi, il se détendit d’un coup. Ce fut avec colère qu’il se mit à me crier :

— Où étais-tu ? Je t’ai cherchée partout !

Vanika se posta à ses côtés, l’expression de son visage entremêlée de souciance autant que de mécontentement.

— Que signifie tout ce remue-ménage qui gravite autour de toi ? Et que s’est-il passé pour que ce soit le directeur qui te ramène ?

— Le directeur ? répétai-je.

Je fis un pas en arrière pour mieux le voir. Mon regard dévisagea l’homme immense avec une angoisse notable. Il me rendit un œil sévère. Je n’y avais pas fait attention dans l’escalier, mais ses yeux noirs, grognons, étaient entourés de cernes éminentes. Ce détail consolida l’image du squelette ambulant que je m’étais faite de lui. Jamais je n’avais vu une figure aussi maussade.

— Vous… vous êtes monsieur Catenae ?

— Professeur Marino, vous ne faites jamais faire de travaux de recherche à vos élèves ?

Le directeur s’était immédiatement adressé à Vanika. L’aigreur de sa phrase se retrouva dans la réponse de ma soeur :

— C’est Capitaine Marino. Vous voyez bien que je porte l’uniforme, monsieur.

— Ce que je vois surtout, c’est une incompétence généralisée, rétorqua-t-il.

— Pardon ?

Monsieur Catenae n’avait pas besoin de prendre une posture intimidante. Sa taille démesurée le faisait pour lui. Devant le courroux de Vanika, il se contenta de croiser les bras, lançant un mouvement de menton vers Andrei.

— Je conçois que mon élément ici présent a encore quelques problèmes pour ce qui est de suivre l’ordre d’une procédure. Une fouille s’effectue avant de faire entrer les étrangers. En revanche…

Mon guide rentra la tête dans les épaules. Je crus entendre l’orage gronder lorsque le directeur posa ses yeux morose sur moi.

— Je ne pensais pas qu'une simple consigne d'attente serait si compliquée à suivre. Pour un Béhémoth, peut-être. Pas pour une étudiante, et une étudiante en biotechnologie à l’IEPAS* de Rome, qui plus est.

Andrei et moi avions tous deux baissé les yeux. Vanika restait droite dans ses bottes, le dos étiré dans un souci d’apparaître plus imposante dans le différend.

— Nos étudiants ont toujours une raison de ne pas suivre une simple consigne.

— Vous ne faites que défendre la tête brûlée que vous m’avez envoyée.

— VOUS avez validé sa présence ici sur simple dossier ! Et sans discernement !

— Très bien. Dans ce cas, quel était l’objet de cette sortie inopinée, mademoiselle ?

Tous les trois se tournèrent vers moi. Andreil fixait toujours le sol. Moi aussi, je gardais le regard bas.

— J’ai vu quelqu’un passer. Je voulais l’interpeller… je suis sortie dans le couloir et j’ai été… prise au dépourvu par un dogra… non, deux en fait.

J’osais un regard furtif vers Vanika. Les prunelles de ma sœur s'étaient noircies presque au point d’égaler celles de monsieur Catenae.

— Ils sont juste là, ajoutai-je.

Je tendis un doigt dans le vide. Surprise de ne tomber sur rien, je scrutais les lieux autour de nous. Aucune trace des deux machines, rien que le personnel au travail. Vanika suivit mon manège d’une mine soudain déconcertée. Je l’étais tout autant.

— Mais… ils étaient derrière nous !

Le directeur s’étira. Ses articulations craquèrent si fort que je crus qu’elles s’étaient brisées.

— Bon, marmonna-t-il. Je ne vais pas relever ce trait de paranoïa, cela me ferait perdre encore plus de temps.

Personne ne trouva rien à redire. Vanika grinçait des dents, jetant des éclairs aussi bien à l’homme qu’à moi. Sans transition, le plus grand s’adressa en russe à Andrei, qui secoua la tête et répliqua en gardant les bras le long du corps. Le jeune homme détourna les yeux vers un tunnel puis y pointa quelque chose du doigt. Nous suivîmes la direction indiquée pour repérer une personne sautillant sur place plus loin. Elle était emmitouflée dans un uniforme mal taillé, une écharpe enroulée autour de sa tête. Un tout petit nez pointait au-dessus du tissu qui couvrait jusqu’à ses oreilles. Sa grande veste lui tombait jusqu’aux genoux.

