Del 1
En vandring på tusen mil börjar alltid med ett steg.
It was a dark and stormy night; the rain fell in torrents — except at occasional intervals, when it was checked by a violent gust of wind which swept up the streets (for it is in London that our scene lies), rattling along the housetops, and fiercely agitating the scanty flame of the lamps that struggled against the darkness. [1]
L’incipit n’est pas de moi, et si une bonne fée m’avait donné le sens de l’humour, j’aurais pu trouver ça drôle. Ha ha. J’aurais pu trouver ça drôle que l’une des pires ouvertures de romans jamais écrites corresponde si bien au début de mon histoire. Pas si bien d’ailleurs : mon histoire ne se déroule pas à Londres et les lampadaires ne sont plus au gaz. Encore un truc que je foire… Merde
Bref. On va faire comme si cet échec n’avait pas eu lieu.
En gros, il faisait un temps de merde et il était à peu près vingt-deux heures et trois bananes. J’avais passé une journée de merdre à l’agence et j’étais d’une humeur de merde -vous avez dû vous en apercevoir. Elodie avait occupé sa journée à parcourir des archives pendant que je me faisais chier comme un rat mort. Tellement que j’ai fait à peu près sept pauses clopes aujourd’hui. A partir de la quatrième, j’entendais déjà Madame Casse-burnes me dire que je devais me restreindre -pour ma santé, soi-disant. Je peux vous dire qu’à la septième, elle en a eu marre et elle m’a piqué mon paquet. Ça n’a pas arrangé mon humeur.
Je tiens d’ailleurs à préciser que Madame Casse-burnes n’est pas Elodie. Elodie, c’est ma sœur. Elle travaille avec moi à l’agence. Madame Casse-burnes… on parlera d’elle plus tard. Je peux juste préciser qu’elle fait chier.
Ah, et puis si vous aviez besoin d’un nom en plus à retenir, moi, c’est Matthias. Matthias Vermeil. Vingt-cinq ans et deux reins. Les gens disent que j’ai tendance à être grossier. Ils n’ont pas tort mais je les emmerde malgré tout.
Bon, je vais essayer de moins balancer des injures. Ça sera plus agréable pour vous.
J’ai parlé d’une agence. Ma sœur et moi en sommes propriétaires. On l’a héritée de nos parents. Puisque je les mentionne, les parents… Encore un truc dont il faudra que je parle plus tard.
Je me concentre. On est donc propriétaire d’une agence. Une agence de quoi ? Une agence de chaïrétique.
Une aGencE de qUoi ? J’ai bien dit : de chaïrétique. Vous ne savez sûrement pas ce que c’est et c’est tant mieux ; moins les gens en entendent parler, mieux on se porte.
Bon. Comment je vous explique ? Je pourrais vous faire la version courte mais puisque je n’en suis pas fan, je vous la ferai après la longue.
Si vous connaissez la maïeutique, vous n’aurez pas besoin que je vous explique qu’il s’agit de la partie de l’obstétrique qui concerne la pratique de l’accouchement.
En réalité, ça, c’est la version du dico. Moi, je ne sais pas ce que c’est que l’obstétrique et j’ai la flemme d’aller regarder. En résumé, la maïeutique, c’est ce qui concerne l’accouchement. Maïeuticien·ne, donc, c’est la personne qui aide à accoucher.
Les chaïréticien·ne·s, eux, s’occupent de l’autre bout de la vie. On aide les gens à partir. Non pas qu’on les euthanasie ; ça non. On les aide à partir en ça qu’on aide les esprits restés sur Terre à lâcher prise. Voilà.
La version courte, puisque que je vous l’ai promise, c’est qu’on est des exorcistes. Certaines personnes me disent que ça a l’air cool ; je peux vous assurer qu’ils se trompent.
« Mais pourquoi tu le fais si c’est pas cool ? » Oui, ben ça, ce sont mes affaires alors touchez votre cul et tout ira bien.
Pardon pour les grossièretés.
Ainsi donc, notre agence de chaïrétique, à l’instar de la vingtaine d’agences en Europe, chasse les fantômes. Bon, on est loin de Ghostbusters ou de l’Exorciste, croyez-moi. On est plus proches des psychiatres. On doit comprendre pourquoi les esprits sont restés sur Terre et les libérer de leurs tourments. Il y en a bien qui sont récalcitrants et qu’on doit un peu forcer à lâcher le morceau, mais souvent, ça se résume à trouver quelqu’un pour s’occuper du chat à la place du défunt ou remplir une fiche d’impôts.
