Chapitre 7 - 1/2
Mon rêve lors de cette première nuit fut absurde : je déambulais dans d’infinies galeries, froides et humides, suivie par une chose qui devait être un dogra. Chaque fois que je voulais le confronter, le robot bondissait en arrière dans l’ombre. Les lumières des tunnels se mettaient alors à crépiter. Je distinguais la machine sur ses quatres pattes. Son blindage paraissait bleuté et ses crocs affreusement longs.
C’est irrespectueux, répétait une voix caverneuse.
Le chaos se poursuivait ainsi jusqu’à ce que le dogra se redresse sur ses pattes arrières. Sa stature se tassait ensuite : il devenait un humain malingre.
C’est irrespectueux.
Le visage trouble de la silhouette dévoila deux yeux d’un rouge intense. Un sourire brillant s’élargit à outrance en dessous. Puis les flashs s’arrêtaient. Tout repartait à zéro.
Ces cycles infernaux ne prirent fin que lorsque Vanika secoua mon lit avec beaucoup d’énergie. Un “quoi” étouffé s’échappa de mon duvet.
— Je dois y aller.
J’ouvris un œil au radar. Ma soeur avait remballé toutes ses affaires. Ses rangers aux pieds, sa veste sur le dos, elle s’arrangeait une tresse serrée tandis que je me redressais difficilement, mes paupières encore trop lourdes.
— Il est cinq heures et demie, dit-elle avant que je ne le demande. Le train part à six heures pour Tcheliabinsk.
— Tu fais le voyage à l’envers ?
J’entendais à peine mes mots pâteux en m’abaissant, une main qui balayait le sol à la recherche de mes chaussures.
— Tu devrais mettre ton uniforme.
— Ah, oui…
Je retrouvais ce dernier au pied de mon lit. Véritable poids mort de la veille, j’en étais venue à l’oublier bien avant d’aller me coucher. La seule chose que j'espérais de ces vêtements sinistres était qu’ils soient assez chaud, histoire de survivre dans ce frigo enterré. L’image d’une Myria grelottante me revint aussitôt à l’esprit.
— Je pars en premier, me prévint Vanika. Je dois m’assurer que mes demandes soient respectées. Tu te rappelles comment aller jusqu’à la gare ?
— Euh… oui.
Puisque la porte rouillée ne permettait plus d’y accéder directement, il fallait passer par le croisement pour redescendre vers les trains. C’était une directive bête. Mon cerveau, au beau milieu d’un laborieux démarrage, remettait les éléments dans l’ordre avec grand peine. En parallèle, ma phase d’habillage pataude provoquait quelques pauses dans ma réflexion, le temps que j’enfile une jambe ou une manche, le pire étant le col du pull que ma tête ne trouvait pas.
Entretemps, ma sœur s’était dirigée vers la manivelle, l’avait tournée dans un grincement douloureux pour les oreilles avant de tirer la porte. Vanika lâcha un juron. Je me retournai aussitôt, la voyant statique dans l’encadrement.
Le dogra qui lui faisait face était assis sur son train arrière. Si la machine avait des yeux, ils regarderaient indubitablement le fond de ceux de mon aînée.
— Qu’est-ce que tu veux ? cracha Vanika.
Le temps que le chien ne réponde – en supposant qu’il allait le faire –, j’avais noué mes lacets et enfilé ma veste. Celle-ci puait le linge détrempé.
— Le train part bientôt.
La voix du robot demeurait difficilement compréhensible. Je crus d’abord à un talkie-walkie qui grésillait scotché quelque part je-ne-sais-où sur la machine. Sauf que la déclarative provenait bien de cette dernière. Depuis sa gueule, précisément. Ces choses pouvaient donc parler.
— Je le sais, merci ! s’agaça Vanika. C’est Carceris qui t’envoie ?
J’allais me poster derrière ma sœur. Non pas que je la considérais comme un bouclier humain, mais quelque chose au fond de moi suggérait qu’en cas d’attaque, elle était la meilleure personne capable de riposter. Pourtant, nous n’étions pas armées. Ce sujet fut l’un des premiers topos assénés par Vanika lors de notre départ. Les armes, quelle qu’elles furent, étaient prohibées ici. Sinon, son habituel shadow viper* reposerait le long de son flanc.