Andrei agita son bras. L’inconnu s'avança d’un pas rapide vers nous jusqu’à nous. À mieux y voir, c’était une petite femme qui tremblait de froid, si bien qu’elle s’était remise à piétiner de plus belle. Elle libéra sa bouche de son écharpe, la mâchoire frémissante.

— Tu as retrouvé l’Italienne, Andrei ? questionna-t-elle très vite.

Ses grands yeux marron scrutèrent nos quatre visages, le mien en dernier. Elle semblait jeune, elle aussi. Après analyse de mon portrait, elle resta fixée sur moi.

— Oh ! Ça doit être toi ! Enchantée, je suis Myria, assembleuse pour IRIX !

Elle parlait l’anglais britannique. Finalement, j’ignorais si elle trépignait de froid ou de joie à la suite de ma rencontre. Quelque chose l’incita à vouloir me prendre la main, mais elle se ravisa au dernier instant. Elle passa au directeur.

— Quelle est la suite du programme, Carceris ? Miam miam ?

— Tu le sais, répondit-il, irrité. Alors ne me le demande pas, idiote.

Décidément, le directeur n’avait de gentillesse pour personne. Elle s’excusa en peu de mots, ces derniers devancés par la gestuelle exacerbée de ses mains. Quelque chose chez elle me rassura. Non, il n’y avait pas que des aigris ou des fuyards dans cette tour aux pattes enterrées. Au moins un petit rayon de soleil s’y promenait.

— Allez, à la soupe ! s’exclama-t-elle. Tu vas voir, ce n’est pas très bon mais l’équilibre nutritionnel des plats est parfaitement respecté ! Viens avec nous, Andrei !

Ce coup-ci, elle m’attrapa la main comme un oiseau fond sur sa proie. Son réflexe fut rapide mais délicat, alors je ne pris pas la peine de la repousser. Ses doigts étaient complètement gelés, un contraste flagrant par rapport à son sourire chaleureux. Andrei passa devant nous, mais Vanika et le directeur restèrent à leur place. Je me tournais vers ma sœur, empêchant Myria de m’entraîner plus loin.

— Tu… vous ne venez pas ?

— Non, déclara-t-elle. Le directeur et moi avons à nous entretenir.

Son ton m’avait paru froid sur le moment. Il s’adoucit quand elle joignit à mon égard :

— Ne t’inquiète pas, je te retrouve très bientôt. Reste avec Myria et Andrei en attendant. Ils t’expliqueront le nécessaire.

Ma gardienne tira sur ma main, signe qu’il fallait se remettre en marche. Elle tenait sans doute à ce que le mouvement la réchauffe un peu. Andrei, lui, avait disparu dans le tunnel depuis belle lurette.

Juste avant que la distance ne brouille leur conversation, j’entendis Vanika demander au directeur :

— Je veux voir Hugo.

Il répondit durement en russe et leur discussion se poursuivit dans cette langue. Elle finit par se crypter. Enfin, il n’y eut plus rien. Myria avait entrelacé ses doigts glacés entre les miens, marchant avec entrain vers notre prochaine destination. Je ne relevais pas non plus cette manifestation du contact humain. La jeune femme était la première personne enjouée que je rencontrais depuis mon arrivée. Ce fut ce qui me poussa à lui poser quelques questions sans crainte de me faire remballer. Une seule demande, en tout cas, alors que nous arpentions les couloirs frigides.

— Myria, je voulais savoir… “ Carceris “, qu’est-ce que ça veut dire ? C’est un grade ?

Myria gloussa. Elle me lança un regard amusé.

— Carceris, c’est le prénom du directeur, révéla-t-elle.

Un prénom qui n’avait rien de russe, cela dit. Peut-être s’agissait-il d’un pseudonyme, à moins que je ne sois complètement à côté de la plaque. Autre chose me titilla dès lors.

— Vous appelez le directeur par son prénom ?

— Oui, il s’en moque. Tu peux même le tutoyer, si tu le souhaite.

Après la terrible impression que j’ai eue du personnage, voilà bien un terrain sur lequel je n’avais aucune intention de m’y risquer.


***

* IEPAS : l’Institut Européen Privé en Application de la Science, toutefois j’ai créé ce nom pour l’histoire ^^

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