III - Les cités états, la lutte pour le pouvoir
— Mon cher duc Belème, je suis ravie que vous soyez devenu le Primat du royaume, votre mère, la comtesse Détrina était la fille ainée de mon oncle, ma cousine germaine, nous sommes donc cousins par le sang.
— Je vous remercie pour votre accueil, Majesté, j’espère que ce lien facilitera nos rapports et contribuera à notre mutuel bénéfice.
— Je n’en doute pas, cher cousin, pour l’heure, le prince Luster va passer en revue avec vous, les différents dossiers. J’aimerais que vous prêtiez toute votre attention à celui d’Arin dont le roi Tétrède, mon vassal, s’inquiète de la militarisation de l’île Tuan située à l’ouest de son royaume à trois jours de mer de nos côtes. Des incursions ont eu lieu, les envahisseurs pillant et détruisant deux villages d’Arin, mais le baron Jocas, l’ambassadeur de Tuan, nous a déclaré qu’il s’agissait de pirates actuellement recherchés par les autorités et nous a assurés que Tuan ne s’équipait que pour la défense de son royaume. Il nous dit être confronté à des hordes barbares venues de l’Orénie, le continent du Nord-Ouest, à la suite de difficultés climatiques et d'une situation économique catastrophique.
— Si je puis me permettre, Majesté, chère cousine, je n’ignore rien de la famine qui frappe cette région. Ils ont subi une sécheresse intense l’été dernier, suivi d’un hiver long et particulièrement rigoureux qui a désorganisé l’état le morcelant en une multitude de clans rivaux incontrôlables. Mais selon mes informateurs, ils ne sont pas équipés pour traverser la mer qui les sépare de l’île. Ils ne possèdent que peu de navires capables de transporter des troupes pouvant envahir Tuan dont la marine par contre est puissante et très bien équipée. Les tuanites ont construit, secrètement, l’an dernier, dans un chantier situé au nord de l’île, deux nouveaux bâtiments de fort tonnage, pouvant chacun amener cent cavaliers, leurs montures et deux cents fantassins. Ils sont armés de douze canons de trois cents mètres de portée. J'espère avoir sous peu d'autres informations concernant de nouvelles constructions.
Par ailleurs, les clans du nord d’Orénie se dirigent plutôt vers le sud et l’ouest de leur continent plus facile d’accès et bien moins armés que Tuan. Enfin les visées de ces derniers sur Arin sont connues, le prince héritier Doturis a toujours revendiqué le trône arguant de son ascendance. Sa grand-mère, Alista, était l’héritière de la couronne cependant, comme elle épousait le roi de Tuan, devenant ainsi Reine, c’est son jeune frère qui fut couronné. Il mourut sans descendance la même année dans un tournoi. Il fut remplacé par le général Sénère, gouverneur militaire de la cité qui fut élu roi par l’armée. À l’époque, l’assemblée des dirigeants des cités sous la présidence de Sa Majesté Adralle troisième du nom, votre grand-mère, a reconnu et validé cette élection au grand dam d’Alista devenue par la suite Reine de Tuan. Depuis, ses enfants, les dirigeants de l’île n’ont jamais abandonné leurs prétentions.
— Nous connaissons tout cela, duc Belème — intervint le prince Alister — c’est la raison pour laquelle au cours des deux dernières années, sous ma primature, nous avons constamment ménagé la susceptibilité du roi Setermal de Tuan et surveillé leur évolution tout en favorisant les échanges commerciaux afin de resserrer nos liens et faire en sorte qu’une guerre ne puisse être envisageable. Si Tuan est bien en mesure de s’emparer d’Arin, il ne peut pas défier l’ensemble des huit cités dont l'importance, lorsque nous sommes réunis, est nettement en leur défaveur tant en puissance de feu qu’en nombre de soldats.