Quoique… pas sûre qu’il soit efficace contre un dogra capable de contenir sans bouger les rafales effrénées d’un fusil d’assaut. Les crocs luisants de la chose, dont la vision me provoqua un haut-le-coeur, déconseillaient de jouer les héros.
— Le directeur est occupé, répondit le chien après un autre temps mort. Il ne viendra pas.
La machine dû arriver au bout de ses objectifs et se leva aussitôt. Il traversa le couloir d’une faible allure mais constante avant de disparaître vers le puits.
Monsieur Catenae venait de révéler deux aspects de lui en envoyant le dogra à notre chambre : primo, il n’avait aucune confiance en Vanika, même pour ce qui était le respect d’une horaire. Je dirais même que ce rappel pourrait signifier que le directeur tenait à la voir déguerpir au plus vite. La présence d’une supérieure d’IRIX dans la tour ou les raisons de leur altercation d’hier – ou les deux – devaient également être prises en compte.
Secundo, il programmait tout, jusqu’à la question posée par Vanika au chien. Sinon, il serait parti après sa première déclaration, non ? Même si celui-ci était contrôlé à distance, il aurait amorcé un mouvement de départ. Ou bien, il aurait enchaîné immédiatement sa réponse suivante.
Vanika coupa court à mes spéculations lorsqu’elle s’engagea dans le couloir. Ses marmonnements dans notre langue maternelle en disait long sur ce qu’elle éprouvait pour Carceris à cet instant. Elle aussi ne l’aimait pas.
— Range tes affaires et ne traîne pas, me lança-t-elle brièvement. Et prends de quoi écrire, pour ton premier jour.
Sa silhouette s’évapora à l'opposé de celle du dogra. Dorénavant, le fait d’être seule m’empressa d’agencer mes effets sur l’étagère. Je fourrais dans mon sac mon bloc-note et son inséparable stylo quand un autre grincement me fit tourner la tête. Mon voisin sortait de sa cellule en baillant à s’en décrocher la mâchoire.
Mon premier réflexe fut de poursuivre là où je m’étais arrêtée, mais dans une approche différente. Je me postais alors calmement à l’entrée de ma chambre. Un “ bonjour “ plus interrogatif que décontracté franchit mes lèvres sans que l’individu ne s’intéresse à ma salutation pour autant. Je me figeais. Et s’il se sauvait comme hier ? s’inquiéta mon esprit. Qu’est-ce ça va être, une semaine avec un voisin comme ça ?
Il tira sa porte puis, quand le hurlement des gonds cessa, il leva un regard désenchanté vers moi. Il avait les yeux d’un bleu de glace percutant, juste au-dessus de douves en guise de cernes.
— C’est ma chambre, dit-il, me désignant d’un mouvement de nez. Désolé pour l’irruption d’hier.
Son air était tout aussi découragé que son visage.
— Ce n’est pas grave, c’est moi qui te demande pardon, m’excusai-je platement. On m’a assignée ici… mais ce n’est que pour la semaine, ne t’inquiète pas.
— Ah, c’est que… non… non, rien. Laisse tomber.
Il se secoua faiblement. Tout semblait lent, chez lui. De son pas traînant à la façon dont il vissa une casquette sur ses boucles noires. Le découragement suintait de son corps, et cela se constatait jusqu’à ce qu’il passe le coude en direction du croisement.
Après un haussement d’épaules, je poussais un soupir nonchalant qui alla se dissoudre dans l’humidité des lieux. Au moins, cette rencontre me permit d’agrandir le recensement des nationalités présentes à la Dakhma : ce garçon était français. Je le devinais à son accent. Pour avoir étudié en classe préparatoire à Paris, voilà bien un élément que j’affirmais avec une grande certitude.
***
*shadow viper : nom d’un pistolet, au même titre que le Glock mais en moins connu.
Annotations
Versions