Enlèvement
Toulouse, Quartier Matabiau
Mehdi Salah avait baissé le rideau de fer du café, mais un filet de lumière filtrait par dessous. À l’intérieur, Rachid Zekkal était attablé avec deux de ses hommes, Mouloud Benazzi et Slimane Merah. Merah se défendait de tout lien avec le terroriste de sinistre mémoire, mais n’en était pas moins un exécutant zélé quand son patron lui en donnait l’ordre. Quelques minutes avant minuit, on frappa au volet. Medhi remonta le store pour laisser entrer un homme au gabarit impressionnant.
« Je suis Charles Johnson. Je travaille pour William Nwankwo. »
Rachid présenta ses hommes et invita le Nigérian à leur table.
« Notre objectif est de ramasser l’une de ces nouvelles putes de l’Est qui tapinent sur le boulevard. On l’amène dans une planque et on lui fait passer le goût des trottoirs du quartier. Mouloud, tu conduiras le fourgon. Faites attention à une Audi noire.
— Qu’est-ce qu’on fait si son mac se pointe ? demanda Slimane.
— Charles, tu t’en occupes.
— Avec ça ? demanda le colosse noir en sortant un Beretta 92.
— Si tu n’as pas d’autre choix.
— On va faire un premier tour pour repérer les lieux. Si on remarque une fille, on refait un passage. Mouloud, tu nous déposes à l’angle de la rue. Charles reste en couverture. Mouloud, tu t’arrêtes au niveau de la fille et tu la baratines le temps qu’on arrive pour la faire monter. On récupère Charles et on met les bouts. »
Les trois soldats approuvèrent le plan.
« Medhi, sers-nous à boire ! »
Un quart d’heures plus tard, les quatre hommes étaient à bord d’un Renault Trafic hors d’âge, à la caisse décorée façon street art, muni de fausses plaques d’immatriculation. Le véhicule remonta la rue de Bayard avant de tourner à gauche, sur le boulevard Matabiau en face de la gare. Mouloud continua à faible vitesse, jusqu’au niveau du pont.
« Attention, c’est par là que j’ai repéré la fille cet après-midi, avertit Rachid.
— Chouffe, à gauche ! répondit le conducteur.
— Deux filles ! des blondes, ça pourrait coller, commenta Rachid. En tout cas, elles sont pas de chez nous. Tu refais un tour et tu nous lâches au pont. »
Mouloud enchaina la rue Christophe Colomb et la rue Volta pour revenir au pont Matabiau. Les trois passagers quittèrent le fourgon. Charles resta à l’angle de la rue tandis que Rachid et Slimane s’avançaient sur le trottoir opposé. Le fourgon s’arrêta à la hauteur des deux tapineuses. L’une d’elle s’approcha tandis que Mouloud baissait sa vitre. Profitant de l’écran formé par le véhicule immobilisé, les deux autres traversèrent le boulevard et contournèrent le camion, par l’avant et l’arrière. La fille fut rapidement maitrisée et propulsée à l’arrière du véhicule. Charles qui arrivait en courant bondit par les portes ouvertes.
« C’est bon, décarre ! cria Rachid au conducteur. »
Rachid jeta un œil à la deuxième fille qui avait sorti son téléphone portable. Comme le Master prenait de la vitesse, il lui sembla distinguer les phares d’une voiture qui s’arrêtait à l’endroit où ils étaient quelques instants plus tôt. Dans le rétroviseur, il ne put déterminer s’il s’agissait de l’Audi.
« On va les semer dans les petites rues du quartier, déclara Mouloud. »
Sans se soucier du sens interdit, le conducteur tourna à gauche dans la rue de la Concorde, puis à gauche à nouveau, retrouvant la rue Volta. Il s'engagea une nouvelle fois dans la rue Christophe Colomb puis la rue du commissaire Philippe. Il ne remarqua pas de phares derrière eux. Satisfait, il fit encore un tour dans les rues étroites avant de prendre la direction des Minimes.
À l’arrière, la fille avait cessé de se débattre, mais elle continuait de crier et d’insulter les hommes dans une langue qu’aucun d’eux ne comprenait. Charles la fit taire d’une gifle retentissante.
« Dans mon pays, les femmes ne parlent pas comme ça ! »
Une goutte de sang coula de la lèvre de la jeune femme qui se mit à pleurer.
« Pourquoi m’enlever ? demanda-t-elle dans un mauvais français. Igor va vous tuer tous.
— S’il nous retrouve ! ricana Slimane.
— Tatiana, elle a vu vous ! Elle va le dire à Igor.
— Je l’attends, Igor ! répondit Charles en brandissant le Beretta sous le nez de la pute.
— Vous... me tuer ? demanda la fille terrorisée.
— Peut-être pas, si tu es gentille avec nous, déclara Slimane. Comment tu t’appelles ?
— Irina. Où nous aller ?
— Ferme-la ! »
Résignée Irina se laissa aller contre la cloison du fourgon, la tête entre les mains. Agée d’à peine vingt ans, elle avait été approchée dans un bar de Kazan. Elle était plutôt mignonne, on lui avait fait miroiter un job dans la mode ou le cinéma en Europe de l’Ouest. Quelques jours plus tard, elle avait quitté son boulot au supermarché Maksidom et embarqué dans un minivan avec quatre autres filles aussi jeunes qu’elle. Il leur avait fallu cinq jours pour atteindre l’Allemagne où trois des filles avaient débarqué et deux de plus pour arriver à Toulouse. On les avait menées, Tatiana et elle dans un petit appartement proche de l’église russe, où une autre fille, Natalia, était déjà installée. Natalia était un peu plus âgée et avait pris sous son aile les deux nouvelles. Dans l’appartement, il y avait toujours au moins un homme et elles ne pouvaient pas sortir seules, mais elles pouvaient aller faire quelques courses, toujours accompagnées, dans une petite épicerie russe, une ou deux fois par semaine. En fait de podium de mode, elles avaient droit au trottoir de Matabiau dans la journée ou la nuit. On venait les chercher dans une voiture noire et on les ramenait après le travail. La même voiture passait régulièrement pour s’assurer que tout allait bien et collecter la recette. Les filles n’avaient pas de passeport, on leur avait dit que la police française les renverrait dans leur pays ou les mettrait en prison si elles allaient se plaindre. Quand le travail avait été insuffisant, elles étaient privées de nourriture ou même battues. Seule consolation, on leur donnait des petites pilules qui leur rendait la vie un peu moins pénible à supporter. Si elles se rebellaient, on leur refusait le cachet et là, c’était vraiment très dur. Après tout, s’il fallait satisfaire ces hommes pour sauver sa vie, ce n’était pas si cher payé.
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