Repérages
Vieille-Toulouse
Selima était rentrée tard dans la nuit après avoir passé une soirée mouvementée avec un amant de passage. Elle avait pour principe de ne jamais ramener d’homme chez elle et de fait, très peu de personnes connaissaient l’adresse de son pied à terre, alors qu’elle était toujours officiellement domiciliée chez son pseudo-mari, dans le quartier Borderouge. Sans être mirobolante, la rémunération que lui octroyait Belkacem lui permettait de vivre assez correctement, à condition de modérer ses dépenses. C’était de toute façon incomparable avec ce qu’elle aurait gagné si elle avait continué à conduire les camions la nuit. La perspective de gagner sa liberté complète en lui permettant de rompre le mariage truqué lui était certes agréable, mais pas tant que celle de damer le pion aux deux lieutenants imprégnés de machisme traditionaliste. Pouvoir s’asseoir avec eux et traiter directement avec Abou, voilà ce qui la motivait ce matin. Pour cela, il lui fallait trouver un moyen d’atteindre le parrain russe.
Pour le moment, ce qu’elle savait d’Alexander Leonorov se limitait à quelques extraits de presse et une visite à Vieille-Toulouse. La propriété était inaccessible, elle avait pu s’en assurer elle-même. Elle avait pu deviner en lisant les messages d’Olga sur Facebook que l’homme passait beaucoup de temps au golf, mais elle ne voyait pas bien comment abattre sa cible discrètement avant le dix-huitième trou. Il dirigeait une entreprise basée à Colomiers, à proximité de l’aéroport et des usines d’Airbus. Il devait nécessairement s’y rendre régulièrement. Nul doute qu’un homme comme lui, se sachant exposé, circulait avec un chauffeur et sans doute un garde du corps. Avait-il des habitudes ou au contraire se déplaçait-il de façon aléatoire ?
Elle n’obtiendrait pas les réponses sur Internet cette fois. Il lui fallait retourner sur le terrain et pour commencer, elle irait chercher des éléments au golf de Vieille-Toulouse. Elle ne voyait pas de raison pour un homme comme Leonorov d’avoir ses habitudes ailleurs que sur le parcours le plus renommé de la région, à proximité immédiate de chez lui. Elle décida d’une approche auprès du personnel du club. Elle choisit dans sa garde-robe une tenue lui permettant de passer sans trop de risque pour une assistante du Russe chez Daurat, tailleur-pantalon gris, maquillage léger, cheveux noués sur la nuque. Munie d’un petit porte-documents, elle prit la route du club-house. Elle s’y présenta peu avant onze heures et s’adressa à l’employé derrière le comptoir d’accueil.
« Bonjour, excusez-moi de vous déranger, je suis l’assistante de Monsieur Leonorov. Il m’a appelé il y a une heure et demandé de lui déposer des documents à signer. À quelle heure doit-il terminer son parcours ?
— Laissez-moi vérifier, lui répondit l’employé. Je ne l’ai pas vu ce matin, mais je ne suis arrivé qu’à dix heures. Attendez, je ne vois pas de réservation pour Monsieur Leonorov ce matin, en général Monsieur Leonorov joue le mercredi et le dimanche. Il a d’ailleurs réservé un départ demain à neuf heures.
— Je suis désolée, j’ai dû mal comprendre, c’est sans doute chez lui que je suis attendue alors, excusez-moi de vous avoir dérangé pour rien.
— Il n’y a pas de mal, Madame. »
De retour à sa voiture, Selima décida de suivre la route menant directement chez Leonorov depuis le golf. La distance était faible, à peine trois kilomètres, et l’itinéraire traversait le village. En début de matinée, la fréquentation serait sans doute assez importante, difficile d’aborder le Russe sur le trajet. La jeune femme fit le chemin en sens inverse, attentive à toutes les opportunités, mais n’en découvrit aucune. Le seul moment vulnérable était sans doute le passage sur le parking du club. La question était de savoir si pour ce court déplacement, Leonorov se ferait accompagner. La seule façon de le savoir était d’être sur place avant lui le lendemain. Un coup d’œil rapide lui permit de vérifier le positionnement des caméras de surveillance. Elle n’en vit que deux, l’une orientée vers l’entrée du club-house et la seconde couvrant la voie d’accès, laissant une bonne partie de la zone de stationnement dans l’ombre. Cela n’avait guère d’importance, si elle devait agir à cet endroit, elle utiliserait une voiture volée et s’assurerait de ne pas être reconnaissable sur les éventuelles images.
Selima en avait assez appris pour élaborer une stratégie. Elle décida de se rendre jusqu’au siège de la société Daurat. L’appli de guidage lui proposa deux itinéraires, empruntant tous les deux largement la rocade ou les voies rapides du sud-ouest de l’agglomération. Il faudrait une véritable opération militaire pour intercepter Leonorov sur ce parcours. Elle parcourut néanmoins la vingtaine de kilomètres jusqu’au bâtiment hébergeant les bureaux de la société. L’immeuble ne semblait pas comporter de sous-sol et le parking s’y faisait en plein air. Quelques places portaient une indication « Direction » à proximité de l’entrée. L’attaque n’était pas impossible, mais beaucoup plus aléatoire et risquée que dans le calme du golf.
Elle décida de repasser chez elle pour changer de tenue avant d’aller rendre compte à Abou et ses lieutenants.
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