Retour à la nature

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Le conseil se présentait en arc de cercle devant lui. Il était composé des cinq anciens considérés comme les plus sages. Chacun était assis dans son fauteuil et Khalid se tenait debout face à eux. Celui du milieu prit la parole :

    • Tu viens de fêter tes vingt ans, il est temps pour toi de nous dire ce que tu souhaites faire de ta vie. Comme à chacun, rien ne t’est interdit, mais si nous pensons que tu pourrais être plus utile ailleurs que ce vers quoi te guident tes désirs, nous te le signalerons.

Tu as passé ton enfance à apprendre le métier de tes envies, tu devras nous prouver ton érudition.

Khalid, comment comptes-tu participer à la vie du village ?

    • Je souhaite devenir chasseur, répondit le jeune homme.
    • Ton père était chasseur avant toi, dit celui qui était assis tout à droite. Il est mort en exerçant son art. Connais-tu les risques ? Souhaites-tu le venger ?
    • Je n’ai aucun souhait de vengeance. Je connais les risques et je me suis longtemps entrainé pour lui succéder.
    • En effet, tu sembles vif et musclé, lui accorda le sage à la voix nasillarde qui se trouvait sur sa gauche. Puisse l’esprit de ton père t’accompagner lors de tes traques.
    • Mais il est encore trop tôt pour dire si tu seras un chasseur, renchérit l’édenté à côté de lui. Il te faudra passer une épreuve.
    • Depuis longtemps nous te voyons t’entrainer, compléta l’ancien de droite, et nous avons déjà réfléchi à l’exercice que nous allons te donner. Passe la journée à te préparer, demain tu iras chasser.
    • Si tu ne nous as rien rapporté avant le coucher du soleil, nous serons obligés de t’orienter vers un autre métier, termina le sage du milieu. C’est bien compris mon garçon ?
    • Je comprends, acquiesça-t-il.
    • Alors va, tu n’as pas une minute à perdre.

Et Khalid sortit de la salle des jugements.

Quand il se retrouva dehors, sa mère, Sophia, l’attendait et sourit en le voyant heureux.

    • Tu seras prudent ? lui demanda-t-elle avec une pointe d’inquiétude dans la voix.
    • Je pars demain, dès le lever du soleil et j’aurai la journée pour ramener un gibier, répondit Khalid.
    • Allons chez le tailleur te trouver des vêtements adaptés.

Le village était fait de maisons en bois séparés par des chemins de terre battue. On entendait rire les enfants qui jouaient dans l’herbe, un peu à l’écart, près de l’enclos des chevaux. Il faisait bon, la saison de la reproduction venait de se terminer, le temps idéal pour la chasse. La mère de Khalid l’aida à se préparer toute l’après-midi. Ils lui trouvèrent une tenue de cuir souple et robuste pour qu’il puisse courir et qu’elle ne se déchire pas en passant à travers des branchages. Puis ils allèrent lui chercher un couteau, un arc et des flèches chez le forgeron.

Nul besoin d’argent ici où l’activité de chacun bénéficiait aux autres. La seule condition était de travailler aussi. Et grâce aux sages, chacun avait une occupation qui lui convenait, permettant au village de rester paisible.

De retour chez eux, Sophia partit cuisiner.

  • Je vais préparer Grise pour demain, lui annonça Khalid, je reviens vite.

Il sortit de nouveau, s’éloignant des maisons. Retrouvant l’herbe alors que le soleil descendait dans le ciel. Arrivé auprès de l’enclot, il siffla entre ses doigts et une jument grise s’approcha au galop. Il commença à lui frotter les poils avec sa main.

    • Demain, nous partirons à la chasse, lui chuchota Khalid. Repose-toi, tu auras besoin d’être en forme.

Après l’avoir brossée un moment, il rejoignit sa mère qui lui servit une assiette pleine d’un jus bien gras dans lequel on trouvait du poireau, de la carotte et du poulet.

  • Prends des forces, ordonna-t-elle. Après manger, une bonne nuit de sommeil, et ne rentre pas bredouille.

Il ne se le fit pas dire deux fois, et même s’il mit du temps à s’endormir, il se réveilla bien avant que le soleil se lève. Il engloutit deux bouts de pain et au moment où il allait partir, sa mère apparut.

  • Tu ne m’embrasses pas ? demanda-t-elle.

Il se hâta de déposer un baiser sur sa joue.

    • Bonne chance mon fils, souffla Sophia alors que Khalid avait déjà fermé la porte derrière lui. Que ton père te protège.

