Grand nettoyage
Toulouse, Quartier des Minimes
Youssef avait laissé à Selima la responsabilité de trouver une voiture pour évacuer le corps du Russe abattu. La jeune femme s’était éloignée du quartier pour trouver le véhicule approprié. Selima Hammadi était une femme de ressource. Elle était née en Lybie où elle avait été recrutée très jeune pour intégrer les Haris al-Has, la garde rapprochée du colonel Kadhafi. Elle avait reçu une formation militaire n’ayant rien à envier à celle d’un Navy Seal américain. Avec la chute du régime, il lui avait fallu fuir en urgence le sol lybien pour éviter de finir exécutée par les rebelles. Grâce à quelques complicités et à son jeune âge, elle avait à peine dix huit ans, elle avait réussi à franchir la frontière algérienne dans le Sahara avec un groupe d'étudiantes. Elle avait vécu quelques temps de petits boulots à Oran avant d’avoir l’opportunité de gagner l’Espagne par le ferry d’Almeria. Là, elle avait travaillé pour un exportateur de fruits avant de conduire des camions vers la France. À l'occasion d'une embrouille mineure dans l'entrepôt, Kamel avait repéré cette femme hors du commun et avait proposé à Abou de la prendre dans son équipe de terrain. Un mariage blanc arrangé avec un membre de la famille Belkacem lui avait permis d’obtenir un titre de séjour.
Elle s’était dirigée à pied vers les petites rues résidentielles à proximité du boulevard de Suisse où elle pensait trouver le véhicule requis dans une voie calme et peu passante en cette fin d’après-midi. Il lui fallait trouver un véhicule assez spacieux pour y loger le cadavre et sans trop d’électronique pour pouvoir le démarrer facilement. Elle jeta son dévolu sur une berline Peugeot 406 à la carrosserie bien abimée. Le propriétaire n’avait pas pris la précaution de la verrouiller et il ne lui fallut pas longtemps pour en prendre le contrôle. Dix minutes plus tard, elle était de retour à proximité de la boutique. Youssef vint lui ouvrir.
On va attendre la nuit pour le transférer dans la malle.
Dans la réserve, le corps de Youri avait grossièrement été emballé pour faciliter son déplacement.
« Vous auriez tout de même pu nettoyer un peu, y a du sang partout, fit remarquer Selima.
— Il y a ce qu’il faut à côté si tu veux !
— Tu crois que parce que je suis une femme, je vais me taper le ménage ? Je vous ai trouvé la caisse, j’ai fait mon job !
— Yalla ! répondit Youssef, on va pas y passer la soirée ! Mouloud, viens l’aider ! »
Le jeune homme obéit en maugréant. Après une demi-heure d’efforts, le local avait retrouvé un air de propre. Youssef décida qu’il était l’heure d’aller diner.
« On se fait un kebab ! suggéra Mouloud.
— Une pizza, plutôt ! objecta Selima. J’en ai marre de votre bouffe dégoulinante de graisse.
— Tu n’auras qu’à aller courir pour éliminer ça, reprit Mouloud.
— Quand tu veux, je te fais cracher tes boyaux !
— Vous deux, ça suffit, coupa Youssef. On a encore du boulot ce soir, alors on reste professionnels. »
La nuit était tombée depuis longtemps quand le trio revint à la boutique pour terminer leur sinistre besogne.
« Selima, dit Youssef, tu vas aller chercher la bagnole pendant qu’on approche le paquet de la porte. Si la voie est libre, tu ouvres le coffre et tu frappes à la porte. Sinon, tu refais un tour du bloc jusqu’à ce que ce soit tranquille. Chez les Russes, ce sera plus coton, c’est un grand boulevard, bien éclairé. Il faudra faire très vite et se planquer des caméras de surveillance. »
La jeune femme alla récupérer la Peugeot dans la rue voisine et revint à faible vitesse. Elle remarqua une femme qui promenait son chien sur le trottoir. Elle fit une courte halte, le temps de la laisser s’éloigner et entrer dans un pavillon aux volets fermés. Quand le secteur fût totalement dégagé, elle fit les derniers mètres, laissant le moteur tourner. Il ne fallut que quelques secondes pour charger le cadavre et verrouiller le magasin. Selima se remit au volant, Youssef à ses côtés. Mouloud monta à l’arrière. Quand elle s’engagea sur la rocade, Mouloud réagit.
« Pourquoi tu passes par là, il y a des caméras tous les cent mètres.
