livre 5 - 3
Lors d’une de nos rares visios, j’ai la surprise de voir apparaitre son directeur. Pierri a le covid, très sévèrement, et il l’excuse de sa défection. J’abrège, je me rue sur mon téléphone. Bien sûr, c’est la flic qui décroche.
— Clarisse, je suis désolé d’avoir à appeler. Je viens d’apprendre que Pierri est touché. Et toi ?
Qu’elle ait décroché malgré mon nom est bon signe. Prendre de ses nouvelles à elle est une maigre tentative pour l’amadouer…
— Moi, ça va, aucun signe. Pierri est hospitalisé depuis cinq jours. Il y a un cap à passer. D’ici deux jours, nous saurons s’il devra aller en réa. Pour l’instant c’est limite. De toute façon tu n’as pas le droit d’aller le voir !
Raison médicale ou raison clarissienne, je ne sais pas !
— Tu me tiens au courant ?
— Rappelle-moi, mais pas sans arrêt !
Elle raccroche, sans un mot de compassion, sans que j’aie pu en prononcer un. Je n’ai plus que la boule dans mon ventre. Les chiffres sont tellement éloquents : covid, malade, hôpital, réa, morgue. Cela va si vite. Je l'ai déjà perdu, mais pas l’irrémédiable ! S'il vous plait… Pas si vite, pas comme ça.
Doron me rassure, je me force à croire ces racontars bienveillants. Je téléphone une fois par jour, à 19 h précises. J'ai tellement peur que Clarisse me jette et que je ne puisse pas aller à l'enterrement ! Non, pas encore. À 18 h 59, mon cœur bat à 1000 tours minute.
Non, son état ne s'est pas amélioré, mais il n'est pas en réa. Mes pensées accompagnent chacun de ses souffles. Je souffre comme lui.
Je ne souhaite à personne cette attente, pendant laquelle, à chaque seconde qui passe, l'esprit refuse le pire qui s'étale devant lui. Chaque seconde dure un millénaire, trop courte si c'est la dernière.
Je me rends alors seulement compte que je ne me suis jamais soucié de mes parents, les pensant beaucoup plus malins que le virus. Ma mère ne comprend pas ces tombereaux d'angoisse que je déverse soudainement, me rassurant sur les précautions qu'ils prennent. Je lui dis que je suis à l'abri, ayant côtoyé des malades pendant le premier assaut. J’arrache, sans combattre vraiment, la promesse d'une vaccination à la première occasion.
Quatre jours suspendu à sa respiration. Le soulagement au premier signe d'amélioration ! Avec bien sûr l'annonce de l'inutilité de continuer à appeler, puisqu'il va mieux. Quelle garce !
Heureusement, l'amitié n'a que faire de ce genre de démons. Arnaud me donne des nouvelles. À mon premier appel, il m'a chambré, car il était resté à un retour de Pierri sur notre rencontre et ses conséquences. Il m’avoua que, pour la première fois, et à entendre Pierri parler de moi, il avait regretté de ne pas avoir tenté une expérience avec moi. Mon affection pour lui passa au niveau supérieur !
Quand je lui racontai les dernières évolutions, m’étendant sur la nuit avec Clarisse et ses conséquences, il fut touché. Il avait compris de Pierri qu'il s'était établi un lien formidable entre nous deux. La chute le désespérait, sans l’étonner. Clarisse était une belle pouliche, mais pas douée pour le saut et l'obstacle.
Depuis, il assure la liaison, avec joie et plaisir, déjouant et contournant les pièges de la vigile, s’attendrissant sur chaque mot doux qu'il transmet. Pierri est dans une fatigue extrême et les mots doux remontent avec parcimonie.
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