Il croisa le boulanger et son ainé, sur la route des enclos, qui le saluèrent et l’encouragèrent. Il attela Grise et partit à travers les vertes prairies.

Les villageois n’allaient pas aussi loin, le danger menaçait. Vivre en communauté était une sécurité et faisait fuir les prédateurs tels les loups et les ours. Entouré par ces grandes plaines, on pouvait surveiller l’horizon et c’est pourquoi Khalid ne vit disparaître les dernières maisons qu’après un long moment.

Étant considéré comme un enfant avant ses vingt ans, il faisait partie de ce que le village avait de plus précieux et avait l’interdiction de s’éloigner. Il allait parcourir aujourd’hui un paysage qui lui était inconnu. Il ralentit Grise, qui était partie au galop, pour prendre le temps d’observer les environs.

Sur sa droite se trouvait une forêt bien verte qui semblait n’avoir aucune limite. Sur sa gauche, il découvrait de nouvelles prairies, mais celles-ci avaient l’air animées. Et entre les deux, il pouvait voir l’immense ruine.

Il avait entendu beaucoup de choses sur l’immense ruine, il s’agissait d’un lieu hanté, la mort y veillait. On lui avait déconseillé d’y aller, d’autant qu’il avait peu de chance d’y débusquer d’autres animaux que des rats.

Il se dirigea vers les plaines. Ce qui causait l’animation était un troupeau de vaches sauvages. Il tenta de s’en approcher, cherchant un veau. Mais plus il s’avançait et plus elles s’éloignaient.

L’herbe verte était tondue de prêt par ces mâchoires bovines. Grise faisait de son mieux pour éviter les bouses dont l’odeur emplissait l’air. Ils diminuaient la distance entre eux et les membres du troupeau qui trainaient. L’une d’entre elles commença à frotter le pied par terre et à baisser la tête, les testicules qui pendaient à son ventre firent redresser Khalid qui freinât sa monture. Ce n’était pas une vache, mais un taureau bien décidé à protéger ces congénères.

L’animal était beaucoup trop gros pour qu’il le ramène mort au village. Il se disait que peut-être il pourrait lui passer une corde au cou et le tirer derrière lui. Mais quand il le vit charger avec ses grandes cornes en avant, il secoua Grise qui l’évita de peu. La bête eu tôt fait de faire demi-tour pour attaquer à nouveau. Khalid éperonna sa jument et elle partit au galop. Il continua de surveiller ses arrières et vis l’animal qui s’était arrêté pour rester auprès des siens. Khalid n’avait plus qu’à traverser l’immense ruine pour rejoindre la forêt où il trouverait certainement du gibier.

Le sol fut rapidement remplacé par un matériau dur et sombre. Les pas de Grises devinrent plus bruyants et claquants, il la fit passer du trot au pas. Le cavalier et sa monture tendaient leurs aux oreilles, mal à l’aise en ce lieu à l’odeur âpre. Khalid n’avait pas envie de prolonger leur visite.

Cet endroit lui donnait la nausée. Les murs, qui semblaient de pierre, avaient été façonnés par l’homme et s’étaient effondrés. Et même effondrés, ils restaient plus impressionnants que leurs maisons de bois.

Il vit bouger à quelques pas et orienta Grise dans cette direction pour trouver un renard ensanglanté qui se faisait dévorer par des rats. Le spectacle le répugnait. D’autant qu’il lui aurait plu de ramener un tel gibier au village, c’était une jolie prise. Il ressentait toujours ce malaise et il comprit rapidement qu’il était lié aux bruits que ces rongeurs produisaient autour de lui. Il s’imaginait déjà transformé en casse-croute alors que ces nombreux petits prédateurs se rapprochaient prudemment.

Khalid savait quel danger représentaient ces rats affamés et lança sa jument au galop. Elle leur sauta par-dessus, mais ces derniers se mirent à la poursuivre pendant plusieurs minutes, jusqu’à ce qu’ils rejoignent une étendue d’herbe. Au loin, il distinguait la forêt, et quand il fut certains que ses poursuivants avaient abandonnés. Il arrêta Grise pour qu’ils puissent se détendre un peu. Le soleil avait déjà parcouru une bonne partie du ciel. Il lui donna à boire et s’assit pour manger un pain de viande.

Arrivé sous les bosquets, il décida de laisser sa monture ici, elle le retrouverait facilement dès qu’il sifflerait pour l’appeler et elle pourra en profiter pour paitre et se reposer en prévision du retour. Il s’introduisit sous le feuillage dense, il lui était désormais impossible de s’orienter grâce au soleil. Il faisait frais et l’odeur de l’humidité emplit ses narines en même temps que le chant des oiseaux pénétrait ses oreilles. Il se tint à l’affut de chaque bruit, tout en continuant de s’enfoncer plus loin.