— Il n’y a pas d’autre pont dans le secteur, et puis, personne ne sait qu’on est dans cette voiture. »
Aussitôt après la Garonne, elle sortit en direction de l’hôpital Purpan avant de revenir vers le centre.
« On va passer une fois devant pour repérer les lieux, commanda Youssef. »
Sous l'autoroute, les deux voies de circulation étaient séparées par l’emprise du tram. Selima remarqua la petite église de l’autre côté, reconnaissable à sa croix orthodoxe.
« Il y a une ruelle avec un parking, juste avant l’église, dit Youssef qui regardait un plan sur son téléphone. On va s’arrêter là.
— Je fais demi-tour au prochain carrefour. »
La voiture reprit l’avenue dans l'autre sens, à vitesse réduite.
« Merde, c’est une résidence, il y a un portail ! »
Selima jeta un coup d’œil à son rétro.
« Il n’y a personne, je me gare sur le trottoir. Vite ! »
Les deux hommes bondirent. Selima déverrouilla le coffre et ils déchargèrent leur macabre marchandise sur le seuil du jardinet entourant l’édifice religieux.
« Ça ira bien comme ça, on se tire. »
La Peugeot reprit l’avenue en remontant en direction de l’aéroport.
« Mouloud, tu as une voiture ? demanda Selima.
— Oui, bien sûr. Près de l’entrepôt.
— On passe la prendre et on file abandonner celle-ci.
— Vous me laisserez là-bas, vous n’avez pas besoin de moi pour finir lej job, déclara Youssef. »
Vingt minutes plus tard, Selima et Mouloud roulaient l’un derrière l’autre en direction de Fenouillet. Selima quitta la route principale pour se diriger vers le fleuve. Elle s’arrêta derrière une centrale à béton, déserte à cette heure. Mouloud s’immobilisa à une centaine de mètres.
« Ta caisse, c’est un diesel ? demanda la jeune femme.
— Non, pourquoi ?
— Tant mieux, démerde toi pour soutirer un peu d’essence.
— Je ne comprends pas !
— Tu as déjà essayé d’enflammer du gas-oil avec une allumette ?
— Ben, non !
— C’est bien ce que je pensais, ça ne prend pas spontanément, il faut le chauffer. Avec de l’essence par exemple.
— J’ai pas de tuyau ni de bidon.
— Trouve un bout de tissu et fait une sorte de mèche, trempe-le dans le réservoir. Fais-en même deux ou trois, ça ira plus vite. »
Laissant Mouloud à ses manipulations, Selima retourna à la voiture pour effacer ses empreintes sur le volant et les portières, par prudence.
« Pourquoi tu fais ça, on va foutre le feu !
— Les flammes ne détruisent pas toujours tout. Je préfère être prudente. »
Mouloud avait trouvé de vieux chiffons gras dans la coffre de la Peugeot. Il les rapporta imprégnés de carburant.
« Tu allumes et tu les jettes à l’avant et à l’arrière, fais gaffe de ne pas te bruler. Tu as ton flingue ? Donnes-le moi. »
Mouloud tendit un Glock 17.
« Où est-ce que tu as trouvé ça ? »
Sans attendre de réponse, la jeune femme se baissa à hauteur du sol et tira deux coups sous la carrosserie. Le fuel se répandit, fuyant du réservoir percé.
« Tu lances le dernier chiffon sous la caisse, là où ça coule !
À l’intérieur, les tissus et les mousses des coussins commençaient à dégager une fumée épaisse, puis soudain le gas-oil chauffé s’enflamma.
« Ça va exploser ? demanda Mouloud.
— Non, pas avec le gas-oil, mais si c’était de l’essence, on aurait intérêt à se barrer en vitesse.
— T’as appris ça où ?
— Je suis allée à l’école, moi, mon petit bonhomme ! plaisanta Selima.
— On devrait foutre le camp, non ?
— T’inquiète, les pompiers ne sont pas prêts d’arriver, si toutefois quelqu’un les prévient. Il n’y a personne ici. Je préfère être sûre que le travail est bien fait. »
Après quelques minutes, les flammes avaient pris suffisamment d’ampleur et Selima considéra qu’il était temps de rentrer.
« Allez, maintenant raccompagne-moi à la maison.
— C’est où ? Aux Izards ?
— Tu déconnes ? À Balma, sur les hauteurs. Et tu rouleras doucement avec ta caisse, je ne veux pas réveiller mes voisins. »
Mouloud se mit au volant de sa Seat Leon VR6 et reprit la direction de la rocade.
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