Souvenir d'Espagne
Alicante, Espagne
Igor Polounin avait passé la fin de la nuit balloté sur le plancher du camion, pieds et poings liés, sous la surveillance de deux hommes armés. En début de matinée, le véhicule s’était arrêté enfin et les portes arrières ouvertes. Le Russe fût extrait sans ménagement et dirigé vers un petit local au fond d’un entrepôt rempli de caisses de primeurs. La porte se referma sur lui. La pièce ne comportait aucune autre ouverture que la porte verrouillée. Seule une ampoule nue pendant du plafond apportait une lumière blafarde sur un espace d’une vingtaine de mètres carrés, totalement vide. Sans illusions sur son sort, après l’exécution de sang froid de son équipe, il s’assit dans le coin opposé à la porte et attendit. S’il avait survécu à l’embuscade et avait été ramené jusqu’ici, c’est que les Algériens avaient l’intention de l’interroger. Il ne doutait pas que leurs méthodes puissent être aussi déplaisantes que celles qu’on lui avait enseignées dans les centres de formation de l’armée russe. Même s’il avait choisi de consacrer l’essentiel de sa vie à des activités potentiellement létales, il s’était imaginé pouvoir finir son existence dans le confort d’une petite maison dans une partie du monde calme et agréable, une île des Caraïbes, par exemple, pas au milieu des oranges en Espagne.
C’est vers dix heures que la porte s’ouvrit sur deux individus porteurs d’armes automatiques avant que Radouane Boumaiza, l’homme à la Mazda, ne pénètre à son tour, portant deux chaises. Il les installa face à face et fit un signe à l’un des gardes qui souleva Igor sous une épaule pour le faire asseoir, prenant lui-même place sur l’autre siège.
« Bon, commença-t-il en français, vous vous croyez très fort, vous autres Russes, mais vous vous faites souvent botter le cul, non ? Tes complices sont tous morts, sauf la femme, qui est à l’hôpital. Rassure toi, elle devrait s’en tirer. Ce que nous aimerions bien comprendre, c’est pourquoi vous décidez tout d’un coup de venir foutre la merde chez nous. Le monde est vaste, il y a de la place pour tous.
— Ça doit être un héritage de l’Union Soviétique ou même de la Grande Russie des Tsars, ricana Polounin.
— Et vous imaginez qu’on va rester là sans réagir, comme les moutons le jour de l’Aïd ? Tu ne connais pas Aboubaker. Il ne pourra pas laisser les assassins de son fils impunis, que ce soit celui qui tenait le couteau ou celui qui a donné l’ordre, et il voudra faire justice lui-même. C’est ta chance, tu vas gagner quelques jours de vie, on va te renvoyer à Toulouse.
— Je peux choisir ma place ? je préfère le côté couloir, plus facile pour aller aux toilettes.
— Tu peux te pisser dessus, on n’en a rien à foutre. De toute façon, quand Samir en aura fini avec toi, tu ne pourras même plus sortir ta queue avec tes mains. Et oui, on ne va quand même te laisser repartir sans un petit souvenir d’Espagne et puis ça t’ôtera l’envie de nous jouer un tour sur la route.
— Vous pouvez tous crever !
— Oui, c’est vrai qu’un jour ou l’autre ça nous arrivera, c’est le destin, mais c’est Dieu qui décidera de la date, pas toi. »
Radouane se leva et prit sa chaise avec lui. En sortant il s’adressa à l’un des gardes.
« Samir, dit-il en arabe, brise lui tous les doigts, qu’ils ne puisse plus tenir un couteau ou un flingue, mais évite le sang.
— Bien Patron, répondit l’intéressé. »
Radouane ferma la porte derrière lui. Tandis qu’il s’éloignait, il entendit les cris venant du local. Il ne se retourna pas et gagna son bureau. Il lui fallait téléphoner à Toulouse.
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