Scrutant le sol, il découvrit différentes traces de pas. Les branches cassées autour lui montraient le passage régulier d’un animal dont la hauteur se trouvait entre son genou et sa hanche et dont l’épaisseur égalait celle de ses deux pieds. Khalid suivit le chemin, il mènerait bien quelque part.

Le sentier se poursuivait sur une grande distance, mais au bout d’un certain temps, il commença à entendre gratter la terre à proximité. Il se saisit de son arc et le banda, tout en continuant d’avancer précautionneusement. Et c’est ainsi qu’il aperçut un sanglier bien gris aux défenses imposantes. La bête se dressa sur ses pâtes, mais avant qu’elle n’essaie de s’enfuir, le chasseur laissa partir sa flèche. Blessé au flanc, l’animal faillit tomber. Il se redressa et se prépara à charger Khalid qui l’esquiva habilement. Mais le cochon ne s’avoua pas vaincu et fit demi-tour. Khalid n’eut pas le temps de réarmer, il jeta son arc dans un buisson pour éviter la riposte de sa proie.

Il s’en fallut d’un cheveu, mais le jeune homme lui échappa de nouveau et se saisit de son couteau alors que le sanglier allait renouveler son assaut. Khalid renforça ses appuis, il s’agissait de ne pas le manquer. Quand la bête chargea, Khalid réussit à planter sa lame dans l’autre flanc, lui dessinant une longue entaille. Cela eut raison de la volonté de l’animal, qui s’enfuit en saignant.

Le jeune chasseur avait perdu le sanglier de vue, mais le sang que celui-ci répandait et les bruits qu’il laissait échapper lorsque la flèche se cognait contre des troncs d’arbre l’aidaient à le poursuivre. Quand il le rattrapa, il le découvrit étendu sur son entaille. Son hémorragie avait eu raison de ses forces. Khalid s’agenouilla auprès de la bête et récita une prière pour que cette dernière ait l’âme en paix : sa viande comme sa peau ne seraient pas gaspillées. Puis il lui trancha la carotide et le sanglier finit de se vider.

Le jeune chasseur eut beau regarder le plafond de feuilles, impossible de savoir à quel moment de la journée il était rendu. Il réussit à rebrousser chemin en suivant ses propres traces tout en tractant le cochon par ses pattes avant. L’animal devait peser le même poids que lui, il allait avoir du mal à le hisser sur Grise. Il transpirait à grosses gouttes malgré l’ombre dans laquelle il se trouvait et ses bras commençaient à avoir des crampes.

Quand il vit la lumière au loin, il retrouva des forces et tira la bête avec motivation. Mais la course du soleil était déjà bien avancée. Il devait se dépêcher. Il siffla pour appeler Grise et en attendant qu’elle apparaisse, bu une gorgée d’eau et mangea un bout de viande séchée.

Sa jument ne mit pas longtemps à arriver. Il la fit s’agenouiller et réussit à hisser l’animal derrière la selle pour l’y ficeler. Il grimpa à son tour et ils rentrèrent au trot.

Le soleil déclinait, Khalid décida de lancer Grise au galop alors qu’elle gravissait une pente légère, c’était une bonne monture et elle ne rechigna pas. On commençait à entendre les loups. Bientôt, le jour ferait place à la nuit et ces hurlements signalaient que les animaux nocturnes étaient prêts.

Les feux étaient allumés au village. Khalid regarda une dernière fois derrière lui, il avait hâte de continuer d’explorer les environs, mais le paysage qu’il venait de découvrir était déjà caché.

Sa mère l’attendait au début du sentier de terre. Il ralentit pour lui permettre d’observer le sanglier.

    • Félicitations, mon fils, tu seras un grand chasseur. Lui dit-elle. Mais soit prudent, les dangers guettent.
    • Oui, j’ai vu.
    • Dépêche-toi de montrer ta prise au conseil avant que le soleil n’ait complètement disparu.

Il resta sur le dos de Grise et ne descendit que pour frapper à la porte en bois du conseil. On lui ouvrit et il put amener son gibier à l’intérieur pour le poser aux pieds des sages.

    • Khalid, affirma l’ancien du milieu, tu as prouvé ta valeur et tu pourras contribuer à la vie du village. Bienvenue parmi nous, tu es désormais un homme et voici ton nom : tu seras Khalid Le Chasseur.

FIN

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