Au départ, la création
Imshe trépignait d’excitation dans la toile noire de l’espace que sa fratrie de déités lui avait confiée. Elle devait partager ce monde encore vide avec son frère Limpis, mais cela ne la dérangeait pas. Bien qu’il jouât toujours à modifier ses créations, elle ne pouvait se résigner à se séparer de son jumeau. D’autant plus que souvent, quand elle avait l’âme créatrice, il préférait somnoler dans l’ombre, n’intervenant que lorsqu’elle s’enflammait de trop.
Son corps de renarde s’arqua, ses deux longues queues touffues dansant dans le néant, tandis qu’elle se retourna brusquement vers son frère. Lové en une lune parfaitement ronde, Limpis affichait une tête lupine aux contours flous sur sa fourrure anthracite.
— Je serai le soleil, la vie ! clama-t-elle. Et toi, tu seras la lune et la mort.
Peu concerné, Limpis ne dit mot, ouvrant simplement un œil. Sa sœur n’attendait de toute manière aucune réponse de sa part, sautillant déjà dans l’espace noir. Chacun de ses bonds agitait avec grâce ses queues chatoyantes qui, de leur lumière enflammée, dessinaient derrière son passage une constellation de sables d’or. Elle en traça une toile gigantesque qui éclairait de trop les ténèbres au goût de Limpis.
Il claqua ses queues entre elles, invoquant des rocs au ton de sa fourrure grise qu’il jeta sur les filins brillants. Imshe grommela à l’image d’une enfant grognonne, lui tirant un sourire malin.
— Si un être du monde que tu vas créer décide un jour de nous visiter, il aura des plateformes sur lesquelles soulager ses vertiges, entre tes chemins de poudres dorées.
Imshe détestait quand son frère déformait ses créations, mais pour cette fois, elle trouvait son intervention harmonieuse. Elle ajouta des piliers d’ocre et d’or aux plateaux, histoire que leur grisaille se marie davantage à ses sentiers éclatants qui serpentaient sur la toile noire. Mais la demeure de dieux jumeaux n’en était point une sans une entrée sacrée !
Convaincue, Imshe érigea un large vortex au pied de son serpentin lumineux, tourbillonnant au fil de vagues étincelantes. Limpis y ajouta sa marque en l’encadrant d’une arche de pierre, sculptée à l’image des bois d’un cerf qu’il avait vu dans le monde d’une de ses sœurs aînées. Imshe ne remarqua rien, déjà préoccupée par l’agencement des terres et des eaux qui accueilleraient leurs adorateurs.
Quelle impatiente, songea le loup. Comme toutes les femmes de la famille...
Il préféra garder ses pensées pour lui, plutôt que de donner une raison à sa jumelle de lui roussir quelques touffes de poils soi-disant pour colorer sa fourrure terne.
Curieux de voir sa sœur sautiller sur place tel un renardeau surexcité, il se leva et s’approcha. En contrebas, dans l’espace que leur fratrie leur avait alloué, Imshe bâtissait déjà les prémices de leur monde. Limpis posa ses prunelles de feu sur des chaînes montagneuses aux neiges éternelles. La renarde y déposa de ses griffes habiles des ruminants bipèdes au pelage si long qu’il ondulait jusqu’à leurs genoux. Limpis les baptisa yazuokhs, pendant que sa sœur descendait vers des collines et des plaines plus verdoyantes. En écho de sa fourrure chatoyante, elle colora la végétation de carmin, d’orange et de jaune, tandis que les troncs, la roche et la terre prenaient des teintes ternes, de blanc ou de gris, en honneur de son frère.
Sur ces espaces larges, elle déposa des êtres de toutes sortes, jetant aux quatre coins des terres la moindre inspiration qui lui trottait au creux de sa caboche faste. Limpis vit naître des bipèdes aux atours félins qu’il nomma itakis. Il honora ceux aux jambes de bouc du nom de faune, les emplumés aux oreilles pointues les tanblans, puis s’empressa de trouver l’inspiration pour les suivants avant que sa jumelle le semât derrière une montagne de créatures toutes aussi étranges que différentes.
Il soupira de soulagement quand elle s’arrêta enfin. Il n’y avait plus de place.
Sauvé !
Mais Limpis déchanta alors qu’Imshe s’engagea dans les fonds marins. Elle tapissa les profondeurs d’algues et de coraux luminescents qui brillaient plus que leurs astres dans le ciel. Vexé, le loup claqua ses queues et réduisit ses créations en bouillis sous un amas de roc.
Mais Imshe ne s’avoua pas vaincue. Avec doigté, elle décora les sillons et falaises sous-marins et y ajouta un peuple écailleux avant que Limpis ne détruisît tout à nouveau. Elle savait qu’il ne s’abaisserait pas à faucher des âmes, même par égo de l’éclat de ses deux lunes dans la toile nocturne.
— En échange de ses eaux si lumineuses, nous allons grossir tes lunes, mon frère.
Il grommela, mais se satisfit de la toute dernière grandeur de ses astres. Les soleils qui sonnaient le jour faisaient pâle figure en comparaison. Il colora la plus imposante d’un bleu glacial, tandis qu’il offrit une teinte rosée à la seconde. Imshe, quant à elle, préféra conserver deux soleils de la même clarté éblouissante, qui se suivaient telle une paire de jumeaux inséparables.
Limpis roula des yeux face à ce sous-entendu si limpide.
— Je vais dormir plutôt que de te voir me faire des œillades aussi grossières.
De toute manière, elle ne nécessitait plus de chaperon. Leur monde était certainement devenu le plus peuplé de tous ceux que leur fratrie gérait.
Au pire, elle créera quelques êtres aériens ou des animaux loufoques, pensa Limpis dans un soupir, avant de se laisser emporter par la fatigue.
***
Voilà, pour décrire l'univers de mon histoire, j'ai préféré en dépeindre sa création au fils des idées de la déesse renarde et des rattrappages inextrémistes de son frère loup. ^^
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