Oui. Certains esprits n’arrivent pas à partir parce qu’ils ont trop stressé sur leurs impôts. Vous voyez pourquoi c’est pas cool ? Bref, un boulot d’écoute où il faut faire preuve de psychologie.
J’en entends quelques-un·e·s qui rigolent au premier rang, arguant que vu comment je parle, ça doit être drôle de me voir faire de la psychologie. Eh bien sachez que vous n’avez pas tort et que je vous emmerde. J’emmerde beaucoup de monde. Mon karma doit être si mauvais que l’univers décernera une médaille à la brique qui me tuera en tombant sur ma tête. Ce sera bien fait, soit dit en passant.
Bon. Revenons sur cette fameuse journée de merde. Le fait est qu’entre la quatrième et la cinquième pause clope (ou après la cinquième, je ne sais plus et ce n’est pas le problème), on a reçu un mail de l’ESM, la European School of Manciology [2]. En Français, on dit l’EEM pour Ecole Européenne de Manciologie. Je préfère, ça fait moins pompeux, moins business school of business.
Je ne voudrais pas vous laisser penser qu’ils sont cons et rétrogrades, mais en fait si. Sans approfondir les détails, leur formation, c’est de la merde. Conséquemment, quatre-vingts pourcent des gens qui en sortent sont incapables de travailler sur le terrain et se retrouvent à devenir manciologues ou vendeurs de cristaux quand ils ne changent pas complètement de vocation.
L’EEM a dû se figurer que quelque chose clochait dans l’histoire car, depuis cette année, les étudiants doivent désormais effectuer un stage pratique. Je pense que vous voyez où je veux en venir. Il y a quelques mois, donc, on avait reçu un premier mail nous demandant si on pouvait prendre un·e stagiaire. Je voulais leur répondre non et leur faire un gros doigt ; Elodie s’est alors interposée, objectant qu’en prenant quelqu’un, l’EEM se rendrait peut-être compte que ses méthodes sont archaïques.
Je savais qu’Elodie avait tort, mais puisque que j’aurais voulu qu’elle ait eu raison, j’ai accepté la demande. J’ai toutefois précisé que je serai exigeant et intransigeant. Ma réputation a dû me précéder car ils m’ont répondu qu’ils enverraient « le meilleur élément compatible ». Quand je vous dis que ce sont des cons.
Bref. Le mail qu’on a reçu aujourd’hui contenait le dossier de notre futur stagiaire, Raphaël Parsen. L’EEM a précisé qu’il était deuxième de promo, mais 1) sur douze élèves, je ne suis pas certain de l’intérêt du rang et 2) s’il y a bien quelque chose avec lequel je me torche, ce sont les classements.
Après, je vais être honnête, le dossier de Raphaël était loin d’être dégueulasse. Non pas que ça veuille dire grand-chose, mais c’est déjà ça. J’ai immédiatement senti le doctus cum libro de bonne volonté mais inapte dans les faits. Puis, je me suis dit que s’il était vraiment nul, je pouvais toujours annuler le stage en apportant au passage de l’eau à mon moulin à l’encontre de l’EEM.
Elodie, me connaissant comme elle me connait, m’a lancé un regard après avoir lu le mail.
« Oui, ok, c’est bon. Je lui laisserai une chance. » je lui ai répondu. Tout à mon honneur, je le pensais vraiment, cette fois-ci.
Toutefois, quelque chose me faisait chier dans tout ça, quelque chose de tellement con que c’en était presque gênant.
Pour être honnête, Raphaël était plutôt beau gosse et n’avait pas deux ans de moins que moi. Le hic : puisque nous allions être respectivement stagiaire et responsable de stage l’un de l’autre, il était exclu que je me le tape. Il n’était censé passer que cinq mois ici, mais je pressentais déjà que cette période allait s’avérer plutôt frustrante.
[1] C’était une nuit sombre et orageuse ; la pluie tombait à torrents — sauf par intervalles occasionnels, lorsqu’elle était rabattue par un violent coup de vent qui balayait les rues (car c’est à Londres que se déroule notre scène), crépitant le long des toits, et agitant violemment les maigres flammes des lampes qui luttaient contre l’obscurité.
Edward Buwler-Lytton, Paul Clifford (1830)
[2] La manciologie est l’étude des magies. Plus de précisions sur l’EEM à venir.
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