Jour de marché

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Toulouse, marché Cristal

Khaled Belkacem prit le temps de reconstituer les pyramides d’oranges et de clémentines qui commençaient à s’écrouler sur l’étal. En cette fin de matinée de dimanche, les clients étaient encore nombreux à braver le froid et le vent d’autan. Les affaires étaient bonnes et il fallait sans cesse reconstituer le stock de marchandises proposées aux passants. Profitant d’une légère baisse de fréquentation, le jeune homme annonça au patron qu’il allait faire un saut jusqu’au camion pour y boire un café chaud. Ahmed Mansouri ne fut pas dupe. Sans l'autorité paternelle, le jeune homme ne se léverait pas aux aurores pour travailler un dimanche sur le marché. Sans doute profiterait-il de cette pause pour aller se rouler un joint à l’arrière du fourgon, à l’abri des regards. Khaled n’était cependant pas un mauvais bougre et il ne rechignait pas trop à la tâche, une fois tiré de son lit à cinq heures du matin. Ahmed ne faisait appel à lui que de façon très occasionnelle, mais son employé attitré l’avait appelé la veille pour lui annoncer qu’il avait été testé positif au Covid et qu’il ne pourrait pas travailler le lendemain.

« Profite de l’occasion pour rapporter deux caisses d’oranges ! Elles partent bien ce matin. »

Khaled traversa le boulevard de Strasbourg pour rejoindre le véhicule garé sur la contre-allée de l’autre côté, devant le Kebab Café. Il fut surpris de trouver la porte latérale non verrouillée. Il était persuadé de l’avoir bien refermée lorsqu’il était venu y prendre un lot de salades, une heure plus tôt. Il tira le panneau derrière lui et se glissa sur le siège passager pour y prendre le thermos de café et se servir un gobelet, puis il repassa dans la partie arrière pour se rouler un pétard discrètement. Le jeune homme s’assit sur une caisse vide et sortit son matos. Comme il tirait la première taffe, il entendit un léger bruit derrière lui. Il n’eut pas le temps de se retourner pour voir ce qui le provoquait. Une main puissante saisit son menton et tira la tête en arrière alors que la lame entaillait le cou, tranchant net la carotide et la trachée. L’assassin laissa retomber le corps vers l’avant, essuya son arme et la replaça dans son étui, le long de sa jambe, sous son pantalon. Il s’assura qu’il n’avait pas été éclaboussé par le sang. Satisfait, il ajusta sur son visage un masque anti-virus et baissa la visière de sa casquette pour masquer ses yeux avant de sortir du véhicule par la porte arrière. Sur le trottoir, il se mêla à la foule des piétons en direction de la rue Saint Bernard, vers la basilique Saint Sernin. Arrivé sur la place, sans se presser, comme n’importe quel piéton anonyme, il s’engagea dans la rue du Taur pour rejoindre le métro à la station Capitole.

Après une vingtaine de minutes, ne voyant pas son employé revenir, Ahmed commença à se poser des questions. Ce n’était pas dans les habitudes de Khaled de disparaitre ainsi pendant les heures de travail. Par acquit de conscience, il interrogea Djamila, sa femme, qui était occupée à encaisser les ventes.

« Est-ce que tu as vu Khaled ?

— Non, répondit la femme. Il a du rencontrer quelqu’un au Kebab et il discute sans faire attention à l’heure.

— Ça ne lui ressemble pas, il s’est sûrement préparé un joint, j’espère qu’il n’a pas fait un malaise.

— Va voir en vitesse, si ça peut te rassurer, je peux rester seule cinq minutes. »

De l’autre côté de la rue, à proximité du camion, un petit groupe s’était formé. Quatre ou cinq personnes parlaient fort en désignant le sol. Ahmed s’approcha et regarda ce que les autres montraient du doigt. Une flaque s’était formée juste au niveau de la porte coulissante du véhicule. Un liquide rouge sombre tombait goutte à goutte, suintant sous le panneau fermé.

« J’ai vu un type sortir par la porte arrière, s'écria un homme. J’étais à la terrasse du Kebab.

— Il était comment ce gars ? demanda Ahmedi soudain inquiet.

— Plutôt grand, costaud, l’allure militaire. Il portait un blouson noir et des chaussures montantes, comme les vigiles dans les supermarchés.

— Ce n’est pas Khaled. »

Ahmed passa derrière le camion pour ouvrir la porte sans marcher dans le sang. Il la referma aussitôt, blème. Il se pencha pour vomir dans le caniveau.

Dans la foule, quelqu'un cria :

« Ne touchez à rien, ne restez pas là. Il faut prévenir la police. »

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