— Prince Alister, je ne doute pas de notre capacité à faire face si nous sommes préparés à cette guerre, mais ce n’est malheureusement pas le cas. De plus, votre cité ainsi que les deux autres républiques Lavoisienne et l’état d’Impollion sont à l’autre extrémité du continent, à au moins deux mois de marche d’Arin, à condition de traverser le désert central et à trois mois par mer en faisant le tour par le sud. Ceci laisse le temps à Tuan de s’emparer d’Arin par surprise et de fortifier leurs défenses en attendant les renforts.
— Les renforts ?
— En effet , deux royaumes du sud de l’Orénie, Lacmé et Deriate effrayés par l'approche des hordes venues du nord ont signé, au début du printemps, un traité de défense mutuelle et d’assistance militaire avec Tuan. D’ores et déjà, ils s’entraînent avec les meilleures unités de l’île. Ils ont également sous l'impulsion des tuanites développé une flotte imposante. En deux mois, ils peuvent être dans la baie d’Hellé devant le port d’Arin et donc à portée de la cité d’Helléphax. J’ajouterai que le roi Tétrède est en difficulté dans sa cité avec un grand nombre d’opposants, il est vrai, peu organisés à l’heure actuelle. Mais ils sont probablement prêts à se soulever et soutenir l’invasion de Tuan en reconnaissant le prince Doturis comme souverain légitime. Ils deviendraient ainsi, de fait, des alliés de Tuan en introduisant la discorde dans le royaume des huit cités. Je propose donc de convoquer au plus vite un conseil de sécurité que je présiderai sous l’autorité de votre Majesté afin de débattre des mesures à prendre.
— C’est un tableau bien sombre que vous nous brossez là, Duc Belème, mais il paraît assez réaliste et vous semblez avoir bien étudié cette question. En tant que Primat, dès la formation de votre gouvernement, je vous charge d’organiser ce conseil avec les représentants des huit cités. D’ici trois jours vous devrez présenter devant la chambre votre programme pour l’année, je vous suggère de garder vos informations et vos conclusions pour ce conseil dont vous annoncerez simplement la création. Vous leur proposerez de désigner parmi eux quatre ou cinq conseillers qui y siègeront. Inutile d’affoler la population pour le moment. Quant aux difficultés du roi Tétrède, elles sont dues à une secte religieuse bien implantée dans Arin dont le but est de renverser le régime monarchique pour le remplacer par un régime théocratique. Nous supposons qu'il serait dirigé par celui qu’ils pensent être le représentant de leur divinité. Il voudra gouverner selon des préceptes de vie et de conduite sociale archaïques remontant aux âges sombres et aux Dieux qui nous ont créés sur Astenor. Je ne suis pas certaine qu’ils acceptent de remplacer un monarque par un autre. Par contre, je suis sûre que notre intérêt est de combattre cette secte qui répand un peu partout le poison de ses croyances et ne manquera pas d’agir contre nous après avoir renversé Tétrède.
— Justement si ma Reine le permet, j’avais l’intention de me déplacer dans chacune des cités à l'occasion de visites officielles, pour faire connaître les mesures que je vais proposer à l’assemblée en matière de défense commune et de cohésion économique. Une fois qu’elles seront adoptées et proclamées par votre majesté bien évidemment.
— Si cette invasion devait intervenir prochainement comme vous semblez le croire, il ne me paraît pas opportun que le Primat du royaume s'éloigne de la capitale, je vous propose de nommer plutôt des émissaires qui vous représenteront et porteront votre parole et celle du gouvernement dans les autres cités. Je vous laisse maintenant avec le prince Alister afin de vous familiariser avec les autres dossiers.
— Il sera fait selon votre souhait, votre Majesté... chère cousine —répondit le duc alors qu'elle prenait place derrière son bureau.
— Venez avec moi Duc Belème afin de rencontrer les membres de mon gouvernement qui attendent dans la salle du conseil, permettez-nous de nous retirer votre Majesté !
— Je vous recevrai avant votre retour dans votre cité, Prince Alister, mon majordome va vous raccompagner.
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JI 26/10/19
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